(Réponse parue dans la Libre du 11 juillet, à une opinion du 6 juillet)
Dans votre numéro du 6 juin, vous avez publié une opinion de Marc Notredame intitulée « Parité hommes-femmes sur les listes de candidatures aux élections : une véritable supercherie ». Passons sur la démonstration « mathématique » pour en venir au coeur de son argumentation : « L’intérêt pour la politique et le désir de s’y engager ne sont pas répartis de façon strictement paritaire entre les femmes et les hommes ». L'auteur oublie juste de préciser si cet « intérêt pour la politique », caractère masculin, est inscrit dans le chromosome Y ou irrigue le corps mâle avec la testostérone. Qu'importe : après l'avoir lu, on ne peut que s'incliner et se demander s'il a été bien raisonnable d'accorder aux femmes le droit de vote, de plus obligatoire en Belgique. Le choix de la couleur des meubles de cuisine et de la marque de l'aspirateur doivent bien suffire à satisfaire leurs « intérêts » propres. Elles peuvent même, sans sortir de leur zone de confort, participer à la préservation de la planète en optant pour des produits de nettoyage écologiques. Aux unes les couches pour bébés, aux autres la couche d'ozone, et le monde sera beaucoup plus juste.
On peut, certes, contester le principe de la parité ou des quotas, et même avec des arguments sérieux, mais il faut bien constater que sans cela, les choses n'avancent pas. Si l'on sort de l'idée farfelue qu'il existerait un « gène de la politique », il reste à se demander pourquoi, « naturellement », les femmes n'arrivent pas autant que les hommes à des postes de responsabilité, alors même que les filles obtiennent de meilleurs résultats que les garçons, depuis l'école jusqu'aux études universitaires.
C'est qu'il ne s'agit pas seulement de « choix individuels » venus de nulle part, mais d'un ensemble d'obstacles posés sur la route des femmes : pour prendre une image, on pourrait dire qu'elles doivent parcourir un 110m haies quand les hommes courent un simple 100m.
Il existe des études qui démontrent comment, dès la cour de récréation, les petits garçons vont « naturellement » occuper l'espace central, reléguant les filles sur les côtés. Cela continue en classe, où les garçons sont beaucoup plus encouragés à prendre la parole, même sans la demander, alors que les filles apprennent à lever sagement le doigt (et les institutrices ont les mêmes biais que leurs collègues masculins). On peut parler des plaines de sport « natuellement » occupées par les garçons, ou encore de la façon dont, dans les familles, les exigences ne sont pas les mêmes pour les fils que pour les filles : aux premiers les jeux à l'extérieur, aux secondes l'espace privé. On peut poursuivre avec la répartition déséquilibrée des tâches domestiques et de la prise en charge des enfants et des personnes dépendantes.
Le monde politique lui-même a été organisé par les hommes pour les hommes : cela va des heures de réunion à certaines formes de « combats de coqs » - voir tout le jeu de pouvoir dans les poignées de main entre Trump et ses interlocuteurs ! Il y a aussi la non prise en compte, consciente ou non, de la parole des femmes, moins écoutées et plus souvent interrompues que leurs homogues masculins : les conseillères d'Obama à la Maison Blanche ont mis au point une technique de soutien mutuel pour que leurs contributions aux débats soient enfin entendues.
Faut-il continuer ? S'il existe bien une « discrimination positive » dans l'accès aux postes politiques, c'est bien en faveur des hommes.
Mais sur un point, on peut partager l'avis de votre contributeur sur la « supercherie » que serait la parité des listes : là où il n'existe aucune obligation, les femmes disparaissent. Pas de parité au gouvernement fédéral, une seule femme sur 8 dans le (ex)gouvernement wallon, environ 10% de femmes bourgmestres (2 sur 19 en Région bruxelloise). « Désintérêt politique », vraiment ? Ou course d'obstacles, où la parité des listes, loin d'être un « scandale », n'est guère plus qu'un faible coup de pouce ?
... de Francis Goffin, directeur des radios de la RTBF
- Francis Goffin, dans une interview dans Moustique, vous affirmez que : "En radio, ce n'est pas évident les voix de femmes, objectivement, pour des raisons de texture, c'est plus difficile que pour des timbres masculins". Certaines s'en sont offusquées.
- C'est un mâl-encontreux mâl-entendu. Il n'y a que des féministes hystériques qui peuvent douter de l'immense respect que j'ai pour toutes les femmes. Je le précise d'ailleurs dans ma réaction, que je vous prierai de reprendre telle quelle : "Sachant que la diversité – quelle qu’en soit la nature – fait partie des valeurs du service public, j’ai d’ailleurs évoqué dans l’interview le fait que nous avons été attentifs à la mixité de la nouvelle grille, tout en reconnaissant qu’elle est difficile à atteindre en radio, c’est bien connu, du fait de la tessiture des voix féminines. Je comprends que cette retranscription approximative ait pu émouvoir et je regrette cette polémique d’autant plus que confier des responsabilité à des femmes, travailler avec des collègues féminines et les respecter font totalement partie de ma conception de notre société, ceux et celles qui me connaissent et travaillent avec moi peuvent je pense largement en attester. Je présente néanmoins mes excuses auprès de celles et ceux que cette transcription de mes propos a pu choquer et suis disposé à dialoguer sur le sujet avec ceux qui le souhaiteraient" (1).
- Vous parlez de la "mixité de la nouvelle grille". Cependant, quand on regarde cette grille (2), on a dans l'ordre : Mehdi, François, Betrand, Laurent, Jérôme, Walid, Arnaud, Eddy, Didier, Philippe, et enfin une Pascale à 22h. Ah oui, j'allais oublier une Véronique égarée entre 10 et 12h, mais pour parler de « tendance », « lifestyle »... Pas un peu stéréotypé, tout ça ?
- Vous oubliez les grands journaux parlés, qui seront confiés à des femmes.
- Peut-on dire que celles-là sont affranchies des problèmes de timbre... ?
- Je vous vois venir avec vos jeux de mots foireux... L'information est souvent grise, triste, sinon dramatique, alors oui, au milieu de toutes ces guerres, tsunamis ou affaires Publifin, je considère que les femmes peuvent apporter de la fraîcheur. Ce que j'ai d'ailleurs dit dans la même interview, même si des féministes poilues n'ont pas voulu l'entendre.
- A en croire la presse, cette polémique vous a profondément touché...
- Vous savez, on donne des interviews, comme ça, on ne se méfie pas, et puis vos propos sont déformés, ou mal retranscrits. Même dans ma réaction, il y a une regrettable erreur : je ne parle pas de problèmes de "tessiture", mais "testicules ». Qu'on n'aille donc pas me chercher avec des accusations de sexisme !
(1 )Passage authentique, article de la Libre à lire ici
(2) La grille de la Première, voir par exemple celle d'un lundi
Mis à jour (Dimanche, 07 Mai 2017 08:44)
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Lantin, 9 mai 2017 : représentation par des détenues de leurs textes, résultat d'un atelier théâtre, espace de liberté.
Leurs mots sont si fort, on peut les lire dans ce recueil. Plus forts encore quand elles les disent, avec leur colère et leur peine, souvent au bord des larmes, parfois au bord du malaise.
Mais j'ai eu aussi envie d'y mettre mes propres mots, avec ce que j'ai ressenti ce soir-là. En coupant, en regroupant, en ajoutant, j'espère ne pas avoir trahi.
Elle dit
Ici chaque jour ressemble aux autres
Ressemble au jour d'avant
Ressemble au jour d'après
Lever repas travail préau repas travail préau douche repas cellule
Lever repas travail préau repas travail visite...
Visite !
Quand il y a des visites...
Quand on n'est pas au cachot...
Elle dit
La prison me sépare de mon enfant
Elle sépare mon enfant de son enfance
Trois visites d'une heure par semaine
Ou seulement deux visites par mois quand la famille s'y oppose
Au moment où l'enfant part je m'éteins
- c'est ainsi qu'elle le dit : je m'éteins -
D'accord je mérite une sanction
Mais elle
Mais lui
Pourquoi ?
Elle dit
Ici il n'y a aucune intimité
Oeilleton
Regards
Matée par le maton
A n'importe quel moment
Aussi la fouille
Etre touchée sans mon consentement
Le consentement, si précieux dehors
Elle dit
Mon duo était enceinte de deux mois et demi
- c'est ainsi qu'elle appelle sa co-détenue : mon duo -
Mon duo avait très mal au ventre
Elle s'est mise à saigner
Saigner
Et soudain elle a perdu son bébé dans les toilettes
- c'est ainsi qu'elle en parle : elle dit « son bébé » ou alors « des morceaux » -
J'ai appelé les agents
Appelé
Longtemps
L'infirmière est venue
A vu la chose
Elle a dit : ah oui, c'était votre bébé
Pas de médecin pas de gynéco ni de psy
Juste l'infirmière
Une piqûre calmante
Du paracétamol
Elle a eu mal et saigné durant deux mois
Elle dit
Ici on apprend l'égoïsme
L'échange : interdit
Le don : interdit
Le don, si précieux dehors...
Trois jours d'IES pour un paquet de tabac et deux oeufs
- elle dit : IES, Isolement en Espace de Séjour, le joli nom du cachot -
Deux mètres sur quatre
Une couverture qui pue
Le PQ distribué au coupon
Pas de cigarettes
Pas de contacts
Pas de visite
Seule au monde
Abandonnée
En cas de tentative de suicide, tarif encore plus lourd
Nuit et jour surveillance spéciale, toutes les demi-heures
Elle dit
Je suis rentrée en prison à 20 ans
J'en ai 26
Je n'ai rien vécu
Bientôt je sors
Mais comment ce sera dehors ?
Il n'y aura pas de gardienne pour me dire : lève-toi
Il n'y aura pas de gardienne pour me dire : au boulot
Pour m'apporter le repas
Des vêtements propres
Pour m'emmener à la douche
Et quand j'aurai fait quelque chose de bien, qui me félicitera ?
Qui me félicitera ?
Elle dit : bientôt je serai libre
Est-ce que j'attendrai qu'on vienne me réveiller le matin ?
Est-ce que j'attendrai devant la grille du jardin qu'on me permette de sortir ?
Ce sera comment : dehors ?
J'ai si peu vécu...
Mis à jour (Jeudi, 11 Mai 2017 14:34)
Premier mai. Retour de la fête de l'arrêt de travail du premier mai. On y vend toujours des churros, des hamburgers, de la sangria, des espoirs et des illusions. On y discute avec passion, on se reconnaît, on s'embrasse, on prend les tracts tendus, on les plie, on les fourre dans une poche, on s'arrête aux stands, ou pas, entre un mojito et les photos de martyrs de causes plus ou moins perdues. La musique est tonitruante, on écoute d'une oreille distraite, on applaudit d'une main distraite, on remarque à peine l'importante présence policière, on ouvre les sacs, on écarte les manteaux, on s'est si bien habitué à vivre sous la menace niveau 3.
Je sens une tendresse infinie pour ces femmes, ces hommes, qui auront passé une partie de la nuit, après une harassante journée de travail, à rédiger des journaux qui seront vendus à dix exemplaires par des militants aux yeux brillants, les rédacteurs eux-mêmes peut-être, et probablement même pas lus. Des journaux pleins de tous ces mots tellement prévisibles, capitalisme, mobilisations, traîtres, à bas, plus jamais, Palestine vaincra.
Il n'y a là aucune moquerie. Car ensuite, je rentre par le métro, entourée d'un tas de gens pour qui ce premier mai est juste un jour de congé comme un autre, des gens sans histoire, sans mémoire, pour qui les conquis sont de simples acquis, sur lesquels ils ne sentent même pas peser l'autre menace, celle dont aucun militaire ne les protégera. Des gens qui ne lèvent jamais la tête de leurs vies quotidiennes, elles-mêmes si difficiles peut-être, et qui foncent donc, tête baissée, vers des jours plus difficiles encore. Un premier mai que je vous souhaite d'espérance même si moi, il me serre un peu le coeur.
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