Bas les masques !

 

Il est bien possible qu'un jour, ça devienne obligatoire. Et en bonne citoyenne, je me plierai à l'obligation. Peut-être même serai-je convaincue que c'est la meilleure solution.

En attendant, permettez-moi d'exprimer toute la tristesse mêlée de colère que m'inspire le masque. Je ne parle de celui indispensable pour le personnel de santé et plus largement, pour toutes celles et ceux obligé·es de se confronter toute la journée à des humain·es parfois malades, parfois sans respect des distances, parfois dans une proximité impossible à éviter. Non, je parle du masque de rue, des lieux publics, celui de simples passant·es qu'on ne fait que croiser, qui de toute façon s'écartent à votre approche. Ce masque qui empêche d'échanger un sourire, qui rend plus ardue la compréhension si on est malentendant·e par handicap ou simplement par l'âge, qui aplatit les voix et qui interdit ces interactions non verbales sans lesquelles les mots ne sont que des sons froids émis par des robots.

Permettez-moi aussi de m'étonner en constatant avec quelle désinvolture on balance des « évidences » d'hier. Il y a quelques années à peine, lorsqu'il s'est agi d'interdire le port de la burqa, la dissimulation du visage semblait une atteinte insupportable au « vivre ensemble ». Qu'on se rappelle seulement cet arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme, rejetant l'argument de l'atteinte à l'égalité entre femmes et hommes mais acceptant celui de la «sociabilité» : «La Cour admet que la clôture qu’oppose aux autres le fait de porter un voile cachant le visage dans l’espace public puisse porter atteinte au " vivre ensemble ". A cet égard, elle indique prendre en compte le fait que l’État défendeur considère que le visage joue un rôle important dans l’interaction sociale. Elle dit aussi pouvoir comprendre le point de vue selon lequel les personnes qui se trouvent dans les lieux ouverts à tous souhaitent que ne s’y développent pas des pratiques ou des attitudes mettant fondamentalement en cause la possibilité de relations interpersonnelles ouvertes qui, en vertu d’un consensus établi, est un élément indispensable à la vie en société. La Cour peut donc admettre que la clôture qu’oppose aux autres le voile cachant le visage soit perçue par l’État défendeur comme portant atteinte au droit d’autrui d’évoluer dans un espace de sociabilité facilitant la vie ensemble ».

Précision : je n'essaie pas par là de justifier le port de la burqa, qui m'est toujours apparue comme une prison portative, même si j'ai émis quelques réserves quant à son interdiction ; je n'essaie pas non plus de prétendre que le masque c'est pareil. Je veux simplement pointer le fait qu'un argument qui semblait indiscutable s'est soudain évaporé comme par magie. Je peux comprendre qu'on doive s'imposer une contrainte - comme le confinement actuel – cela n'en reste pas moins une contrainte, qui n'a pas seulement des enjeux strictement sanitaires.

 

Quand la science bafouille

Il est vrai que pour le moment, les scientifiques ne semblent pas tou·tes d'accord sur la généralisation port du masque. Certain·es le défendent comme une nécessité absolue, d'autres avec comme argument principal que « ça rassure » (pas moi en tout cas) ; d'autres encore mettent en garde contre une mauvaise utilisation ou le risque d'un sentiment de fausse sécurité. Outre le soupçon que c'est la pénurie de masques qui motive le scepticisme quant à leur nécessité, il y a des gens que ces désaccords entre expert·es angoissent ou énervent : moi, ils me rassurent plutôt. Cela veut dire que la science n'a pas de vérités absolues, qu'elle est toujours en recherche, qu'elle bafouille, se trompe, évolue, et qu'il n'est pas question de lui laisser le dernier mot sur nos vies. Parce que tout simplement il n'existe pas UNE solution : dans certaines régions ou certaines catégories de la population, le choix se pose entre mourir du virus ou mourir de faim, entre mourir du virus ou mourir de solitude. Et ce choix n'est pas individuel, car le plus angoissant peut-être est le fait que chacun·e d'entre nous peut représenter un danger pour les autres.

Alors oui, s'il le faut, on portera des masques. Mais je ne peux pas entendre que c'est « juste un bout de tissu » et que nous devons tous et surtout toutes ressortir nos machines à coudre dans la joie et la bonne humeur. Moi, je ne me sentirai vraiment « déconfinée » que le jour où nous pourrons boire un verre, en voyant autour de nous des visages souriants, ou sévères, ou mêmes ronchons - mais libres.

Mis à jour (Lundi, 06 Avril 2020 09:31)