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N'en jetez plus, les SAC sont pleins !

 

Ce jeudi 30 mai, la majorité fédérale PS-MR-CDH-Open VLD-CD&V-SP.a devrait adopter, sans états d’âme, la nouvelle loi durcissant le système des sanctions administratives communales, les SAC : montants plus élevés, nombre de faits concernés élargi, baisse de l’âge des auteur/e/s sanctionnables de 16 à 14 ans.

C’est surtout cette dernière mesure qui fait l’objet de fortes contestations : du Conseil de la Jeunesse au Délégué aux Droits de l’Enfant, en passant par la Ligue des Droits de l’Homme ou même l’Unicef, ce sont plus de 200 organisations qui se sont prononcées contre cette sévérité accrue. Jusqu’aux présidents des organisations de jeunes de quatre des six partis de la majorité (SP.a, CD&V, Open VLD et PS ) qui se sont fendus d’une lettre ouverte publiée ce jeudi dans le quotidien De Morgen, où ils se demandent si l’on ne va pas vers une société de plus en plus intolérante, particulièrement envers les jeunes. « Nous espérons que les jeunes auront la chance de pouvoir vivre leur jeunesse, comme leur parents ou leurs grands-parents », écrivent-ils. Il faut dire que déjà dans l’ancienne version, des jeunes ont reçu des amendes pour avoir mangé des sandwiches sur les marches d’une église en laissant des miettes à terre ou pour avoir lancé des boules de neige...

Le 28 mai, le Service des Grandes Villes du SPP Intégration Sociale organisait un colloque consacré à la nouvelle loi et plus précisément, le rôle de la médiation, obligatoire pour les mineur/e/s et facultative pour les personnes majeures. Une salle comble remplie de juristes, policier/e/s, représentant/e/s de communes (y compris quelques bourgmestres), travailleur/se/s sociaux/ales, agent/e/s « sanctionnateurs/ses », étudiant/e/s et chercheurs/ses, pour une journée animée par Elke Devroe, criminologue à l’Université de Gand et auteure d’une somme sur le sujet (en néerlandais), « A swelling Culture of Control ? » dont nous reparlerons dans un prochain article. On peut regretter l’absence des opposant/e/s à l’élargissement de la loi, ce qui donnait l’impression fausse d’un large consensus social autour des SAC.

Autre impression désagréable, un débat qui ignorait complètement la réalité multiculturelle de nos grandes villes, alors qu’on ne cessait de parler du « vivre ensemble », dimension ignorée aussi bien dans les sujets abordés que dans la composition de la tribune, belgo-belge d’une manière presque caricaturale (à l’exception d’une représentante de Joëlle Milquet, mais dont le rôle se limitait à transmettre la pensée de la ministre). La mixité de genre était plus ou moins assurée, même si elle ne représentait pas vraiment la salle, très largement féminine. Mais dans les interventions, la question de genre n’a jamais été abordée, à part une allusion au fait que l’une des « incivilités » les plus souvent constatées, la « miction sauvage » (entendez : uriner dans l’espace public) est une activité masculine, même si quelques femmes ont aussi été prises sur le fait. Très significativement, la rareté de toilettes gratuites, accessibles et bien signalées n’a pas été évoquée. Ce qui montre bien le souci avant tout répressif, même si le terme « prévention » était brandi à tort et à travers.

Nous consacrerons un autre article aux effets de la nouvelle loi, mais contentons-nous de pointer ici les problèmes principaux,inspirés par l’intervention critique du professeur Stefaan Pleysier, de la KUL. Nous passerons su rla contestation de l’abaissement de l’âge des auteur/e/s visé/e/s, qui fait déjà l’objet d’une large médiatisation.

  • - l’arbitraire : chaque commune décide d’appliquer ou non les SAC, définit les faits passibles de sanctions, le montant des amendes, l’âge minimum des auteur/e/s pouvant être poursuivi/e/s, ce qui peut amener à des situations absurdes, notamment à Bruxelles où il suffit de traverser la rue pour changer de commune ;
  • - la commune juge et partie : la plupart des faits punissables n’ont pas de victime identifiable, c’est donc la commune qui est considérée comme victime... et qui juge aussi de la sanction ;
  • - le « bâton derrière la porte » : une vraie médiation implique une certaine égalité entre les parties et l’absence d’un rapport de pouvoir. Or ici, l’auteur/e aura « l’épée dans les reins » pour accepter le résultat de la médiation, l’indépendance du /de la médiateur/trice n’étant par ailleurs pas totalement garantie ;
  • - l « ’implication parentale » qui permet d’éviter les poursuites si des mesures éducatives jugées suffisantes sont prises par les parents, risque de ne pas être jugée de la même façon selon l’origine ou la classe sociale des jeunes, ce qui crée des inégalités supplémentaires (et que l’on songe aussi aux familles monoparentales, des mères seules obligées de surfer entre obligations professionnelles et responsabilités éducatives) ;
  • - dérives possibles : on a vu ainsi la semaine dernière à Anvers des personnes participant à une manifestation paisible (mais non autorisée) contre Monsanto arrêtées en masse, alors que des supporters de foot déchaînés pouvaient tirer des feux de Bengale et jeter des canettes à terre sans être sanctionnés.

Une dernière remarque : après la sortie du film de Sofie Peeters, « Femme de la rue », le gouvernement et certaines communes ont essayé de nous « vendre » les SAC comme l’une des réponses possibles aux injures sexistes et au harcèlement de rue. Notre directrice Irene Zeilinger avait même été invitée par RTL pour en débattre avec Bertrand de Buisseret, fonctionnaire sanctionnateur à Ixelles. Touts deux semblaient sceptiques. Qu’en est-il, neuf mois après ? Nous avons posé la question à quelques responsables présent/e/s au colloque : pour la zone Ixelles/Bruxelles-Ville, deux amendes. A Tournai, Huy, Turnhout : zéro. On hésite entre « effet d’annonce » et « poudre aux yeux ».

 

 (écrit pour Garance, 30 mai 2013)

Mis à jour (Vendredi, 31 Mai 2013 08:21)

 

Défendre la liberté, ou flinguer les féministes ? (réponse à Catherine François)

(Revue Politique, paru sur le site le 27 mai 2013)

Ainsi donc, pour Catherine François, la liberté sexuelle « transpire le plus quand on s’approche des personnes prostituées ou des actrices porno et de toutes celles et ceux qui pratiquent la sexualité hors format ». Oublions un instant le hors format – car le format, et par conséquent le hors format, sont largement déterminés par une époque, un environnement - pour nous concentrer sur ses deux premières catégories. Sans même rentrer dans le débat sur la prostitution et la pornographie, on peut s’étonner que le summum de la liberté des femmes (car c’est d’elles qu’il s’agit ici) soit représenté par la tâche de s’occuper du plaisir et/ou des fantasmes des autres – en l’occurrence des hommes. Car la plus « libre » des prostituées n’est quand même pas payée pour s’envoler au septième ciel, il s’agit bien de satisfaire le client et si jamais elle prend son pied (sans faire semblant, supposons) ce n’est là qu’un effet secondaire (comme disait l’une d’elles, « je jouis deux fois, une fois quand le client me paie et l’autre quand il s’en va »).

C’est devenu un tic de langage que de délégitimer la parole de celles/ceux dont on ne partage pas les opinions en les taxant de « bien-pensants », créatures de la « pensée dominante » sinon « unique », termes que l’auteure manie avec générosité.

Wilhelm Reich, qui reste, malgré certains délires de la fin de sa vie, l’un des grands théoriciens de la liberté sexuelle et de son lien avec la liberté tout court, considérait d’ailleurs la prostitution comme un « phénomène préoccupant », dû à la répression sexuelle de la société bourgeoise.

Mais Catherine François a une autre cible favorite : l’ « élite féministe », qu’elle place aux côtés des Eglises, comme autant de « groupuscules qui s’acharnent à vouloir pénaliser tout ce qui ébranle la bien-pensance ». C’est devenu un tic de langage que de délégitimer la parole de celles/ceux dont on ne partage pas les opinions en les taxant de « bien-pensants », créatures de la « pensée dominante » sinon « unique », termes que l’auteure manie avec générosité. Il ne manque plus que le « politiquement correct ». Dans le même numéro de Politique, l’article bien plus intéressant et réfléchi de Colette Bériot, « Vivre sa sexualité dans les quartiers populaires », montre pourtant bien que s’il y a « fliquage des prolottes » (encore une citation de CF), il n’est pas vraiment l’œuvre de « l’élite féministe ».

Emportée par son élan, Catherine François dénonce un autre scandale : « On n’a jamais entendu ces pourfendeur/ses/s de la liberté sexuelle s’indigner devant l’existence des contes de fées qui salissent l’égalité des sexes et figent les jeunes filles dans des rôles de potiches soumises confirmées dans une sexualité passive ». C’est sûr, les féministes adorent les contes de fées et recommandent aux jeunes filles d’abandonner études et travail pour attendre, bras et jambes croisés, l’arrivée du Prince Charmant, en pratiquant l’art si féminin du tricot. Mais où Catherine François est-elle allée chercher cette caricature ? Pour ne prendre qu’un exemple, elle n’a jamais dû entendre parler de cette action d’Osez le féminisme réalisant de petites capsules vidéo à la gloire du clitoris, certes pas chez les prostituées ou les actrices du porno mais dans la rue, sur les marchés et même, à Bruxelles, lors de la Fête du Premier mai : pour une auto-réappropriation du plaisir des femmes !

Après avoir ainsi tiré dans le tas, sans crainte de se tromper de cible, la flingueuse termine son jeu de massacre par une grande idée révolutionnaire :« Notre rôle dans l’éducation sexuelle est de rappeler qu’il n’y a que le consentement qui nous distingue de l’animal. C’est à partir du consentement qu’on peut jeter les bases d’une société de dialogue et de respect. Le consentement ne peut impliquer que des êtres libres et majeurs sexuellement. (...) Le consentement des personnes est tout ce qui cimente notre civilisation ». Tout ça pour ça, aurait-on envie de dire. Certes aucune relation ne peut être émancipatrice sans consentement mais pour le coup, voilà Catherine François bien modeste, pour quelqu’une qui prétend défendre la liberté sexuelle des femmes.

Pour m’en expliquer, je me permets de reprendre un extrait de l’un de mes articles, « Consentir n’est pas désirer », : « Mon Robert historique m’informe qu’à l’origine le terme ’consentir’ signifiait "être d’un même sentiment" donc, en effet, il pourrait indiquer le partage d’un même désir. Mais aujourd’hui, précise le bon Robert, "consentement a été adjectivé au sens général et aussi avec la valeur ’qui accepte une relation amoureuse, sexuelle’ (au féminin)". Voilà donc l’origine de mon malaise : le "consentement", ça n’existe qu’"au féminin". Loin d’être une manière de "sentir avec", c’est un pur produit de relation d’inégalité, voire de domination. Je comprends bien que la loi doit tracer une frontière au-delà laquelle commence le délit ou le crime : le viol est donc défini par le non-consentement de la victime à certains actes de nature sexuelle. La définition précise des actes pris en compte variant avec le temps et le lieu, tout comme la définition du consentement : faut-il un « oui » ou suffit-il d’une absence de « non » ? (...)

Au-delà de l’aspect légal, le "consentement" (au féminin uniquement) n’est-il pas le signe d’une relation d’une grande pauvreté ? (...) Je ne prétends pas qu’il faut toujours se priver et priver l’autre si on n’est pas au top du désir bestial, là tout de suite sur la table de la cuisine. On peut en effet « consentir » pour un tas de raisons. Parce qu’on a envie de faire plaisir à l’autre, tout simplement. Parce qu’on l’aime, bêtement, même si on n’a pas envie, là tout de suite. Parce que dans l’intimité d’une relation entre deux - ou plusieurs - adultes, il existe une infinité de figures complexes. Mais quand une femme "consent" juste parce qu’elle se sent prise au piège, qu’elle n’a pas envie de complications, ou qu’elle a peur de passer pour une coincée du vagin, le consentement même explicite, et même si la loi n’est donc pas transgressée - eh bien, le consentement n’est rien d’autre que de la résignation à un rapport de force défavorable.

Un dictionnaire en ligne donne d’ailleurs ce délicieux exemple pour illustrer le mot : « La direction consent à l’augmentation des salaires ». Alors je vous le dis, chers camarades masculins : si quand vous batifolez avec une femme il vous suffit, pour prendre votre pied, qu’elle soit aussi « consentante » à vos caresses qu’une direction à une augmentation salariale, c’est que vous manquez vraiment d’ambition. Pour ne même pas parler de respect ou d’amour ».

La liberté sexuelle des femmes, pour moi, ne se réduit donc pas au consentement ; elle consiste à désirer, choisir, proposer ses propres règles du jeu, inventer, décider, même si le désir lui-même n’est pas tout à fait épargné par les contraintes et les injonctions d’une époque. Dans les années 70, non seulement on avait des comportements plus « libres » qu’aujourd’hui, mais aussi des désirs plus sauvages, moins formatés – ou sans doute formatés autrement. Vive la liberté, donc, mais sans leçons – ni de morale, ni de « contre-morale ». Les féministes ne sont pas les ennemies !

 

 

 

Fin du monde, côté rieurs

 

Donc, ce 21 décembre, le calendrier maya nous promet la fin du monde. Seul le village de Bugarach serait sauvé, sorte de Sodome et Gomorrhe à l'envers. Peut-être que Bugarach est le seul village au monde peuplé uniquement d'hétéros.

Les gens intelligents – disons des gens comme vous et moi – rivalisent d'imagination pour trouver la plaisanterie, le jeu de mots, la moquerie qui fera le « buzz ». Les médias qui manquent cruellement de moyens – et peut-être aussi de volonté – pour couvrir la vraie misère du monde envoient leurs plus fins limiers sur place où, faute de mieux, ils pourront toujours s'interviewer entre eux. Si d'ici ce soir, aucune secte ne tente un suicide collectif, si aucun « illuminé » ne s'immole par le feu devant les gendarmes venus en force pour prévenir toute forme d'égarement, ce ne sera pas faute de publicité. Les cinéphiles pourront intituler cette journée « Tu n'as rien vu à Bugarach ».

Nous allons donc vivre la fin du monde du côté des rieurs, des gens sérieux (ce sont les mêmes, pour une fois), de celles et ceux à qui on ne la fait pas, et tant pis pour les trouillard/e/s, les crédules, les petits enfants et les vieillards. Je me souviens de mes parents, personnes pourtant très rationnelles, que le bourrage de crâne sur le « bug de l'an 2000 » avait fini par effrayer pour de bon.

Ce matin, dans ma rue, deux ambulances étaient arrêtées devant un immeuble. Et tandis qu'à la radio, les gens intelligents se moquaient de nos peurs, je n'ai pu m'empêcher de penser à ces voisin/e/s, et aussi à tou/te/s les inconnu/e/s pour qui ce 21 décembre représentera pour toujours une vraie fin du monde, par la perte d'un/e proche. Un malheur personnel, anonyme, perdu dans une hilarité générale. Et donc, pour cette fois, je ne me sens pas du côté des rieurs.

                                                                                  

                                                                                                (Bruxelles, 21 décembre 2012)

 

 

Incroyable indulgence

« De l’homme aux lames à l’homme aux larmes »... Ce dimanche 17 février, au journal télévisé de la RTBF, on reste sans voix devant la poésie du journaliste sportif qui commence sa séquence par les « malheurs » d’Oscar Pistorius, athlète sud-africain aux jambes en fibre de carbone, arrêté pour avoir tué sa petite amie Reeva Steenkamp de quatre coups de feu, le jour de Saint-Valentin. Selon sa version, il l’aurait prise pour « un intrus ». On apprendra plus tard qu’il a tiré trois de ces coups de feu à travers la porte de la salle de bains où elle s’était réfugiée et qu’on a aussi retrouvé chez lui une batte de cricket couverte de sang. La version de la confusion avec un « voleur » ne tient pas.

Mais ce qui est le plus extraordinaire dans cette histoire, c’est l’incroyable indulgence des médias pour ce qui apparaît de plus en plus comme un meurtre avec préméditation. Certes, Pistorius est un athlète hors normes, médaillé des jeux paralympiques avant d’arriver, à force de volonté et d’obstination, à se mesurer aux Jeux Olympiques de Londres avec les athlètes valides. Mais les premières descriptions vont toutes dans le même sens : comment, un homme aussi gentil ? Aussi disponible ? Aussi accueillant ?

Et puis peu à peu, à mesure que les indices s’accumulent et l’accablent, c’est un autre portrait qui apparaît : celle d’un homme paranoïaque, obsédé par les armes, conduisant trop vite et souvent en pétard avec ses petites amies. L’une d’elles raconte comment il prétendait contrôler sa façon de s’habiller, de se comporter. Bref, le portrait-type de l’homme machiste et violent.

Du coup, le ton change : bon, Pistorius n’est pas un « gentil », mais faut le comprendre - il subissait une telle pression, le pauvre homme. Après l’incompréhension, les excès de la compréhension : dur dur d’être un athlète de haut niveau ! De plus, il aurait été sous l’influence de stéroïdes anabolisants, donc pas dans son état normal, ce qui excuse tout. Au fait, ce ne serait pas des produits dopants... ?

Ce n’est pas la première fois qu’un sportif célèbre s’en prend à sa femme. Il y a eu l’histoire hypermédiatisée de OJ Simpson, accusé du meurtre de son épouse et de l’amant de celle-ci, acquitté au pénal... mais condamné au civil. Mais il y en a d’autres. Laissons de côté les « petits délinquants », ceux qui ne font « que » tabasser ou recourir aux « services » de prostituées mineures – la pression, n’est-ce pas... - pour ne s’intéresser qu’aux meurtriers. Il n’en manquent pas.

Prenez Marc Cécillon, ancien international français de rugby. Retraité depuis 1999, il « tombe » dans l’alcool, la dépression... Air connu. Un soir de 2004, son épouse lui fait part de sa volonté de divorcer, ne supportant plus son infidélité et sa violence. Renvoyé de la fête, il revient une demi-heure plus tard pour lui coller cinq balles à bout portant. Condamné en première instance à 20 ans de réclusion criminelle, il voit sa peine ramenée à 11 ans en appel.

Plus connu encore, Carlos Monzon fut champion de monde de boxe dans les années 1970. En 1988, il est accusé du meurtre de sa seconde épouse. Il meurt dans un accident de voiture lors d’un congé pénitentiaire en 1995.

Bruno Souza est un ancien footballeur brésilien. En 2010, son ancienne petite amie et mère de son enfant disparaît. La police découvrira qu’il l’a fait enlever et séquestrer, après l’avoir déjà auparavant frappée et essayé de la faire avorter de force. D’après certains complices, le corps de la malheureuse aurait été découpé et jeté en nourriture aux rottweilers du sportif. Il est actuellement en prison en attente du jugement.

Jovan Belcher était un joueur de football américain professionnel. En décembre 2012, lors d’une dispute avec sa compagne, il prend une arme et tire sur elle à neuf reprises avant de se suicider.

« Champions et meurtriers », titre le Parisien en recensant ces quelques « faits divers ». Sans préciser que dans pratiquement tous les cas, ces (ex) champions qui auraient « pété les plombs » s’en prennent non pas à leur ex coach, des compagnons de déprime ou à un passant dans la rue, mais à leur (ex) compagne. En ne précisant pas non plus qu’il s’agit toujours d’hommes. Après de brillantes carrières, Justine Henin, Kim Clijsters, Tia Hellebaut font du théâtre ou des enfants ou au pire, des pubs pour des chaînes de pizzas. Elle ne massacrent pas leurs compagnons. Bizarre.

On ne peut s’empêcher de songer à ce député français, Jean-Marie Demange, qui a tué sa maîtresse qui voulait le quitter avant de se donner la mort : l’Assemblée Nationale a observé une minute de silence en son honneur – son honneur à lui. Décidément, pour les médias, les hommes violents restent avant tout des victimes. Et la construction d’un machisme qui tue n’est absolument pas analysée.

 

(paru sur le site de Garance, www.garance.be)

 

 

 

Houria Bouteldja, un monde en noir et blanc

Lundi 26 novembre, conférence de Houria Bouteldja, invitée par Tayush à parler des « Indigènes de la République » : un discours ferme (quoique parfois fermé), des arguments qu'on peut contester mais qui secouent les méninges, une réflexion stimulante en tout cas. Mais aussi une impression extrêmement désagréable de la salle, dont une partie est en adoration devant l'oratrice (et tient à l'exprimer longuement pour reformuler des positions pourtant très claires) et une autre partie venue régler des comptes très belgo-belges, selon un syndrome que j'appellerais « plutôt Destexhe que Goldman » (1). Bref, une atmosphère guère favorable à un quelconque débat (même s'il y eut aussi des questions et remarques pertinentes, trop rares).

Mais revenons à Houria Bouteldja et aux Indigènes. Il ne s'agira pas d'un compte-rendu mais seulement de quelques réflexions personnelles induites par le secouement de méninges que j'évoquais plus haut. Et par des parallèles avec mes propres engagements.

Premier point intéressant, le refus d'une « universalité » factice : le mythe d'un « citoyen » sans origine, sans genre, sans classe sociale, égal/e à tou/te/s les autres, mais qui se heurte, dans la réalité, aux discriminations, aux contrôles policiers, aux inégalités criantes qui décrédibilisent la prétention à la « liberté, égalité et fraternité » proclamées par la République. Houria Bouteldja, elle, ne prétend pas parler « au nom de l'universel » mais de là où elle se trouve ou plutôt de là où elle a été mise, qu'elle le veuille ou non : du côté des « indigènes ».

Deuxième point que je partage : l'exigence de choisir ses propres priorités, son propre agenda, garder le pouvoir aux mains des opprimés eux-mêmes. De ce point de vue j'ai été sensible à sa critique de la campagne « Touche pas à mon pote », où des blancs s'adressent en fait à d'autres blancs, par-dessus la tête des premier/e/s concerné/e/s. Ce qui rejoint le slogan féministe, « Ne me libère pas, je m'en charge ! »

Viennent alors mes réticences. Le colonialisme, nous dit-elle, ne s'est pas arrêté avec l'indépendance des pays colonisés. Ni là-bas, ni encore moins ici. Ses références ne sont pas seulement l'Algérie dont elle vient, et dont on connaît l'histoire douloureuse avec la France ; elle remonte aux Indiens d'Amérique, massacrés, aux Africains victimes de la traite, réduits en esclavage, tous ces « non Blancs », le terme de « Blanc » étant dans sa bouche synonyme de « dominant ». Elle a plus de mal à faire rentrer dans ses catégories les Tsiganes, lorsque la question lui est posée. Sont-ils aussi des « Blancs » ? Ou des victimes d'une forme de « colonialisme » ? Il aurait été intéressant – mais trop explosif sans doute – d'entendre sa position sur la catégorie « Juifs » : « seulement » dominants donc forcément coupables, comme ils sont, pour d'autres, « seulement » victimes, donc forcément innocents ? D'où l'indulgence d'autres « Blancs » pour l'Etat d'Israël et en face, comme en miroir, la solidarité inconditionnelle avec la Palestine, y compris avec le Hamas.

Voilà, c'est là que je ne suivais plus, dans cette image du monde en « noir et blanc », au sens littéral comme au figuré. Dans sa logique – et elle est cohérente – Houria Bouteldja répondait à un intervenant dans la salle que si l'on considère le racisme comme un système de domination, un Noir ne peut pas être raciste, puisqu'il est dominé. Ce qui conforte cette idée qu'on est soit « dominé/e », soit « dominant/e », même si elle admet qu'on peut, tout en étant dominé/e, profiter de la domination des autres, même à l'insu de son plein gré, comme les classes populaires du Nord « profitent », malgré leur propre oppression, de l'exploitation des peuples du Sud.

Mais les rapports de domination me paraissent plus complexes que cela. Car on n'a pas d'un côté « les dominant/e/s » (dans tous les domaines) et de l'autre « les dominé/e/s » (dans tous les domaines). La catégorie « gay » est certainement dominée dans un système d'hétérosexisme, mais reste dominante dans la catégorie « homme » et dans celle de « blanc ». De même, des « Indigènes » dominés peuvent parfaitement, s'ils sont hommes et hétéros, faire partie de catégories dominantes dans les rapports sociaux de sexe ou des sexualités, et profiter largement des privilèges offerts par cette position. Sans compter les dominations à l'intérieur même de ces catégories, selon l'origine (car toutes ne se valent pas en termes de minorisation), la classe sociale, les dominations croisées : mieux vaut être un hétéro blanc valide et riche qu'une lesbienne noire handicapée et pauvre, mais si l'on n'a que certaines de ces caractéristiques, ça se complique...

Aussi, plutôt que de tracer cette ligne rouge entre « dominant/e/s » et « dominé/e/s », c'est le système de domination qu'il s'agit à mes yeux de prendre en compte. Et de combattre. Ensemble, quand c'est possible; l'un/e sans l'autre et même parfois l'un/e contre l'autre, si vraiment il le faut. Mais quand Houria Boutelsja parle d' « alliances », j'entends plutôt « alignement » sinon capitulation en rase campagne : on est « avec nous » ou « contre nous », sans négociation possible.

Aussi je me sens plus bien plus proche des positions d'Angela Davis, qui fait le lien entre les différentes dominations et plaide la nécessité d'alliances, même ponctuelles, contre un système qui se nourrit du creusement des inégalités et de la division des opprimé/e/s.

 

Post-scriptum : j'étais venue à la conférence avec une question/remarque qui me taraudait, mais que j'ai préféré ne pas poser dans le climat ambiant. La voici.

Lors d'une émission de « Ce soir ou Jamais » (France 3), questionnée par Frédéric Taddéi sur le débat français autour du mariage pour tous, Houria Bouteldja a déclaré qu'elle « ne se sentait pas concernée ». Parce que même s'il y a des pratiques homosexuelles dans les quartiers où elle est engagée, cette question de mariage n'a aucune pertinence.

On retrouve là l'hypothèse d'une « hiérarchie des dominations » plutôt que d'un « système » où une discrimination renforce les autres. Pour moi, on ne peut pas séparer et encore moins hiérarchiser les discriminations et les haines (s'il fallait le faire sur base du nombre de meurtres, le machisme viendrait loin devant le racisme dans nos pays : n'oublions pas qu'en France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint, ce qui n'est – heureusement !- pas le cas des crimes racistes). Mais il y a plus. Je pense que si Houria Bouteldja ne se sent pas concernée par la question du mariage – moi non plus d'ailleurs... – elle devrait l'être par tout ce que le débat français révèle d'homophobie plus ou moins assumée, jusque là généreusement attribuée par la société française exclusivement à ces « indigènes » dont elle se réclame. Et ce qui devrait peut-être aussi la concerner, c'est l'invisibilisation et/ou le rejet que subissent les homosexuel/le/s dans son propre camp, même si leurs besoins peuvent être différents et parfois même contradictoires avec les revendications mises en avant par les mouvements homosexuels « blancs ».

Voilà, je lui ai exprimé ces interrogations par écrit, à elle de voir si elle veut prendre la peine et le temps d'y répondre.

 

Re-post-scriptum : je précise que Houria Bouteldja  m'a répondu sur l'ensemble de ces points, mais qu'elle ne souhaite pas actuellement que ses réponses soient publiées. En tout cas, c'est quelqu'un avec qui il est possible et intéressant de débattre (contrairement à certaines personnes qui passent très vite à l'insulte en cas de désaccord)

 

(1) Henri Goldman ayant dû subir une volée de critiques – il serait paternaliste dans ses engagements antiracistes, il censurerait des interventions avec lesquelles il n'est pas d'accord, il refuserait même d'envisager des positions différentes de la sienne, en particulier sur la Palestine – bref, il serait un « faux ami », donc plus dangereux, en somme, qu'un ennemi déclaré comme Alain Destexhe

Mis à jour (Jeudi, 29 Novembre 2012 17:33)

 
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