Affaire Baupin, scandale et symptôme
« ... Alors il est venu, il m'a plaquée contre le mur en me tenant par la poitrine, et a cherché à m'embrasser. Je l'ai repoussé violemment ».
Non, cela ne se passe pas une nuit de réveillon devant la gare de Cologne. Non, « il » n'a pas une tête ni un nom « exotiques ». La scène se passe en 2011, au cours d'une pause lors d'une réunion d'Europe-Ecologie Les Verts (EELV). L'accusatrice s'appelle Sandrine Rousseau et lui, c'est Denis Baupin, vice-président de l'Assemblée nationale française, poste dont il a démissionné tout en contestant les accusations de plusieurs élues et collaboratrices des Verts.
Le 8 mai 2016, Mediapart et France Inter font éclater le scandale. Les langues se délient : une autre élue, Isabelle Attard, dénonce des « sms salaces », un harcèlement quasi quotidien qui a duré plus d'un an. Une troisième, Annie Lahmer, raconte des faits déjà vieux de plus de 15 ans : « Ce garçon me harcelait. (...) Un soir, le siège (du parti) était vide, j'étais seule avec Denis. Il s'est mis à me courir après autour du bureau. C'était loufoque comme scène. (...) Le lendemain, il a pointé son index sur moi en me disant 'Toi, tu n'auras jamais de poste au sein du parti' ».
Difficile de croire que la direction d'EELV n'était pas au courant. Sandrine Rousseau témoigne d'ailleurs : « J'en ai parlé à deux membres de la direction du parti. L'un m'a dit : 'Ah il a recommencé'. L'autre : 'ce sont des choses qui arrivent très souvent' ».
Dès 2004, une chercheuse avait eu connaissance des accusations et en 2013, Baupin avait été surnommé le « DSK des Verts »
Pourtant, jusqu'à ce 8 mai, rien n'a été fait pour écarter Baupin. Il aurait juste eu des « remarques », ce qui ne l'a pas empêché d'obtenir un poste prestigieux.
"Bas les pattes !"
Il ne faut pas croire que ce type de situation soit spécifique aux Verts, le parti par ailleurs le plus ouvert aux questions de genre (c'est dire ce qu'il en est dans les autres). Il y a un an, 40 femmes journalistes politiques publiaient une tribune dans Libération, intitulée « Bas les pattes », pour dénoncer le sexisme d'hommes politiques de tous bords.
Et dès ce 8 mai, on a pu voir ces hommes qui ont tout compris. Ainsi le député (Républicains) Pierre Lellouche, interrogé par un journaliste de RTL, lâche : « Je commente l’international, les choses sérieuses, pas les histoires de bonnes femmes ».
Le même soir, l'élue républicaine Aurore Bergé est accueillie par un collègue par un « Quand je te vois, j'ai envie de te faire une Baupin ». Elle est trop sidérée pour répondre, mais témoigne quand même sur son compte Twitter. Parmi les réactions, une autre jeune femme raconte comment un de ses professeurs de faculté, par ailleurs un élu, lui a proposé une relation sexuelle tarifée. « Aujourd'hui, il publie des statuts contre le harcèlement sexuel (dans le cadre de l'affaire Baupin) parce que c'est le moment de se la jouer féministe. Si vous me cherchez, je suis allée vomir », conclut-elle.
« Vomir », c'est apparemment la réaction des victimes à ceux qui « se la jouent féministes ». Ce fut aussi celle de Elen Debost, adjointe au maire du Mans, et autre cible de Baupin, en découvrant celui-ci sur une affiche, rouge aux lèvres, au côté d'autres élus, à l'occasion du 8 mars 2016, en combattant contre les "violences faites aux femmes". C'était l'hypocrisie de trop qui a déclenché les témoignages, même si la plupart des faits dénoncés sont désormais prescrits.
Ne pas nuire à la cause
Mais justement, pourquoi ces femmes n'ont-elles pas porté plainte plus tôt ? Pourquoi ce silence ? Certains n'ont pas manqué de poser la question, presque comme une accusation, suggérant des « exagérations » voire des règlements de compte politiques... Pourtant la réponse est simple : pour les mêmes raisons qu font que les agressions sexuelles, y compris le viol, sont les crimes et délits le moins souvent rapportés. Parce que la victime a peur de ne pas être crue. Parce que souvent, c'est elle qui a honte. Par crainte de représailles. Ou dans les milieux militants, pour « ne pas nuire à la cause » (ah, combien je l'ai entendu, cet argument-là !)
Voilà donc où on est dans la France d'aujourd'hui, celle-là même qui brandit l'égalité entre hommes et femmes comme une de ses valeurs fondamentales. Mais bien sûr, il n'y a pas que la France.
Ah oui tiens, justement, le même jour, on voyait le futur président des Philippines, Rodrigo Duterte, à propos du viol d'une missionnaire australienne : « Elle était très belle, en tant que maire, j'aurais dû avoir le droit de passer en premier ».
Et oui tiens, vous vous souvenez peut-être de ce député libéral wallon, Gilles Mouyard, qui avait envoyé en 2012 à la présidente de son Parlement, Emiy Hoyos, ce sms plein de délicatesse : « C'est vrai que tu as un beau cul » (et elle l'avait vertement remballé à l'époque), ce qui avait encore bien fait rire les mecs dans l'émission « satirique » (ou satyrique »?) « On n'est pas rentré ». L'information étant relayée par la très sérieuse Libre Belgique dans la rubrique « Insolite »...
Une culture machiste : la nôtre
Alors certains vont désigner des « brebis galeuses », d'autres dénonceront une « caste » (sous-entendu : le monde politique), mais encore une fois, il y a un déni sur le fait que ce genre de comportements n'est ni la caractéristique de quelques individus pervers, ni d'une « culture » (bien sûr, celle des « autres »), ni d'un pays : c'est une des expressions abjectes d'un rapport de pouvoir inégalitaire entre hommes et femmes.
L'affaire Baupin est un scandale, mais c'est surtout un symptôme. Est-ce qu'un jour, on va enfin comprendre ? Cela ne se passe pas seulement devant la gare de Cologne, pas seulement en politique, pas seulement dans le sport, pas seulement au bureau, pas seulement dans la rue... cela se passe partout.
Dans un édito intitulé « Promesse », Libération prend parti pour que le silence soit brisé. Très bien. Mais et juste en dessous de l'article, dans « vous aimerez aussi », on est orienté/e vers des articles bien sexistes : « Les 25 politiciennes les plus belles du monde » et « les 25 briseuses de couple les plus célèbres ». Le problème, ce n'est pas un individu, ni même une "caste", c'est une culture machiste. La nôtre.
Hommage donc à celles qui ont osé briser le silence Alors, même s'il y a certainement des hommes que ces comportements débectent – à côté d'autres qui sont, comme on l'a vu, de faux amis - je continuerai personnellement à répercuter plutôt la parole des femmes, le cri des femmes. Parce que c'est leur colère qu'il faut d'abord entendre. Parce que la cause que j'ai envie de défendre, là, c'est la cause des femmes.
Mis à jour (Mardi, 10 Mai 2016 10:43)