Réflexions sur la justice migratoire : compte-rendu subjectif d'un débat au CNCD
Mardi 2 avril, j'ai participé à l'un des apéros politiques organisés par le CNCD en vue des élections du 26 mai, en divers endroits et sur différents thèmes, dans une mise en scène originale. Comme une sorte de « speed dating » qui prendrait son temps. On trouvera tous les détails sur ce débat comme sur les autres sur le site du CNCD.
Le sujet du jour tournait autour de la solidarité internationale, avec comme fil rouge une certaine idée de la « justice » - fiscale, climatique, migratoire, égalité entre femmes et hommes... Six thèmes, six tables thématiques où venaient s'asseoir six candidat·es, chacun·e durant vingt minutes, pour répondre à deux ou trois questions de fond préparées en groupe. Après quoi chacun·e était invité·e à exprimer ses priorités en trois minutes.
Une vie meilleure
J'ignore ce qui s'est dit aux autres tables, je parlerai donc juste de la mienne, et non, ce n'est pas l'« égalité entre femmes et hommes » mais plutôt la « justice migratoire », parce que j'ai une question qui me taraude, et sur laquelle je reviendrai à la fin de ce compte-rendu assumé comme totalement subjectif.
Cette question vient sans doute de ma propre histoire, ma position est « située » comme on dit aujourd'hui. Pour comprendre « d'où je parle », il faut savoir que mes parents sont arrivés en 1958 en Belgique (avec moi dans leurs bagages) après avoir quitté la Pologne communiste mais surtout antisémite pour Israël, puis quitté Israël où ils ne s'adaptaient décidément pas. Ils ne pouvaient évidemment prétendre « fuir des persécutions » : c'était une migration purement économique ou même de « convenance familiale », juste pour s'assurer et surtout m'assurer, à moi l'espoir d'une vie meilleure, sans guerres ni discriminations.
On dira que c'étaient « d'autres temps », et c'est vrai : mais je ne peux me résoudre à penser « ouf, ça nous a réussi, maintenant on ferme la porte derrière nous ». Non, ce qui m'a effectivement permis d'avoir une « vie meilleure », d'autres doivent aussi y avoir droit.
Un sujet particulier auquel je suis très sensible, est la situation de femmes arrivées par regroupement familial et qui ne peuvent prétendre à un droit de séjour autonome qu'après cinq ans de vie commune en Belgique. On imagine le calvaire quand on vit avec un conjoint violent. Certes, si elles dénoncent les violences, elles ont une chance de pouvoir rester, mais à condition de disposer de revenus propres. Ce qui est rarement le cas de femmes sous emprise, souvent cloîtrées chez elles et coupées de tout contact social... ce qui est justement l'une des caractéristiques des violences conjugales.
Voilà les deux sujets que je tenais à aborder à côté des autres thèmes choisis par le groupe – comme la convention de Dublin, la création de « hots spots » gérés ou non par l'Union européenne, la formation des garde-côtes lybiens, la qualité de l'accueil des demandeurs d'asile...
Consensus et nuances
Disons-le d'emblée : les candidat·es étaient très diversement compétent·es pour répondre à toutes ces questions, et je ne me permettrais pas de les en blâmer, car il fallait pouvoir aborder six sujets différents sur lesquels ils/elles pouvaient se sentir plus ou moins à l'aise, et qu'en plus certain·es avaient été désigné·es par leur parti en dernière minute. Cependant, la différence était vraiment flagrante entre une connaissance approndie, la lecture de fiches et ceux qui ne comprenaient même pas les questions...
Pour donner une idée vraiment très large, on a pu constater un consensus (avec certes des nuances parfois importantes) pour ne pas faire d'accords avec des pays ne respectant pas les droits humains et pour remplacer, assouplir, adapter ou encore suspendre dans certains cas le règlement de Dublin (qui renvoie de fait la responsabilité de l'accueil aux pays bordant la Méditerranée ou les Balkans). De même, l'existence de « hot spots » pour assurer une part de migration légale semblait recueillir un accord assez large, mais avec des différences fondamentales selon qu'on les cantonne au plus près des pays de départ (comme le MR) ou sous la gestion de l'Union européenne (comme Défi ou le PS). La nécessité d'établir des critères « clairs et durables » était également reconnue par tou·tes, les dissensions portant évidemment sur le contenu de ces critères... Si certains partis insistent plus que d'autres sur leur refus d'une « régularisation massive », aucun ne plaide en tout cas pour une liberté de circulation et d'installation. Tout en plaidant pour un accueil « humain »... et même des rapatriements « humains » (pour le CDH) - ce qui n'engage à rien, même Francken se voulait « humain et ferme » et vice-versa.
Pour ce qui est des femmes victimes de violences, la plupart n'avaient visiblement jamais réfléchi à la question, certains se sentaient obligés d'ajouter « des hommes aussi » et les plus ouvert·es plaidaient pour une « individualisation des droits », sans toutefois préciser comment ce beau principe pourrait être mis en place dans cette situation. Disons charitablement que les réponses ont manqué de précision par manque de temps, il y avait tant de sujets à aborder en 20 minutes.
Enfermement, clandestinité... ou liberté de circulation et d'installation
J'en reviens donc à la question qui me taraude : si l'on se prononce contre l'enfermement des migrant·es (en général, comme le PTB ou Ecolo, ou plus précisément lorsqu'il y a des enfants, comme le PS ou le CDH) mais qu'en même temps, on ne veut pas de la liberté de circulation et d'installation, que fait-on de celles et ceux à qui le séjour est refusé, car il y en aura toujours, aussi « élargis » que soient les critères d'admission ?
Car les personnes qui tomberont en dehors de ces critères devront être « rapatriées », façon polie de parler d'expulsion. Il y en aura sans doute qui accepteront le retour volontaire, surtout s'il est accompagné d'une aide à la réinstallation. Mais pas tou·tes, pas après avoir risqué leur vie et celle de leurs proches, pas après avoir passé des années d'errance avant d'atteindre la terre (com)promise. Alors, que faire de celles et ceux qui refusent de partir ? Les placer dans des centres ouverts dont ils/elles s'échapperont vers la clandestinité ? En acceptant alors que des gens vivent en dehors de tout droit dans un « Etat de droit » ? Ou alors... ou alors... ben oui : les enfermer avant expulsion ? Y compris d'éventuels enfants... ?
Et sur ce sujet-là, je n'ai entendu qu'une seule réponse, celle de la candidate Ecolo (et seule femme du panel) Claire Hugon. Non pas qu'elle propose une solution : quelles que soient la générosité de ses propositions, Ecolo ne plaide pas non plus pour l'ouverture des frontières. Mais Claire a simplement reconnu qu'en effet, c'était une question difficile, admettant qu'elle la mettait mal à l'aise et qu'elle essayait, justement, de la poser à l'intérieur du parti.
A côté de la langue de bois des autres (« on est contre l'enfermement et contre une régularisation massive », sans jamais dire comment on évite le premier en refusant le second), ses doutes avaient quelque chose de rafraîchissant.
Mis à jour (Jeudi, 04 Avril 2019 14:40)