Quand ils débarquent chez vous, ils ont d'abord envie d'une boisson chaude. Puis ils demandent le code wi-fi. Parfois ils ont faim, plus rarement envie de parler avec des personnes qui n'ont pas grand-chose d'autre à leur offrir que leur bonne volonté, leur bienveillance. Et puis enfin, la chambre, un vrai lit, et la possibilité de se laver, avec des serviettes propres, des produits qui sentent bon – même si leur usage est parfois détourné, comme on le lira dans les témoignages – la possibilité, enfin, de retrouver une certaine intimité.
Ce sont des corps, comme nous. Un corps a ses besoins propres. Boire. Manger. Dormir. Eviter les blessures et les maladies. Comment font-ils, durant leur périples interminables ? Comment fait-on pour se nourrir, satisfaire des besoins primaires, préserver un minimum d'hygiène... ? Ils n'en parlent guère, moins encore que de tout ce qu'ils sont subi chez eux, puis en route, puis dans ce pays où ils ont cru trouver un lieu sinon pour construire une nouvelle vie, au moins pour se poser. Comment fait-on dans le désert ? Dans un camion rempli à ras-bords de marchandises et de gens ? Dans une barque surchargée ? Dans un parc sans infrastructures, dans la neige, sous la pluie, sous la canicule ?
Un corps de femme, c'est encore pire. Une femme a des règles – même si beaucoup d'entre elles, à force de traumatismes, ont cessé de les avoir. Une femme a appris la « pudeur », et si elle ne l'a pas apprise, on la lui impose, elle ne peut pas uriner ou se changer n'importe où. Une femme est souvent chargée d'enfants, pas toujours les siens. Une femme peut être enceinte. Une femme peut être violée. Une femme peut tomber enceinte à la suite d'un viol. En plus des peurs et des coups qu'elle partage avec les hommes, une femme a plus de risques d'être battue, sexuellement agressée, par les tortionnaires de son pays d'origine ou par les passeurs – parfois aussi par ses compagnons de route, parfois même par des « sauveurs ». Elle a la « chance » de pouvoir parfois payer « en nature ». Un prix bien plus élevé que n'importe quelle somme d'argent.
(...)
(la suite est parue dans le recueil de témoignages d'hébergeur·ses, "Perles d'accueil", éditions Mardaga)
C'est une information passée presque inaperçue : « Le conseil d'Etat vient de donner raison à un agent de la SNCB sanctionné après une grève en 2016. (...) La SNCB reprochait à son agent, un délégué syndical, de s'être exprimé dans les médias, par deux fois, sans avoir eu l'autorisation de ses supérieurs et d'avoir ainsi nui gravement à l'image des chemins de fer belges. (...) Le conseil d'Etat relève que dans les deux reportages concernés, l'agent portait la veste du syndicat dont il est le délégué, et qu'il tenait un propos directement lié à la grève du rail en cours à ce moment-là ».
Titre de l'articulet : « Un arrêt du conseil d'Etat rappelle le principe de liberté d'expression en cas de grève ». Retenez bien cette précision : « en as de grève » et ce détail : « dans les deux reportages concernés, l'agent portait la veste du syndicat dont il est le délégué » (1).
Ah, la liberté d'expression ! Ce bien si précieux que certain.e.s jugement actuellement malmené, menacé par une forme de « politiquement correct » imposé par différents « groupes de pression », qui ne sont pas forcément composés d'affreux réacs sur lesquels on peut tomber à bras raccourcis, mais souvent de « camarades », des féministes, des antiracistes... dont, soit-dit en passant, les indignations relèvent aussi de la « liberté d'expression », ce qu'on a parfois tendance à oublier. Le problème, c'est quand ces indignations mènent non pas à débattre, mais à retirer une oeuvre. Quoique le terme de « censure » soit parfois brandi bien légèrement.
L'histoire la plus connue est celle du rappeur Damso, à qui l'Union belge de football avait commandé l'hymne des Diables rouges pour le Mundial en Russie. Au vu de la violence de certains de ses textes vis-à-vis des femmes, des féministes ont protesté contre ce choix, ne provoquant d'abord qu'un haussement d'épaules footballistiques, jusqu'à ce que certains sponsors s'en mêlent, jugeant que cette affaire pourrait nuire à leur image : exit Damso. On ne peut pas pour autant parler de « censure », puisque la chanson sera bel et bien disponible (et certainement très écoutée) et l'auteur présent sur toutes les scènes, comme avant (et soutenu par les mêmes sponsors).
Mais d'autres exemples arrivent quasi tous les jours : des protestations contre un concert reprenant la « Rapsodie nègre » de Poulenc (à cause du titre), des menaces de boycott contre une pièce de Hugo Claus au KVS (à cause d'éléments aux relents colonialistes), une pétition contre un livre pour adolescentes consacré à la puberté (à cause de pages jugées sexistes), le retrait d'affiches ou même d'un tableau (à cause de leur représentation des femmes), la modification de la fin de l'opéra « Carmen » (qui tue son agresseur au lieu d'être tuée)... N'en jetez plus.
Il y a là de quoi soulever de vraies questions sur la liberté artistique, sur une certaine « réécriture » du passé, alors qu'une « contextualisation » serait sans doute préférable... Mais je voudrais revenir au premier cas cité. Car si l'arrêt du conseil d'Etat donne raison au travailleur et tort à son employeur, c'est parce qu'il s'agissait d'un salarié particulier – délégué syndical – et d'une circonstance particulière – la grève. Un.e salarié.e sans mandat, dans des cironstances normales, n'a pas le droit de s'exprimer sans autorisation de ses supérieurs, y compris sur des pratiques illégales. Ou alors c'est un.e « lanceur.se d'alerte », et c'est punissable. Ô défenseurs de la liberté d'expression, où êtes-vous... ?
(1) RTBF, 20/3/2018. La SNCB lui reprochait aussi des « faits de violence » qui n'ont pas été retenus, car c'est plutôt lui qui s'est fait agresser par une collègue
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L’idée est partie de Vie féminine et a essaimé depuis, recevant l’appui du magazine Elle puis, avec plus ou moins de conviction, de représentantes de l’ensemble des partis politiques francophones (l’exercice n’a pas encore été tenté côté flamand) : dans le prochain gouvernement fédéral, il faut un ministère des Droits des femmes.
Naturellement, à côté des appuis, on a entendu bien des sarcasmes, mais aussi de vrais questionnements : pourquoi ne pas se satisfaire d’une compétence « égalité des chances » qui existe désormais à tous les niveaux de pouvoir ? Pourquoi ne pas regrouper les minorités (ou en tout cas les catégories minorisées) plutôt que de les mettre en concurrence ?
Il est vrai qu’actuellement, les femmes sont de plus en plus souvent noyées dans la vague catégorie de la « diversité », un terme déjà significatif en soi : il laisse sous-entendre qu’il existerait un « modèle » d’humanité, l’homme blanc d’âge moyen, hétérosexuel et valide, les autres (personnes dites « de couleur », homosexuelles, handicapées, jeunes, vieux… et femmes) étant autant de « cas particuliers ». Ce qui est contestable pour ces « autres » l’est encore plus pour les femmes qui, rappelons-le, forment la moitié de l’humanité et sont présentes dans l’ensemble des autres catégories. Difficile de s’en débarrasser : une société (autoritaire) pourrait décider de mettre de côté tout aspect « autre » (apparence, culture…), expulser ses « étrangers », condamner ses homos à la clandestinité et enfermer ses personnes handicapées dans des institutions à l’abri des regards ; elle ne peut se passer d’hommes et de femmes, en proportion équilibrée, sous peine de mettre en péril sa propre reproduction.
Une domination qui se reproduit
C’est quand ils sont noyés dans l’« égalité des chances » (notion par ailleurs très libérale) que les droits des femmes entrent justement en concurrence avec d’autres revendications. Quand les moyens publics sont limités, les priorités des uns se font forcément au détriment de celles des autres. Et au sein même des catégories discriminées, on voit que souvent, la domination masculine a tendance à se reproduire et à faire disparaitre les revendications ou même la simple visibilité des femmes. Ainsi, la lutte contre l’homophobie se réduit souvent à protéger les gays, les besoins spécifiques des lesbiennes étant oubliés [1].
Et pourquoi pas, alors, une compétence de l’« égalité des femmes et des hommes » ? Parce qu’on voit bien ce qui se passe avec l’Institut du même nom (IEFH), ainsi qu’avec les politiques publiques : l’« égalité » sert trop souvent à gommer en priorité les inégalités… dont les femmes bénéficient. Ce fut le cas en matière de pensions [2] ou d’assurances [3], alors que les inégalités de revenus au détriment des femmes ne se résorbent pas. Il faut savoir qu’un tiers des plaintes arrivant à l’Institut sont le fait des hommes. Imagine-t-on qu’un tiers des plaintes pour racisme émanent de blancs, que les discriminations sur la base de l’orientation sexuelle soient dénoncées à 30 % par des hétérosexuels ou que les valides se plaignent en masse des places de parking pour handicapés ? Et qu’en plus, ces plaintes donnent lieu à des adaptations législatives ? Non, décidément, les femmes ne sont pas une catégorie « minorisée » comme les autres…
Des droits spécifiques ?
Par ailleurs, les droits des femmes dont il est question ne ressortissent strictement pas tous du domaine de l’« égalité », mais leur sont spécifiques : qu’on songe seulement au droit à l’avortement. Ils sont également très éclatés entre différents niveaux de pouvoir et/ou compétences : tout ce qui concerne les droits reproductifs est du ressort de la Santé, la règlementation du chômage dépend du ministère du Travail, les violences de l’Intérieur et de la Justice, la mise en place d’un service de paiement des pensions alimentaires des Finances, la prise en charge collective des enfants des Communautés, la lutte contre les stéréotypes sexués de l’Éducation et de l’Audiovisuel, etc.
Cette transversalité inévitable peut-elle être prise en compte par d’autres voies ? On voit bien que l’existence théorique d’un « gendermainstreaming », censé passer toutes les décisions politiques au filtre du genre pour vérifier leur impact éventuellement différent sur les hommes et sur les femmes, n’a pas empêché, par exemple, une réforme du chômage dont on sait déjà qu’elle touchera encore davantage les femmes que les hommes. Un ministère des Droits des femmes aurait pour tâche de centraliser toutes ces questions, à condition de disposer de vrais moyens financiers et humains et de ne pas être noyé dans d’autres priorités ; il pourrait aussi avancer ses propres propositions et rendre visibles les revendications des femmes.
Deux remarques personnelles pour finir.
Dans une période de restrictions tous azimuts et un gouvernement resserré, il est peu probable qu’on « sacrifie » un poste pour s’occuper des droits qui ne concernent, après tout, que la moitié de la population… (raisonnement faux par ailleurs, car les droits des femmes concernent tout le monde). Mais lancer le débat, c’est obliger à regarder en face cette vérité : malgré les discours et les lois sur l’égalité, celle-ci n’avance guère et parfois même recule.
Deuxième point, particulièrement important : comme toutes les conquêtes sociales, les droits des femmes sont d’abord le résultat de mobilisations d’un mouvement de base, dont un éventuel ministère, comme le travail de parlementaires féministes, ne peut être que le relai. Un mouvement qui aurait donc tout intérêt à une recomposition autour de revendications partagées, sans enterrer les « sujets qui fâchent », mais sans les laisser empoisonner l’indispensable programme commun.
[1] On constate actuellement une exception avec une proposition de loi qui reconnait la co-parentalité pour les lesbiennes, et pour elles seules. Mais on a échappé de peu, au nom de l’égalité, à la porte ouverte à une légalisation très contestée de la « gestation pour autrui » (les mères porteuses).
[2] Durée de carrière portée de quarante à quarante-cinq ans comme les hommes, au nom de l’égalité, ce qui n’a fait que creuser le fossé entre pensions des hommes et des femmes.
[3] Parce qu’elles provoquent moins d’accident, les femmes pouvaient bénéficier de primes plus basses. Au nom de l’égalité, c’est désormais fini.
Paru dans la Revue Nouvelle, Avril-Mai 2014
Bonjour,
C'est avec consternation que j'ai découvert votre article consacré à l'"aliénation parentale", indigne d'un journal de qualité.
Ecrire que "ce syndrome est aujourd’hui reconnu sur le plan pédopsychiatrique" est tout simplement une contre-vérité : il n'est "reconnu" que dans certains milieux (proches des) masculinistes, sphère à laquelle appartient votre "expert" Hubert Van Gyijseghem (cité notamment ici : https://stop-masculinisme.org/?p=119) ainsi que l'inventeur du SAP, Richard Gardner, très contesté notamment pour ses positions sur la pédophilie (voir par exemple ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_A._Gardner) Indiquer que sa personnalité est controversée aurait été la moindre des choses d'un journalisme honnête et/ou compétent.
Un minimum de recherches sur le net aurait également permis de constater que le SAP lui-même, loin d'être "reconnu", est très sérieusement mis en question, y compris par des autorités très officielles. Je vous cite notamment ceci : "Le ministère des Familles de l’Enfance et des Droits des Femmes vient d’annoncer la prochaine publication d’une fiche sur le site du ministère de la Justice, visant à proscrire l’utilisation du concept idéologique dénommé « Syndrome d’Aliénation Parentale » (SAP) ou « Aliénation Parentale » (AP). Depuis une dizaine d’années, de nombreux spécialistes de l’enfance et du psycho-traumatisme n’ont eu de cesse d’en dénoncer la dangerosité au regard de la protection des enfants." (source : https://www.village-justice.com/…/Expertises-Judiciaires-re…)
Votre article aurait dû au moins citer l'existence de sérieuses controverses. Sur le site de Yakapa, qui vient de la Communauté française elle-même, on peut lire ceci : "Le terme d’aliénation parentale renvoie à une théorisation linéaire simpliste qui court-circuite la complexité de chaque situation et donne l’illusion dangereuse que tout professionnel pourrait être capable de porter ce diagnostic (Phelip, 2012). Il y aurait d’un côté un parent aliénant soumettant son enfant à une emprise et à un lavage de cerveau qui l’amènerait à refuser toute relation avec son autre parent, et d’un autre côté, un parent victime, injustement coupé de tout contact avec son enfant instrumentalisé. Ceci est en contradiction avec les constatations des experts sérieux et bien formés qui savent que les situations où un enfant refuse tout contact avec un de ses parents sont parmi les plus difficiles à comprendre, et qu’elles nécessitent une évaluation longue et précise. En 2006, le Conseil national des Juges aux Tribunaux de la Famille des États-Unis a dénoncé le SAP pou son utilisation sans fondement et qui a pu avoir des effets dramatiques puisqu’elle a amené à confier des enfants en garde à des pères agresseurs sexuels, leur refus d’aller chez leur père étant considéré comme un signe d’aliénation par la mère. L'utilisation de ce "syndrome" - terme qui laisse à penser qu'il s'agit d'un état pathologique scientifiquement prouvé - a trouvé un coup d'arrêt lorsqu'en 2012, 8000 professeurs américains ont refusé son inscription au DSM, manuel diagnostique qui liste les désordres mentaux". (source : http://www.yapaka.be/…/ta-72-gardealternee-frisch-desmarez-…) On le voit, on est très loin d'une reconnaissance officielle...
Il est d'autant plus regrettable que le Soir donne ce genre d'informations, aussi fausses que dangereuses, quelques jours après que le rédacteur en chef Christophe Berti ait déclaré lors d'un colloque organisé par l'AJP son attention aux questions d'égalité hommes/femmes, et au lendemain de la tuerie de Toronto qui montre jusqu'où peuvent mener des idéologies masculinistes.
Avec mon indignation la plus sincère
Et l'article : http://plus.lesoir.be/153115/article/2018-04-24/lalienation-parentale-un-syndrome-encore-meconnu-et-difficile-identifier
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