Mères porteuses, contes de fées et rapports de pouvoir
Cet été, lors du colloque féministe de Montréal, plusieurs ateliers se sont intéressés à la GPA, la “gestation pour autrui”, autrement dit les mères porteuses – ou “gestatrices” comme certain/e/s préfèrent les appeler, pour effacer le terme - et la réalité? - de “mères”. Au Québec comme en Belgique, des débats ont lieu autour d'un possible encadrement législatif de cette pratique, avec l'objectif affirmé de lutter contre les “GPA sauvages” et commerciales aux Etats-Unis, dont la proximité rend la situation encore plus problématique que chez nous.
Nous avons donc eu droit à plusieurs études, analyses, prises de position, dont j'essaierai de rendre compte ici avec autant d'”objectivité” que possible, sachant que je suis, personnellement, opposée à toute “normalisation” d'une pratique qui fait du corps des femmes un simple instrument de reproduction, dans un double rapport de domination, de genre et de classe.
“Don et contre-don”
Pour commencer donc, deux études présentées par une prof et un de ses doctorants. A les entendre, la GPA est vraiment ce qui peut arriver de mieux à une femme. Non seulement elle vit une grossesse et un accouchement, expériences déjà paradisiaques en soi, mais en plus elle les vit pour d'autres, ce qui fait passer à la trappe les petits inconvénients et minuscules bobos liés à cette situation. Car oui, apporter le bonheur à d'autres, on le sait, représente le plus grand accomplissement imaginable pour une femme. Il n'y a vraiment que des féministes enragées pour en douter.
Une première étude, menée par Kevin Lavoie, interroge des mères porteuses en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, toutes blanches, chrétiennes, de milieu modeste, pas en grande précarité mais toutes, en tout cas, d'une classe moins favorisée que les parents d'intention. En majorité, les deux parties ne se connaissaient pas et se sont rencontrées par un/e intermédiaire. Des mères porteuses qui se disaient motivées d'abord par l'”altruisme” (même si elles ont été payées), le “plaisir d'être enceinte” ou une volonté d'”accomplissement”, toutes plus heureuses les unes que les autres de participer à cet échange de "don et de contre-don" (selon les termes du chercheur). A peine un bémol, l'une d'elles se disait un peu déçue que les parents d'intention ne soient “pas venus la voir à l'hôpital avec un bouquet de fleurs” ; ils se sont contentés de prendre le marmot, et adieu Berthe. Décevant comme "contre-don", après neuf mois de grossesse et on ne sait combien d'heures d'accouchement. Pour le reste, rien que du bonheur, de l'accomplissement, la joie d'avoir (enfin ?) servi. A plus long terme, pas de regret, certaines ont même remis ça une deuxième et une troisième fois, avec la “fierté” d'avoir “accompli la chose la plus importante de leur vie”. Pauvre vie, a-t-on envie de dire, bien que le chercheur semble s'extasier sur tant de belles histoires, tout en reconnaissant que les “normes de féminité” ont peut-être joué un rôle dans toute ce bonheur, à peine entaché de quelques cas marginaux de problèmes de santé psychologique ou de dépression.
Juste après cet exposé donnant envie de quitter l'auditoire au pas de course pour être la première dans la file des candidates futures mères porteuses (quoi ? Il n'y a pas de file, après une description aussi enthousiaste ?), voici une autre étude, présentée par Isabelle Côté, portant sur 17 couples gays devenus parents par le biais d'une GPA. De quoi poursuivre le conte de fées. Rien que des hommes reconnaissants, chaleureux – et aussi “très éduqués” et “socialement favorisés”, à comparer au “milieu modeste” des mères porteuses de l'étude précédente. Des hommes voulant garder le contact avec la mère porteuse (le "contact" consistant la plupart du temps en une rencontre annuelle et pour le reste, des photos et des commentaires sur Facebook), déçus quand la mère, elle, ne le souhaite pas (quelles égoïstes, ces femmes, quand même). Et elles, qu'en pensent-elles ? On ne le saura pas, la chercheuse n'ayant pas été jusqu'à leur demande leur avis à elles - sans doute un manque de finnacement...
Etrange, tout de même, d'entendre ce genre de propos dans un colloque féministe. C'est comme si, en plein congrès marxiste, des chercheurs concluaient à l'inexistance de la lutte des classes, sur base d'une vingtaine d'interviews d'ouvriers contents de leur sort et de patrons bienveillants...
“GPA nationale”
Un autre atelier annonçait des travaux sur les mères porteuses en Inde et en Ukraïne, mais les auteures étaient malheureusement absentes. On apprendra juste qu'en Inde, devenir mère porteuse est plutôt vécu, par les femmes interrogées, comme un moment d'autonomie par rapport aux hommes, et puis “c'est toujours mieux que de travailler dans une usine textile”, car pour le bien du futur enfant, les “gestatrices” sont mieux nourries, mieux soignées... Un bébé, c'est quand même plus fragile qu'une chemise. Selon que l'on se concentre sur les “bienfaits” du système des mères porteuses ou sur la situation catastrophique des femmes en Inde, les conclusions de ces études ne sont certes pas les mêmes.
Deuxième temps, l'occasion de découvrir le projet de loi actuellement en préparation au Québec, avec la volonté déclarée d'organiser une "GPA nationale" pour mettre fin au “tourisme procréatif” aux Etats-Unis ou dans les pays du Sud. Depuis 2002, au Québec, tout contrat entre mère porteuse et parents d'intention est considéré comme nul, même si la pratique n'est pas interdite. Le souci affirmé d'une nouvelle loi est de protéger au maximum l'enfant et la mère porteuse. Par exemple, celle-ci pourrait à tout moment mettre fin au projet et changer d'avis jusqu'à un mois après la naissance du bébé. Les frais à rembourser par les parents d'intention (pas question d'un “rapport commercial”) feraient l'objet d'un acte notarié et tout le processus serait encadré sur un plan psycho-social.
Pour les parents d'intention, il n'est pas prévu qu'ils fassent l'objet d'une évaluation particulière. Des conditions moins contraignantes donc que pour une adoption. Cependant, étant donnée la possibilité pour la mère porteuse de changer d'avis à tout moment, l'insécurité pour les (peut-être) futurs parents reste grande. Comment imaginer sérieusement que des gens qui auront longuement réfléchi et préparé un tel projet (du moins, on l'espère), accepteront une telle insécurité s'ils ont la possibilité (financière) d'imposer leurs conditions aux Etats-Unis ou ailleurs ? Plutôt que d'une GPA “nationale et éthique”, il faudrait parler de la “GPA des pauvres”, qui n'empêcherait aucune dérive mais donnerait à la société le signal qu'après tout, il s'agit d'une pratique socialement acceptable. La “protection de la mère porteuse” restant par aileurs fort relative, quand on sait qu'une jeune fille de 18 ans, n'ayant jamais eu d'enfant ni vécu l'expérience d'une grossesse, pourrait être candidate, à condition de passer par un encadrement psycho-social...
Rapports de pouvoir
Toutes ces images idylliques d'une pratique purement contractuelle ont été balayées par l'intervention de la professeure Louise Langevin. Avec son air de dame bien respectable, d'un âge posé, elle a bien secoué le cocotier. Annonçant d'emblée qu'elle était favorable à la "GPA commerciale", elle jetait un froid dans la salle : on a beau défendre une légalisation de la GPA, l'idée d'un “commerce” est tout de même largement rejetée. Ben oui, argumente-t-elle, plein de gens se font de l'argent au passage : les firmes pharmaceutiques, les cliniques de fertilité, les psys, les notaires... La seule qui ne s'y retrouve pas, la seule dont on attend de l'"altruisme", c'est précisément celle qui prend tous les risques et ramasse tous les inconvénients : la mère porteuse. N'est-ce pas très hypocrite d'exiger d'elle la gratuité, et d'elle seule (1) ?
La professeure Langevin a également partagé une autre remarque, qui mérite réflexion. Dans le rapport entre mère porteuse et parents d'intention, c'est la première qui a le pouvoir, en théorie, dans la mesure où les seconds sont les demandeurs d'un bien qui reste rare, à savoir un utérus disponible. Selon la loi sacrée de l'offre et de la demande, la mère porteuse serait en position de force pour imposer ses conditions. Or ce n'est pas ce qu'on constate : des mères porteuses signent des contrats franchement abusifs, contenant des conditions incroyablement défavorables pour elles, acceptant notamment des contrôles stricts sur leur corps, leur quotidien, leur vie. Dans la réalité, elles n'exercent par leur “droit de négociation” en position de force. Comment l'expliquer...? Parce que, justement, contrairement au discours ambiant, il ne s'agit nullement d'un contrat entre personnes à égalité pour défendre leurs intérêts respectifs. On est dans une société où les rapports ne sont pas égalitaires, où les femmes sont une catégorie dominée, sommées, explicitement ou non, à l'altruisme, à l'empathie, au sacrifice. Et il est certain que les études mentionnées plus haut ne vont pas les aider à se libérer de ces contraintes...
(1) Précisons pour éviter tout malentendu, comme la professeure Langevin l'a fait elle-même en répondant aux questions, que cette "défense de la GPA commerciale" relève de l'ironie, d'une logique perverse poussée jusqu'au bout, et non d'un plaidoyer...
Le 24 septembre prochain, Arc-en-Ciel Wallonie organiseà Liège une conférence intitulée “Vers une légalisation de la GPA ?”, avec Petra De Sutter, sénatrice Groen. J'y serai, en regrettant qu'un sujet aussi sujet à controverse ne fasse pas l'objet d'un débat.
Mis à jour (Dimanche, 13 Septembre 2015 21:37)