C'est une vieille blague du temps de l'Union Soviétique : les citoyen/ne/s glissaient dans l'urne, en un semblant d'élection, une enveloppe contenant un bulletin déjà rempli. Un peu plus curieux que les autres, un électeur tente d'ouvrir l'enveloppe, histoire de découvrir pour qui il a voté. Un assesseur se précipite sur lui : « Malheureux, qu'est-ce que vous faites ! En démocratie, le vote est secret...»
Apparemment, pour notre service public d'information, le vote de nos élu/e/s est également « secret » et faire connaître les choix politiques que nos représentant/e/s font en notre nom serait de la « délation ».
Résumé des épisodes précédents, pour éclairer les générations futures et donner une belle leçon de démocraties aux extraterrestres et autres barbares qui menacent de nous envahir, paraît-il : le Collège de la bonne ville de Charleroi, confronté à une pauvreté galopante, décide de s'attaquer à la mendicité. Enfin bon, la mendicité c'est compliqué, donc on va « réglementer » les mendiants, assignés chaque jour, de 8 à 18h, à une commune différente – relâche le dimanche. Toute personne surprise à mendier en dehors des jours, heures et lieux indiqués aura la tête tranchée. Euh, pardon, sa recette sera confisquée et mise de côté pour renouveler les iPhones des élu/e/s carolos. Bon, j'avoue que j'exagère, mais juste pour les iPhones, et encore (1).
Or voilà que la FGTB, syndicat que l'on croyait aussi « responsable » que son grand frère politique du PS, se mêle de ce qui ne le regarde pas (les mendiants sont syndiqués, peut-être ?) Après avoir participé à une mobilisation dans la rue dimanche dernier, prenant en otage les amateurs de messe et de couques au chocolat, voilà qu'elle prétend surveiller le vote des élu/e/s carolos lors du conseil communal qui devrait entériner (ou non, si les extratrerrestres débarquent d'ici là) la décision du Collège. Et qu'elle appelle ses militant/e/s à assister aux débats, s'engage à rendre publics le vote de chaque élu/e et désigner d'un doigt vengeur celles et ceux qui auront entériné l'infâme réglementation,pour qu'on s'en souvienne lors des prochaines élections !
Mis à jour (Mercredi, 05 Juin 2013 11:09)
« Non à la GPA, oui à l'individualisation des droits sociaux » : l'intitulé de cette « revendication », aujourd'hui simple groupe sur Facebook, un jour peut-être panneau dans la « Belgian Pride », peut paraître bizarre à certain/e/s. Quel rapport ? se demandent-ils/elles. Pourquoi faire le lien entre deux sujets en apparence éloignés l'un de l'autre, en excluant donc les personnes qui ne sont d'accord qu'avec l'un de ces deux points ?
Je vais donc brièvement m'en expliquer.
La GPA, c'est la « gestation pour autrui », terme technocratique et en apparence neutre pour une réalité plus triviale : les mères porteuses. Alors bien sûr, on peut nous servir les histoires émouvantes d'une soeur, d'une amie, ou simplement d'une femme sans lien avec le couple gay souhaitant devenir parents qui va, par générosité ou pour d'autres motifs qui lui appartiennent, accepter de porter un enfant qu'elle n'élèvera pas. Et je ne doute pas que cela existe. Mais je ne doute pas non plus que ce soit très minoritaire face à une autre réalité, bien plus sordide, celle de couples gays riches (ou en tout cas aisés) payant des femmes dans la misère (ou en tout cas plus pauvres) pour remplir un « contrat » purement commercial.
Je connais les arguments : puisque la PMA est possible pour les lesbiennes, la GPA doit l'être pour les gays. Objection : une grossesse n'est pas l'équivalent d'un don de sperme (essayez, messieurs, vous verrez). Autre argument : le même danger existe pour l'adoption, faut-il l'interdire pour autant ? Certes, pour l'adoption, il s'agit d'encadrer strictement, mais il reste une grosse différence entre l'adoption et la GPA : la première concerne des enfants qui sont déjà là et qui peuvent espérer une vie meilleure (même si on peut penser que leur vie serait encore meilleure dans leur environnement d'origine, si les inégalités sociales et géographiques n'étaient pas ce qu'elles sont) ; tandis que la GPA crée de nouveaux enfants ex nihilo. Ce n'est pas pareil.
Pour ce qui concerne les droits individuels, c'est une revendication déjà ancienne des mouvements féministes, parfois soutenue par certains partis politiques, mais assez mollement pour que le thème n'arrive jamais sur la table des négociations. Il s'agit d'une part de supprimer, immédiatement, le statut de « cohabitant », les droits sociaux ne devant pas dépendre de la (ou des) personne(s) (ou de l'absence de personne) avec laquelle (ou lesquelles) on vit. L'existence de ce statut est particulièrement nocive pour les personnes les plus précarisées, leur interdisant une solidarité qui pourrait améliorer leur vie (en partageant un logement, par exemple) ou les obligeant à « tricher » pour ne pas être privées de (maigres) allocations.
A plus long terme et progressivement, il s'agirait de supprimer les droits dérivés en sécurité sociale (branche maladie, pensions...). Il est plus difficile à expliquer comment ces pseudo « droits » piègent les femmes, mais pour qui veut comprendre, je recommande l'excellent recueil de textes "Un bon mari ou un bon salaire?" de Hedwige Peemans Poullet, aux éditions de l'Université des Femmes.
Mais cela ne résout pas la question de départ : pourquoi accoler ces deux sujets ?
Parce que l'idée de ce groupe est partie de la présentation de la prochaine Belgian Pride, le 18 mai à Bruxelles. Les « familles mises à l'honneur », et qu'y trouve-t-on ? En point 3, « La gestation pour autrui : Les futurs parents ayant actuellement recours à une mère porteuse et les femmes désireuses de porter un enfant pour autrui n’ont aujourd’hui aucun cadre légal dans lequel ils/elles peuvent inscrire leur démarche. L’absence de loi expose toutes les parties à des risques multiples et importants, notamment ceux liés à l’arbitraire de l’une d’entre elles, en méconnaissance totale des droits de l’enfant. Les autorités fédérales doivent encadrer légalement les recours à la gestation pour autrui afin de garantir et de protéger toutes les personnes impliquées, particulièrement les enfants issus de cette démarche ». Comme si toute discussion était déjà close et le point de vue entériné.
Et que n'y trouve-t-on pas ? Toute allusion aux droits individuels, qui vont évidemment à l'encontre de cette célébration de la « famille », fût-elle atypique. Lorsque le mariage était revendiqué par le mouvement homosexuel, on entendait dire que, une fois qu'il serait obtenu, les droits individuels seraient mis en avant. J'étais déjà sceptique à l'époque, mais voici : c'était il y a dix ans, et le sujet semble avoir complètement disparu du côté des LGBTQI (j'espère que je n'oublie personne) organisé/e/s (mais surtout du côté des LG).
Le voilà donc, le lien : deux sujets importants pour les féministes (même si toujours en débat dans certains courants) et évacuésdu débat par le mouvement homosexuel, soit en étant ignoré, sit en paraissant tranché. Pour rappel : les féministes ont largement soutenu les revendications des gays et des lesbiennes (c'est moins évident pour les trans), on l'a encore vu dans la récente bataille française autour du « mariage pour tous ». On aimerait que la réciproque existe parfois aussi. Mis à jour (Dimanche, 12 Mai 2013 13:40)
|
Cela aurait pu être une belle journée. Un peu de soleil entre de longues semaines de pluie. La France qui promulgue le droit au mariage et à l'adoption pour les couples du même sexe – ce qui, après tous les débordements homophobes des opposants, est une bonne nouvelle même pour une militante anti-mariage comme moi.
Cela aurait pu être une belle journée à Bruxelles, une Pride colorée, pleine de bisous, de rires et de voitures d'enfants, de jeunes, de vieux et de vieilles, d'homos joyeux/ses et d'hétéros solidaires – pleine de chars commerciaux et bruyants que j'aime moins, aussi, mais il en faut pour tous les goûts.
Pourtant aujourd'hui, je ne serai pas dans le cortège, pour la première fois depuis que les Pride existent.
Je n'y participerai pas parce que l'une des revendications principales de cette manifestation sera, parmi d'autres demandes plus légitimes, un point qui me reste en travers de la gorge : la « Gestation pour autrui », autrement dit la légalisation des mères porteuses. « Les autorités fédérales doivent encadrer légalement les recours à la gestation pour autrui afin de garantir et de protéger toutes les personnes impliquées, particulièrement les enfants issus de cette démarche » : voilà le point 3 des revendications de cette année.
« Don de gestation »
Et pour enfoncer le clou, l'asbl Homoparentalités présentait ce vendredi 17 mai une proposition de loi pour encadrer ce qu'elle appelle poétiquement le « don de gestation ». Ces termes ne sont pas innocents : parler de « don » prétend d'une part effacer tout soupçon de marchandisation du corps des femmes et d'autre part, plus subtilement, faire le parallèle avec le don de sperme. La femme qui porterait l'enfant est d'ailleurs appelée « la donneuse » (alors qu'en fait, s'il y a bien une « donneuse », c'est celle chez qui a été prélevé l'ovulet). Comment peut-on mettre sur le même plan une masturbation devant des revues porno (d'accord, je suis triviale et je simplifie, mais je suis très en colère!) et le fait de se faire implanter un embryon (plusieurs tentatives sont souvent nécessaires), porter un enfant pendant neuf mois, le sentir bouger dans son ventre, passer par un accouchement qui est tout sauf une partie de plaisir avant de céder, non pas des paillettes dans un flacon mais un être vivant, avec en plus tous les risques pour la santé physique et psychologique des différentes étapes (et parfois encore bien au-delà) !
Mais les auteurs de la proposition se sont tellement préoccupés du rôle de la « donneuse » qu'à la question de savoir ce qu'il en serait du congé de maternité, ils sont bien dû admettre, un peu penauds... qu'ils n'y avaient pas pensé. En effet : un utérus n'a pas besoin de congés.
Pour ce qui en est de la marchandisation, la proposition la rejette avec force tout en prévoyant un « dédommagement financier » qui pourrait aller au-delà des frais engagés (soins médicaux, perte de revenus professionnels...), ce qui serait « la seule façon concrète d'exprimer l'infinie gratitude éprouvée envers la donneuse, permettant d'envisager une relation exempte d'un profond et paralysant sentiment de dette ». Autrement dit, si jamais la mère manifestait une « incapacité » à se séparer de l'enfant, les « parents d'intention » (encore une belle invention linguistique) pourraient lui dire : « Prends l'oseille et tire-toi ».
Mis à jour (Samedi, 18 Mai 2013 19:54)
Le 24 avril, un immeuble abritant (ou plutôt exposant) quelque 3000 travailleur/se/s du textile s'effondre au Bengladesh : plus de 1000 morts. La veille encore, des ouvriers s'étaient inquiétés de fissures, mais avaient été obligés de retourner au travail.
A peine deux semaines plus tard, un incendie dans un autre atelier à Dacca cause la mort de 8 personnes. 18 usines sont fermées par le gouvernement, car elles ne répondent pas aux normes de sécurité.
Il a fallu un drame – disons plutôt : un crime - de cette ampleur pour mettre crûment en lumière une réalité que des associations (1) dénoncent depuis de longues années : la surexploitation des travailleur/se/s textiles du Sud, sans des conditions souvent épouvantables, pour le plus grand profit des consommateurs du Nord, mais surtout de leurs multinationales, qui se targuent pourtant souvent de « responsabilité sociale ».
Il se fait qu'en 2004, j'ai eu l'occasion d'accompagner le « M. Ethique » de la multinationale française PPR (2) en Inde, plus précisément à Tirupur, visiter une entreprise travaillant en sous-traitance pour La Redoute.
PPR se voulait très en pointe en ce qui concernait la responsabilité sociale, brandissant fièrement un luxueux « code de conduite » imprimé en quadrichromie. Et M. Ethique – appelons-le Thomas – y croyait vraiment. Dans une grande volonté de transparence, il m'a proposé, en tant que secrétaire du Comité d'entreprise européen, de l'accompagner dans son audit social, avec la possibilité d'assister à toutes les rencontre, le suivre dans tous les ateliers. Ce qui m'a permis d'apprendre en quelques jours plus qu'en des mois de lecture.
L'Inde n'est pas ce qu'il y a de pire en matière de conditions de travail, car il existe des législations, même minimales, concernant la sécurité, la liberté d'association ou la limitation des heures supplémentaires – ce qui est loin d'être le cas dans d'autres pays. Et l'entreprise que nous avons visitée n'était pas la pire de ce qui existe en Inde, à en croire des ONG locales que nous avons eu l'occasion de rencontrer sur place, dont la très critique SEWA (3) qui ne croyait guère en l'efficacité de ces « audits » commandités ou réalisés par les donneurs d'ordre, et considérait Thomas comme un grand naïf. Mais Thomas était content de me montrer qu'il ne craignait pas d'écouter les ONG (à défaut de tenir compte de leurs suggestions).
Premier constat : les visites sont annoncées quelques 15 jours à l'avance, ce qui laisse largement le temps au patron de l'entreprise locale de faire nettoyer les ateliers, installer des pictogrammes indiquant les sorties de secours, renouveler les extincteurs et si nécessaire, renvoyer chez eux les éventuels enfants-travailleurs en attendant les temps meilleurs (sans audit). Dans l'atelier visité, on nous a juré que jamais aucun/e travailleur/se de moins de 15 ans n'avait mis le pied, mais ce n'est ceertainement pas le cas ailleurs : nous avons pu rencontrer une association qui s'occupe de remettre dans le circuit de l'école des gosses de 7, 8 ans arrachés des usines. Thomas était content : les enfants étaient bien pris en charge.
Pas d'enfant donc dans nos ateliers, tout semblait propre, sécurisé. A ma question sur le travail des hommes et des femmes, le propriétaire nous a assuré qu'une parfaite égalité était respectée, à la grande satisfaction de Thomas. Pourtant, le contraire sautait aux yeux : les hommes étaient aux machines (couture, repassage...) tandis que les femmes ramassaient les déchets à terre et s'occupaient de quelques finitions manuelles – le salaire étant bien sûr à l'avenant.
A la demande de Thomas, nous avons pu rencontrer plusieurs travailleur/se/s hors la présence de la direction – certes avec un interprète désigné par le patron, pas la faute de Thomas si ces gens n'avaient jamais pris la peine d'apprendre l'anglais ! Tou/te/s se disaient content/e/s de leurs conditions de travail, Thomas était ravi.Tout au plus avons-nous entendu comme une pointe de regret sur la faiblesse de la paie, mais qui ne se plaint pas pas de son salaire, y compris chez nous ? A la question de savoir s'il y avait un syndicat dans l'entreprise, ils et elles ont répondu « oui » en choeur. Thomas était de plus en plus content. Mais quand j'ai eu l'idée saugrenue de leur demander le nom de leur délégué/e,je n'ai pas eu de réponse. Thomas était un peu décontenancé, mais il a été vite rassuré : les noms des délégué/e/s, le propriétaire les connaissait sans même devoir consulter ses notes.
Bref, Thomas a passé une excellente journée. Il a juste froncé les sourcils en constatant dans les registres que lors de baisses de production, certain/e/s étaient renvoyé/e/s à la maison sans être payé/e/s. Pas bien, ça, a-t-il dit au propriétaire, si vous décidez de renvoyer les gens, vous ne pouvez pas retenir leur salaire. A quoi l'autre a répondu en maugréant (mais pas trop fort, après tout, il n'était pas en position de force) : « Payez mieux les produits, et je pourrai payer les congés forcés ! » Thomas n'a pas entendu ou en tout cas, il a fait comme si.
Le soir, dans le jardin de l'hôtel où nous dînions avec des cadres locaux et des collègues « M/Mme Ethique » d'autres entreprises, je suis revenue sur la modestie des salaires. Une ONG nous avait donné une estimation de ce que serait un revenu « décent » pour faire vivre une famille avec deux enfants, payer le loyer, la nourriture, les vêtements, les déplacements, l'école, la santé, et un minimum de loisirs. Les travailleur/se/s de l'usine visitée ne pouvaient atteindre cette somme, ai-je calculé, qu'en travaillant tous deux aux postes les plus qualifiés et en acceptant le maximum d'heures supplémentaires autorisées, tout au long de l'année (donc sans tenir compte des baisses de production saisonnières). Thomas a répliqué que le salaire nécessaire pour vivre décemment était une donnée trop « subjective » pour être prise en compte, mais qu'en tout cas, l'usine respectait la législation locale.
J'ai alors demandé à la respectable compagnie ce qui se passerait selon elle s'li prenait au gouvernement indien l'audace de changer cette législation, en augmentant par exemple le salaire minimum. Silence embarrassé, puis l'un d'eux, sans doute le vin aidant, a répondu dans un élan de sincérité : « Eh bien, je suppose qu'on délocaliserait vers des sous-traitants dans des pays moins chers ». Des « pays moins chers », ou moins regardants : comme le Bengladesh.
Voilà, c'était un audit social, rien à signaler, ou presque, avec les félicitations du jury. Après ça, étonnez-vous que des usines au Bengladesh s'effondrent ou brûlent, et que les multinationales occidentales s'en lavent les mains. Elles peuvent fournir, sur simple demande, des « codes de conduites » en quadrichromie.
P.S. Six mois plus tard, Thomas démissionnait de son poste, pour se lancer dans d'autres aventures. J'aurais aimé savoir pourquoi.
(1) Dont Campagne Vêtements Propres, devenue achACT, www.achact.be
(2) Pinault-Printemps-Redoute, qui possède aussi la Fnac mais s'est reconverti depuis dans le luxe et le sport (Gucci, Puma)
(3) Self Employed Women Association, www.sewa.org
Mis à jour (Samedi, 11 Mai 2013 10:53)
|