Vous me connaissez (ou pas), je ne suis pas du genre à retourner ma veste ni à céder au premier chant de sirène, surtout venu de droite. Mais voilà que soudain, en ces derniers jours de campagne présidentielle française, la voix de Sarkozy se met à résonner agréablement à mes oreilles...
Avant de me faire enfermer ou pire, de me virer de votre groupe d'ami/e/s sur Facebook, lisez plus loin.
Qu'est-ce qui a donc pu me charmer ainsi, dans le fatras de chiffres truqués, d'élans patriotiques et de promesses creuses ? Eh bien voilà, je l'avoue : c'est l'idée de fermer les frontières, seule manière de préserver notre civilisation.
Non ! Ne me virez pas encore !
Je ne voulais pas le croire, mais je dois bien l'admettre, après avoir entendu ces plaintes qui abreuvent nos sillons : le modèle belge est en péril. « Ces gens-là », prêts à nous envahir dès la semaine prochaine, ne sont vraiment pas comme nous. Ils ne partagent pas nos valeurs, ils ne comprennent rien à nos principes d'égalité et, si on les laisse faire, ils n'hésiteront pas à venir, jusque dans nos bars, écluser nos bières et nos champagnes !
D'où vient cette envie de fuite de la France qui souffre ? La faute à François Hollande, favori à l'élection présidentielle : dans un moment de folie, il s'est engagé à instaurer une forme de « taxe des millionnaires » chère à notre PTB, en imposant à 75% les tranches de revenu annuel au-dessus d'un million d'euros.
Panique générale sinon dans les chaumières, du moins dans les châteaux.
« Situation épouvantable »
Tenez, prenez Françoise Hardy. Comme tous les garçons et les filles de son âge, elle se préoccupe de ses vieux jours. Et voilà qu'elle entend cette terrible nouvelle, qu'elle a du mal à croire, mais c'est son amie la rose qui lui a dit ce matin.
Françoise Hardy, donc, après une vie faite de sueur et d'extinction de voix, craint de se retrouver dans un home du CPAS ou pire, à la rue (1). Déjà qu'elle qu'elle paie 40 000 euros d'impôt sur la fortune, si elle doit payer encore plus, comment fera-t-elle ? Si elle paie 40 000 euros d'ISF, c'est qu'elle dispose d'un patrimoine d'au moins 5 millions d'euros. Mais vous savez, la vie est si chère, et le prix de la baguette qui ne cesse d'augmenter...
« Je vais être obligée de déménager, de quitter Paris à cause de l’ISF, se lamente-t-elle dans Paris-Match. Je crois que la plupart des gens ne se rendent pas compte du drame que l’ISF cause aux gens de ma catégorie. Je suis forcée, à pas loin de 70 ans et malade, de vendre mon appartement et de déménager. Si Hollande passe, je ne suis pas certaine que mon revenu suffira à payer mes impôts. Je suis sûre de ne pas être la seule dans ce cas de figure. Tous les gens qui ont 150 000 euros de revenus (c’est mon cas aujourd’hui, ce sera autre chose demain), et qui, en même temps, ont économisé toute leur vie pour avoir un patrimoine immobilier, résidence principale et résidence secondaire, se retrouvent dans cette situation épouvantable ».
Epouvantable : c'est le mot. Un petit calcul permet de constater que si on dispose d'un revenu supérieur à un million d'euros par an, c'est qu'on a déjà pu garder, disons en gros, un demi million en net. 500 000 euros : que peut-on encore faire avec 500 000 euros ? Françoise Hardy ne le sait pas et à vrai dire, moi non plus. Il me faudrait quelque 30 ans de travail pour arriver à cette somme.
En hommage à son glorieux passé, on pourrait lui chanter ce charmant petit quatrain, réécrit pour elle par Isabelle Marchal (grand merci à elle !) :
« Sous aucun prétexte je ne veux
Vendre mon duplex, il est classieux
Il faut que je m'exile à Montreux
Qui l'eût cru, mes aïeux ! »
« Spoliateur, ridicule... »
Mais bon, Françoise Hardy n'est pas connue pour être franchement de gauche. Or des artistes de gauche, ça existe aussi.
Prenez Patrick Bruel, un homme qui se targue d'avoir toujours soutenu la gauche. On l'imagine offrant son poitrail bien garni aux inspecteurs du fisc : prenez, mes braves, prenez,... Eh bien non. « Je suis très content de participer à une solidarité, très content de reverser une grande partie de ce que je gagne. Là, ça atteint des proportions où ça devient limite confiscatoire et spoliateur », affirme-t-il sur RTL (2). Casser la voix, d'accord, mais casser sa tirelire, non. Quant à Djamel Debouzze, en véritable héros prêt à tous les sacrifices, il maintient son soutien à Hollande tout en trouvant cette mesure « ridicule ». Courage, mon grand, avec un peu de chance et de pressions, le nouveau président trouvera bien un moyen d'adoucir l'addition... (je ne sais pas pourquoi, j'ai comme un doute...)
Bien sûr, rien ne dit que ces malheureux fuyant les persécutions fiscales choisiront la Belgique pour faire accoster leur radeau (ou plutôt leur yacht). Mais voilà qu'un frémissement saisit les agences immobilières de chez nous : la demande de logements, venant de Français, est en nette hausse (3). Pas n'importe quels logements : des villas dans le million d'euros, ce genre-là, vous voyez.
Je vous le disais : ces gens-là, ils ne vivent pas comme nous. Sarkozy a raison : il faut fermer nos frontières !
(1) http://www.parismatch.com/People-Match/Musique/Actu/Katie-Melua-et-Francoise-Hardy-messages-personnels-388101/
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http://www.lepoint.fr/politique/patrick-bruel-prend-ses-distances-avec-hollande-05-04-2012-1448850_20.php
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http://www.rtbf.be/info/societe/detail_les-francais-se-ruent-sur-l-immobilier-en-belgique?id=7758798