Vers une austérité "propre" ?
La politique est-elle soluble dans la « gouvernance »... ? Voilà la question qui me vient à l'esprit quand j'essaie de suivre (par un gros effort, je l'avoue) les débats actuels pour sortir Bruxelles, la Wallonie et leur Fédération de la crise dans laquelle Benoît Lutgen les a plongées, après avoir « retiré la prise » (et s'être ensuite peut-être pris les doigts dedans).
Il n'y a pas si longtemps encore, les débats portaient sur des sujets comme « emploi », « pensions », « fiscalité », « éducation »... Aujourd'hui, on dirait que tous ces thèmes ont été « avalés » par ceux de « gouvernance », de « transparence », de « décumul ». Les (sales) « affaires » sont passées par là, et on comprend bien que le monde politique ne peut pas continuer comme s'il ne s'était rien passé. C'est donc à qui sera le plus « propre »... tout en précisant qu'il ne se lavera que si les autres le font (sauf Ecolo pour qui ce thème est à l'agenda depuis longtemps).
J'avoue ma perplexité. Certes, l'accumulation d'affaires montre bien qu'il y a quelque chose de pourri au royaume de Belgique. Et j'entends bien qu'il est nécessaire et urgent de donner des signes forts à la population quant à la « moralisation » de la vie politique et de ses représentant/e/s. J'entends aussi que les différentes formes de décumul (des rémunérations, des fonctions, dans le temps...) doivent favoriser l'arrivée de nouvelles têtes dans la vie politique – même si une réelle participation citoyenne peut et doit prendre d'autres formes.
Mais enfin, le premier « cumul » insupportable est celui des ennuis de ces gens qui « ne sont rien » (pour citer Macron, le sauveur de la France) : revenus insuffisants, difficultés à se loger, à se soigner, à avoir accès à la culture... Et si le PS a largement failli à résoudre ces problèmes (quand il n'a pas contribué à les aggraver), il y a peu de chances que son remplacement par le MR apporte une quelconque amélioration... Alors quand, au nom de cette « gouvernance », le projet principal est de se débarrasser du PS, je reste dubitative (pour le dire poliment). D'autant que les autres partis classiques sont loin d'être exemplaires. Remplacer le "SamuSocial" par le "Kazakhgate", un progrès, vraiment ?
Mais il y a plus. Ce terme même de « gouvernance » n'est pas innocent, surtout quand il semble prendre toute la place. Spontanément, le terme de « gouvernance » m'apparaît comme relevant de la gestion plutôt que de la politique. Car des politiques, il y en a de gauche et de droite, des sociales et des libérales, des ouvertes et des autoritaires, avec toutes les nuances entre les deux ; tandis que la « gouvernance », il y a la « bonne » et la « mauvaise ». Au fait, toi qui me lis, tu soutiens laquelle... ? Question impossible, on le voit bien. Comme le dit le philosophe Alain Deneault : « Ce qui disparaît, notamment, est toute notion de conflit politique, puisqu'il n'y a plus d'opposants mais seulement des partenaires prenant des décisions sur un pied d'égalité. Il n'y a plus d'intérêts antagonistes, seulement des « bonnes » et des « mauvaises » décisions. La nouvelle citoyenneté est celle du marché ».
Une démocratie sur le modèle du marché, c'est aussi ce que souligne Corinne Gobin dans son article sur les « Nouveaux mots du pouvoir », dénonçant un terme apparu dans le monde politique dans les années 1970-1980, avant d'être repris par la Banque Mondiale, l'OCDE, le FMI et autres défenseurs de la vertu dans le meilleur des mondes capitalistes.
Alors, pour le dire un peu brutalement : je trouve plus urgent de supprimer la chasse aux chômeurs que de supprimer les provinces. De s'attaquer avec au moins autant de détermination à la lutte contre les « inégalités » que contre les « illégalités ». On me dira que c'est lié. Pas forcément. Moi aussi je pense que pour être crédible, un système politique doit se donner des règles strictes, plutôt que de compter sur la « bonne volonté » des individus. Mais je pense aussi qu'une politique d'austérité « propre » n'est pas moins ravageuse pour la population (hors ceux et celles que de toute façon, l'austérité n'atteint guère) ; et que même avec la meilleure gouvernance du monde, on peut mener les pires des politiques.
Mis à jour (Mercredi, 05 Juillet 2017 10:23)