Ni fête, ni travail, ni muguet

1er mai : partout, des stands de muguet. Partout, la glorification du travail. Partout, l'idée de « fête ». Les socialistes la revendiquent comme la « leur », les libéraux prétendent qu'ils en sont les vrais propriétaires et Marine Le Pen va parader à la gloire de Jeanne d'Arc...

C'est le moment de rappeler que le 1er mai n'est ni un simple jour de congé, ni la « fête du muguet », ni une célébration du travail à la sauce libérale... mais la journée internationale des travailleur/se/s, une journée de lutte. Chaquée année, le 8 mars, on nous remet la « fête de la femme » au lieu de la « journée internationale des femmes » ; pour le 1er mai, c'est pareil, la « fête du travail »...

Eh bien non, le 1er mai, c'est autre chose ! En souvenir du 1er mai 1886 à Chicago (Etats-Unis), du 1er mai 1891 à Fourmies (France), des manifestations répimées dans le sang mais qui ont fini par déboucher sur la conquête de la journée de 8 heures... Loin donc du « travailler plus pour gagner plus », loin du « travailler dans n'importe quelles conditions pour ne pas se faire accuser d'assistanat », loin même du travail comme « valeur » en soi... Au contraire, l'exigence d'une vie qui n'est plus entièrement dévorée par le boulot, le droit à un revenu décent, à la possibilité de s'organiser collectivement pour obtenir de meilleurs salaires, une meilleure protection sociale aussi lorsqu'on n'a pas ou plus d'emploi.

.... Toutes choses remises en cause aujourd'hui ! Alors tous ces « fêtards » récupérateurs, qu'ils soient socialistes ou libéraux, mériteraient d'avaler leur brin de muguet (qui est, je le rappelle, un poison notamment pour les chats, qui savent ce que la vraie lutte veut dire...)

Et pour enfoncer le clou, ce petit rappel historique (1) : « Hitler, pour se rallier le monde ouvrier, fait, dès 1933, du 1er mai une journée chômée et payée. (... En France), c'est sous l'Occupation, le 24 avril 1941, que le 1er mai est officiellement désigné comme la «Fête du Travail et de la Concorde sociale» et devient chômé ».

« Fête du travail et de la concorde sociale » : on comprend que ça fasse saliver les libéraux de tout poil...

Allez, bonne lutte, camarades !

 

 

(1) Pour une brève histoire du 1er mai, voir http://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=18860501

 

 

Ali Bobo et les 40 valeurs

C'est un joli mot, qui désigne un beau concept. Pourtant, je ne supporte plus de le lire ou de l'entendre.

J'y tenais autrefois, il me servait de bouclier contre la pression du quotidien, les petites compromissions confortables, des minuscules lâchetés qu'on espère sans conséquences. Oui, je pourrais avoir un meilleur boulot, un plus gros salaire, une vie plus facile, mais... cela m'obligerait à des paroles et des actes contraires à mes valeurs.

"Valeurs" : le grand mot est lâché. C'était mon talisman, mon grigri. Mais ça, c'était avant. Avant que la Grande Beaufferie ne s'empar de cette merveilleuse notion.

Désormais, on n'entend que ça : « nos valeurs ». De gauche à droite, même rengaine : "défendre nos valeurs". Bernard Westphael crée son nouveau parti ? C'est au nom de "ses valeurs" (1). Marine Le Pen lance son assaut sur la République ? C'est au nom des "valeurs de la France", guère différentes d'ailleurs pour certaines d'entre elles. C'est dire qu'au nom des mêmes "valeurs", on peut défendre des projets opposés. "Nos valeurs". Estampillées occidentales. Proclamées universelles. Tellement universelles que pour mieux s'imposer, elles doivent exclure, disons à la louche, les trois quarts de l'humanité.

 

Les piscines doivent être mixtes... pas le pouvoir

Entendons-nous bien : je n'ai pas renoncé à l'égalité, la justice sociale, les droits humains, et autres trésors. Mais je ne supporte plus cette manière de les balancer comme autant de pavés dans la gueule de ceux qu'on voudrait bien rejeter à la mer.

Dans « nos valeurs », il y a celles qu'on brandit comme si cela suffisait à nous dispenser de les mettre en oeuvre. Prenons un exemple, très en vogue actuellement : l'égalité entre les femmes et les hommes. Une valeur fondatrice de notre société, entend-on, jusque sur des plateaux de télévision exclusivement masculins. Et voilà tous les regards courroucés (et mâles) se tournant vers le malheureux Ali (appelons-le ainsi pour indiquer d'où viendrait le « péril contre nos valeurs »), sommé de s'expliquer sur son supposé refus de la mixité. Parce que chez « nous », n'est-ce pas, la mixité c'est sacré. Sinon dans les débats télévisés ou les cercles du pouvoir (surtout économique mais aussi politique et intellectuel), en tout cas dans les piscines. Voilà, c'est dit. L'inégalité, c'est comme l'enfer, c'est les « autres ». Et c'est ainsi qu'on a pu entendre Edouard Delruelle, philosophe et co-directeur du Centre pour l'Egalité des Chances affirmer très sérieusement (2) que le « patriarcat » (les guillemets sont de lui : on n'est jamais trop prudent avec les gros mots), on peut le trouver dans des « communautés hindoues d'Angleterre ». Il a dû chercher, le pauvre, mais il a fini par le débusquer. Bien sûr, pas chez nous.

On pourrait faire l'exercice avec d'autres « valeurs » tout aussi sacrées – et inappliquées. Parlons donc de respect des droits humains dans nos prisons surpeuplées ou nos centres fermés pour sans papiers. Parlons de justice sociale dans les entreprises qui jettent leurs travailleur/se/s au rebut, tout en engraissant leurs actionnaires. Et parlons de ces autres « valeurs » qu'au contraire, nous évitons d'étaler au grand jour, bien qu'elles guident plus que d'autres le fonctionnement de nos sociétés : la concurrence plutôt que la solidarité, la réussite individuelle plutôt que le progrès collectif, le « plus » plutôt que le « mieux », et j'en passe...  y compris la valeur dans son sens le plus monétaire. Des valeurs « universelles », vraiment ?

 

Des luttes moquées aux "valeurs sacrées"

Encore une fois, je précise : loin de moi l'idée de cracher sur nos démocraties, aussi imparfaites soient-elles, pour leur préférer des dictatures qui rejettent ce qu'il y a de meilleur chez nous, ne serait-ce qu'en théorie. Mais plutôt que de « valeurs » abstraites qui nous auraient été léguées par nos grands penseurs du passé (dont beaucoup étaient racistes, sexistes et/ou admirateurs des classes dominantes), il s'agit là de conquêtes, résultat des luttes des dominé/e/s ; luttes de Noir/e/s, d'immigrant/e/s, d'ouvrier/e/s, de femmes, de minorités sexuelles, luttes longtemps réprimées ou moquées ; conquêtes toujours fragiles et susceptibles de reculs si les rapports de force s'inversent, comme cela semble malheureusement le cas actuellement.

Lutte, conquête... voilà un vocabulaire peut-être un peu trop guerrier, mais les valeurs, mes chères valeurs ont été trop galvaudées. Je les remballe donc pour des temps meilleurs.

 

(1) Voir par exemple ici, trois fois le terme "valeurs" (fortes, princiaples...) en quelques lignes : http://www.lalibre.be/actu/politique-belge/article/734638/le-melenchon-wallon-recrute-a-tour-de-bras.html

(2) Emission de la RTBF Mise au Point du 22 avril 2012

Mis à jour (Vendredi, 27 Avril 2012 15:06)

 

Lettre ouverte aux travailleur/se/s de la STIB

Chers travailleurs et travailleuses de la STIB, chers camarades,

 

Vous avez été bouleversé/e/s par la mort de l'un des vôtres, et tout le monde – voyageurs, grand public, direction, politiques, médias – a semblé comprendre votre émotion et votre colère. Vous avez arrêté le travail et là encore, les premiers jours, vous avez été largement suivis, malgré le désagréments causés à certain/e/s. Puis, en rangs dispersés, vous avez décidé de poursuivre, et les leçons de morale n'ont pas tardé. « Le travail doit reprendre à la STIB » ! éditorialisait le Soir du 10 avril. Le tic de langage des « voyageurs-pris-en-otage » a repris du service.

En ce qui me concerne, je ne suis qu'une de ces voyageuses quotidiennes sur vos lignes. J'essaie de dire bonjour aux chauffeurs, certains répondent, d'autres pas. J'ai assisté à toutes sortes de scènes, depuis le bus qui démarre au nez d'un voyageur un peu lent jusqu'au conducteur qui quitte sa cabine pour orienter un/e touriste égaré/e ou aider une personne encombrée d'une poussette ou d'un caddy à monter dans son véhicule. J'en ai vu démarrer comme des brutes alors que des personnes âgées se dirigeaient difficilement vers un siège et d'autres, patients et attentionnés, risquant de prendre un retard qu'on pourrait leur reprocher.

Bref, vous êtes comme nous, gentils ou grognons, serviables ou je-m'en-foutistes, selon les personnes et selon les jours. Et il n'y a aucune raison que vous soyez plus sympas ou meilleurs que nous.

Même si votre grève a compliqué mes activités, je ne me permettrais pas de vous dire ce que vous avez à faire. Par contre, je voudrais vous exprimer mon sentiment personnel d'usagère des transports publics – d'usagère, pas de « cliente » comme on tente de me qualifier désormais - quant à vos demandes et aux réponses des politiques.

Si le drame d'Iliaz Tahiraj a particulièrement frappé les esprits, il reste (heureusement) exceptionnel par rapport à ce que vous vivez tous les jours et qui vous met les nerfs en boule : les râleries, les insultes, les « incivilités » (y compris de la part des automobilistes), les gestes et les mots de mépris, les tensions même quand elles ne dégénèrent pas. Pensez-vous vraiment qu'une présence policière accrue rendrait l'atmosphère plus légère, plus conviviale, et votre travail plus agréable ? Pensez-vous vraiment que la sécurité et mieux encore, le sentiment de sécurité, ne sont qu'une question de répression ou de menaces ? Je me souviens bien, il y a quelques mois, sur la ligne que j'emprunte plusieurs fois par semaine, de la présence des « cowboys » de Securitas : leur façon de reluquer les jeunes femmes, leurs chiens qui faisaient peur aux personnes âgées et aux enfants ou encore cette scène de l'un d'eux descendant d'une rame pour shooter, sous l'oeil rigolard de son collègue, dans un panneau d'information ! Franchement, ils ne m'ont donné qu'un seul sentiment : l'envie d'être débarrassée de leur présence !

Aujourd'hui, la tendance générale – ce n'est pas particulier aux transports en commun – est d'une part de mettre en avant la répression et d'autre part, de remplacer les humains par des machines. Dans une station de métro, je me sens nettement plus rassurée par la présence d'agents de la STIB que par les portiques automatiques. Ils contribuent peut-être à combattre la fraude, mais certainement pas à sécuriser. Un oeil humain me paraît à la fois plus sympathique et plus rassurant que celui d'une caméra. Pourtant, des fortunes sont englouties dans une « machinisation » sans fin. Le grand projet du futur n'est-il pas de faire rouler des métros sans conducteur ? Je parie que plus tard, on s'apercevra du manque de présence humaine... et on tentera à grands frais de retisser ce lien social qu'on aura brisé. En ce jour où vous enterrez votre collègue, la SNCB annonce triomphalement l'automatisation des annonces dans les gares : une voix humaine, témoignant d'une présence humaine, remplacée par une voix formatée d'hôtesse virtuelle ! Et ce serait un "progrès" !

Vous voyez, il y a bien des choses à faire. Investir dans l'humain plutôt que dans des machines. Former le personnel à désamorcer les conflits. Eviter de dresser voyageurs et personnel les un/e/s contre les autres mais au contraire, imaginer ensemble des transports plus conviviaux, moins stressants pour vous comme pour nous. En vous respectant en tant que travailleur/se/s et en nous respectant en tant qu'usager/e/s. Et cela, ce ne sont pas des dizaines, des centaines de policiers en plus qui pourront nous l'apporter. Alors, tant qu'à peser sur les décisions politiques, si on prenait les questions de sécurité, mais aussi de bien-être, par un autre bout ?

 

Au plaisir de vous rencontrer sur vos lignes.

 

 

 

 

 

 

Femmes-hommes : l'égalité mérite mieux !

 

 

Dans la vague d'indignations diverses (et que je partage) soulevées par l'émission Questions à la Une consacrée à (la peur de) l'islam (1), il est un élément rarement pointé et qui me paraît pourtant central, tellement il devient répétitif : l'instrumentalisation de l'égalité entre hommes et femmes pour stigmatiser ces « autres » qui, contrairement à « nous », oppriment leurs femmes.

C'est, hélas, devenu un véritable fonds de commerce pour des groupes, des médias, des partis, qui se soucient de cette égalité comme de leur premier poil de moustache, mais n'hésitent pas à monter en première ligne pour défendre cette « valeur fondamentale de notre culture ». Car cette égalité ne serait pas seulement une valeur nous distinguant du bonobo et d'autres peuplades n'ayant pas atteint notre degré de civilisation, mais serait même un acquis chez nous, comme on peut le constater en regardant le plateau de nos débats télévisés, les tribunes des forums économiques, les grands rendez-vous politiques de la planète occidentale ou encore, en consultant les statistiques sur les violences (éradiquées ?) faites aux femmes, l'écart salarial (comblé ?) ou le partage (équilibré ?) des tâches domestiques. Et j'en passe.

"La fête de la femme" !

Qu'on me comprenne bien : les propos relevés dans l'émission sont inacceptables, parfois grotesques (comme sur le 8 mars , cette « fête juive » donc pas halal), souvent consternants (le contenu de certains livres prônant la soumission de « la » femme). La vision des jeunes sur les rapports hommes-femmes semble aussi tirée de vieilles casseroles. Mais enfin, d'un côté ce n'est pas généralisable à tous les musulman/e/s et de l'autre, ce n'est hélas pas spécifique à l'islam le plus borné. Les masculinistes qui rabâchent (y compris à l'invitation de la RTBF) les périls de la « féminisation » de la société ? Les théories fumeuses sur « Mars et Vénus » - les femmes ne sont qu'amour et empathie, les hommes sont de guerriers... ? Voilà des discours "bien de chez nous", et pourtant ! Sans oublier toutes les inégalités persistantes et le peu d'écho que rencontrent les féministes quand elles tentent de les dénoncer. Ou la méconnaissance crasse des journalistes qui se font, pour la bonne (ou la mauvaise) cause, les héraults d'un soir de l'émancipation des femmes : il faudrait dire à Frédéric Deborsu (le journaliste qui a commis le reportage) et à Bruno Clément (le responsable de l'émission) que le 8 mars, pas plus qu'une « fête juive », n'est pas, comme cela a été dit dans l'émission la « fête de LA femme (...) pour célébrer l'égalité entre les hommes et les femmes » mais une journée de lutte DES femmes contre les inégalités toujours persistantes.

Dans un papier qui pourtant défend l'émission (2), Felice Dassetto souligne un passage très significatif montrant une jeune musulmane rebelle : « Intéressant, par son ambiguïté, le propos de Deborsu, pour qui une femme avec une tenue provocante est de manière évidente émancipée. On est là au cœur d'un des débats que les musulmanes amènent avec leurs revendications ». Il n'y a là, hélas, aucune ambiguïté : pour nos frais (et très relatifs) convertis à la cause des femmes, la seule « libération » possible est vestimentaire. Ceux-là adorent les « slutwalks ». Quant au « débat » auquel F. Dassetto fait allusion, il n'a malheuresement pas lieu.

 

Rien que du "vrai"

Un mot encore : l'argument de défense de la RTBF, c'est que tout ce qui est montré est « vrai ». Comme si l'accumulation de faits « vrais » finissait forcément par construire une « vérité ».

Imaginons donc une tout autre émission, sur le thème : « Faut-il craindre une montée de l'homophobie dans la République française »( sous entendu : laïque) ?

On pourrait interroger l'un/e des 50 « maires pour l'enfance » qui militent activement contre la reconnaissance du mariage homosexuel (3), se disant soutenus par plus de 10 000 autres qui n'osent pas se mettre en avant (parce que, n'est-ce pas, le lobby gay... ce ne serait pas dit, mais suggéré). Un subtil montage montrerait en fond d'image la manif anti-PACS avec le fameux slogan « Les pédés au bûcher » (tout à fait authentique), sans oublier la petite musique dramatisante, des fois qu'on n'aurait pas compris le message « attention, danger ». On ajouterait l'une ou l'autre interview, faite de préférence quelques semaines plus tard, qui affirmerait que la manif ne se voulait absolument pas homophobe. Bien entendu, on ajouterait rapidement que tous les élus français ne partagent pas ces prises de position, qu'ils sont ouverts, tolérants... mais malheureusement, on n'aurait pas le temps de les entendre.

Ensuite, sur une musique guillerette, on montrerait les images d'un événement récent, filmé sans même le besoin d'une caméra cachée : un imam célébrant le mariage entre deux hommes (4), avec interview de Mohamed Zaheb, l'un des époux et auteur du livre « Le Coran et la chair », expliquant comment l'islam est homo-compatible. Zoom sur le baiser des heureux mariés, dernière petite allusion aux maires anti-mariage, générique de fin.

Tout est vrai : le collectif de maires, la manif homophobe, le mariage homosexuel. Alors, faut-il en conclure que les homos français devraient davantage faire confiance aux imams qu'aux élus, dans ce pays si fier de sa laïcité... ?

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A noter que le Vlaams Belang n'a que du bien à dire de l'émission, réservant ses flèches au "despote Moureaux" (qui en l'occurrence a bien cherché les ennuis avec ses comparaisons foireuses). Bien sûr, ce n'est pas parce que le VB dit qu'il pleut qu'on peut en conclure que le soleil brille. Mais dans ce cas, c'est tout de même significatif. (Comme d'habitude en ce qui concerne l'extrême-droite, je ne donne pas le lien).

 



 

 

 

Mis à jour (Vendredi, 20 Avril 2012 11:10)

 

De la STIB, du foot et de la masculinité

Qu'y a-t-il de commun entre Iliaz Tahiraj, superviseur à la STIB mort à la suite d'un coup de poing reçu à la tête, et le football ? En apparence rien. Pourtant si.

Le 18 mars dernier, vers la fin d'un match tendu, le défenseur anderlechtois Marcin Wasilewski – pourtant lui-même victime, en 2009, d'une agression de la part d'Axel Witsel, qui l'a éloigné de longs mois des terrains – envoie un adversaire au tapis, d'un coup de coude volontaire. Le joueur de Saint-Trond Peter Delorge perd connaissance et est transporté à l'hôpital, avec une commotion cérébrale et une fissure du nez. Suspendu pour six matches, dont deux avec sursis, Wasilewski est défendu bec et crampons par ses petits camarades : il ne l'aurait « pas fait exprès » (ce que les images démentent) mais surtout, il ne serait pas vraiment méchant, il aurait seulement un « jeu viril » et d'ailleurs, la sanction est injuste car « le foot est un sport d'hommes », selon les termes de Matias Suarez, son co-équipier et Ballon d'Or 2011.

Les politiques et les médias n'ont pas de mots assez durs pour l'homme qui a frappé le superviseur. Mais sans faire le moindre rapport avec les brutes qu'on voit régulièrement sévir sur les terrains de football.

C'est grave. Parce que le foot, ça fait rêver les petits garçons (et de plus en plus de petites filles), parce que ce sport est présenté comme une sorte de chevalerie moderne, qu'un geste « sportif » est censé correspondre à une preuve de fair-play et pas à un coup de poing dans le visage de l'adversaire. Pourtant, les tricheurs sont présentés avec une certaine sympathie (« ben oui, j'ai marqué de la main, mais héhé, l'arbitre n'a rien vu... ») et les agresseurs font l'objet d'une curieuse indulgence. La direction d'Anderlecht, au début très sévère avec son joueur, songe maintenant à faire appel contre une « décision injuste ». C'est la correctionnelle qu'un tel geste mériterait !

Mais au-delà de l'hypocrisie qui fait qu'un joueur de foot n'est pas tout à fait un citoyen comme les autres, il y a cette affirmation, combien de fois répétée par les commentateurs sportifs comme par les joueurs eux-mêmes : le foot n'est « pas un sport de fillettes » (c'est vrai, les fillettes se tirent par les cheveux tandis que les joueurs se tirent par le maillot – du moins les plus gentils d'entre eux). Il faut donc s'interroger sur cette histoire de « virilité » et de « sport d'hommes » qui justifierait, sur un terrain de foot, ce qui est condamné avec tant de force – et avec raison – dans la vie de tous les jours.

Quoique la condamnation elle-même n'est pas si évidente : elle est surtout brandie quand les choses dérapent gravement, et/ou que la victime a un statut particulier. Une certaine violence, sous forme d'une « saine agressivité » qui ferait partie de la « masculinité » est même valorisée socialement, notamment dans la publicité (1).

Dans les débats sur les faits de violence et leurs causes, on pointe, selon ses convictions, de droite à gauche : une immigration mal contrôlée, la perte de repères et de valeurs, la responsabilité individuelle, les frustrations personnelles, une enfance malheureuse, le chômage, la pauvreté... Une particularité des agresseurs, qui saute pourtant aux yeux, est beaucoup plus rarement relevée : leur appartneance au genre masculin. Si les victimes peuvent être aussi bien des hommes que des femmes, les auteurs, eux, sont masculins à une écrasante majorité (2).

Il ne s'agit évidemment pas de dire que tous les hommes sont violents ni que les femmes sont toutes des anges de douceur, mais de s'interroger sur cette construction de la masculinité, qui valorise l'agressivité, la confrontation, où les conflits se règlent à coups de poing, si ce n'est à coup de bombes, plutôt que par la négociation, et où il n'est rien de plus humiliant que de ne pas faire face, d'avoir fui, d'avoir écouté sa peur qui est parfois la voix la plus raisonnable. Le sujet est assez grave pour avoir fait l'objet d'une réflexion à l'Unesco, sur le thème « Masculinité et violence, un couple infernal » (3). Tout comme un slogan , en mai 68, proclamait « Nous ne sommes pas contre les vieux, mais contre ce qui les a fait vieillir », on aurait envie de dire : « Nous ne sommes pas contre les hommes, mais contre ce qui leur impose une certaine conception de la masculinité »...

 

Au fait, en ce qui concerne Wasilewski, il a été écarté de la sélection polonaise pour l'Euro 2012, qui se jouera en Pologne, son pays d'origine. Pas à cause de son coup de coude, non, pour ça, son sélectionneur lui a fait savoir qu'il le soutenait entièrement. Mais parce que, en ce début d'avril, il a participé à une virée alcoolisée qui s'est terminée au commissariat, après une altercation avec un chauffeur de taxi. Moralité : il est moins grave de casser le nez d'autrui que d'avoir un verre de trop dans le sien. Le foot, c'est éthique, pas éthylique, qu'on se le dise.

 

  1. http://www.media-awareness.ca/francais/ressources/educatif/documents_accompagnement/masculinite_violence_pub.cfm

  2. Voir par exemple le dernier rapport de l'Institut pour l'Egalité des Femmes et des Hommes

  3. http://www.eurowrc.org/01.eurowrc/06.eurowrc_fr/18fr_ewrc.htm

 

 

Mis à jour (Lundi, 09 Avril 2012 18:11)

 
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