Une saison de Mise au Point : mais où sont les femmes ?
Mise au Point, c'est l'émission politique phare de la télévision de service public en Belgique francophone : le débat du dimanche midi, portant sur tous les sujets d'actualité, qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs, économiques ou sociétaux, allant des débats budgétaires au terrorisme, de la gestation pour autrui à la situation de la Grèce, du nucléaire à la corruption dans le monde du foot, pour prendre quelques sujets de ces derniers mois.
Comme toutes les émissions qui durent, celle-ci entraîne une certaine lassitude, d'autant que sa formule ne change guère, que les invités sont souvent les mêmes et qu'on y entend peu d'idées nouvelles ou de positions originales. La formule reste : « expliquez-nous une situation complexe en trente secondes, au-delà de ce délai votre parole n'est plus valable ». Exercice décourageant pour les meilleures volontés.
On peut donc renoncer à la regarder pour préserver la tranquillité de son week-end, mais on peut aussi penser qu'il est important de savoir ce que les gens voient et entendent. J'ai choisi ce deuxième point de vue. J'aurais beaucoup de choses à dire sur une émission que je regarde donc, ne serait-ce que d'un oeil, pratiquement chaque semaine, mais je me bornerai ici à une seule dimension, qui me tient fort à coeur : la sous-représentation des femmes (1).
Des femmes, pourquoi faire ?
Cette absence de femmes sur le plateau m'avait frappée il y a un moment déjà ; depuis l'an dernier, j'ai décidé d'en tenir le compte et de le publier régulièrement. Ce qui a eu le don d'énerver les animateurs, sur le ton du « Allez vous faire voir ailleurs » (chez les Grecques?) d'Olivier Maroy au « On fait ce qu'on peut » plus ouvert, mais tout aussi fâché de Baudouin Rémy, qui lui a succédé aux manettes de l'émission.
Juste en rappel, je ne pense pas que les femmes devraient être davantage représentées parce qu'eles auraient des choses plus intéressantes à dire ou qu'elles seraient plus marrantes comme débatteuses... Si un meilleur équilibre me paraît nécessaire, c'es pour trois raisons principales :
1) la société en général, et (pratiquement) chaque catégorie de la population en particulier, est composée d'hommes et de femmes ; il est normal que cette mixité apparaisse aussi à l'écran ;
2) par leur socialisation comme par leur place dans la société, les femmes subissent des formes particulières de discrimination et sont plus sensibles à certains thèmes, complètement oubliés en leur absence. On peut s'en rendre compte de manière saisissante lorsqu'un débat sur les pensions, ou la protection sociale, se fait sans elles ;
3) pour les jeunes filles, il est important de voir à la télé des femmes dans des rôles non stéréotypés (de femmes politiques, d'expertes, de responsables d'organisations diverses...), comme façon de leur ouvrir tout le champ des possibles pour leur propre avenir. Ne montrer que des hommes, en majorité écrasante, leur lance le message implicite : « Ceci n'est pas pour toi! »
Les chiffres
En 2014, MaP avait reçu 247 hommes et 64 femmes, soit un pourcentage de 20,5% de femmes. Qu'en est-il en 2015 ?
Pour le premier semestre, de janvier à juin, les femmes ont représenté 23% des invité/e/s (40 femmes pour 133 hommes). On peut considérer que c'est un progrès mais aussi qu'à ce rythme-là, il faudrait bien dix ans pour arriver à un semblant de parité...
En 2015, j'ai affiné les chiffres, en séparant les « politiques », par parti, et les « non politiques », comprenant expert/e/s, représentants patronaux et syndicaux, associatifs, « témoins »... Il serait intéressant d'analyser chacune de ces catégories, mais il faut ausi savoir se limiter.
Le premier constat est que les « politiques » font mieux que les « non politiques » : les femmes représentent près de 30% de la première catégorie et seulement 17% de la seconde. Ce qui contredit la réponse traditionnelle des animateurs de ce genre d'émissions, qui renvoient aux partis la responsabilité de l'envoi de représentants trop souvent masculins : lorsqu'ils font appel à des « expert/e/s », c'est pire. En fait, les animateurs ne connaissent pas les expertes et ne font guère d'efforts pour les connaître ; ils consultent leur carnet d'adresses, qui ne se renouvelle guère. Il serait intéressant de regarder plus précisément, dans ces chiffres, combien de personnes différentes ont été invitées. On verrait à quel point le « panel » global des invité/e/s potentiel/le/s est restreint. D'où l'intérêt d'initiatives comme ces bases de données d'expertes auxquelles les journalistes de bonne volonté pourraient faire appel (2).
Au-delà même des chiffres globaux, il est à remarquer qu'une majorité de femmes sur le plateau est une exception qui ne s'est produite qu'une seule fois (25 janvier, thème : Radicalisme : l'école est-elle une cause ou un remède ?). A une autre reprise, la parité était respectée (15 mars, sujets : cours de religion et concertation sociale). Tandis qu'à 7 reprises (sur 23 émissions), il n'y avait pas une seule femme. Dont le débat sur les pensions, où elles sont pourtant particulièrement concernées (et visées...) Et le contenu s'est ressenti de cette absence.
Si l'on regarde par parti politique, c'est le MR qui fait le moins bien, avec 20% de femmes (et que feraient-ils sans Marie-Christine Marghem !), derrière le PS avec 30%. Avec 41%, le CDH fait une moyenne honorable (l'effet Milquet ?), tandis qu'Ecolo-Groen, fidèe à sa réputation, atteint la quasi-parité (7 hommes et 6 femmes).
Les « autres partis » (dont les flamands) comptent 10 invités au total (ce qui paraît peu dans un débat démocratique...), dont une seule femme (CD&V).
On le constate : si les femmes forment « la moitié du ciel », elles sont encore très loin de la « moitié de l'écran » !
(1) L'émission mériterait aussi d'être revue du point de vue de la diversité, mais je laisse cela à d'autres.
(2) Une telle base récemment constituée est proposée aux médias en France. En Belgique il existe bien Vega, mais elle devrait être revue. Le CFFB travaillerait sur de nouvelles listes.
(3) Ces données ont été prises au vol, il se peut qu'il y ait l'une ou l'autre erreur ou une différence d'une ou deux unités pour certaines données. Mais globalement, le constat est bien celui d'une sous-représentation systématique des femmes.
Mis à jour (Lundi, 06 Juillet 2015 10:42)