Tayush, c'est louche
Un spectre hante la Belgique. Serait-ce celui d'un certain Bart, régnant depuis son Hôtel de Ville anversois sur un gouvernement dont il n'est pourtant pas (officiellement) le premier ministre ?
Ou serait-ce celui de vils banquiers, adeptes d'un hold-up permanent sur les finances publiques comme sur l'épargne privée ?
Que nenni ! La vraie menace, m'sieurs-dames, est celle des Frères Musulmans, ici, chez nous, qui viennent jusque dans nos bras endoctriner nos frères et nos compagnes. Péril d'autant plus redoutable que ces spectres-là, loin de se vêtir d'un drap blanc et de faire tinter leurs grelots à chaque pas, ce qui permettrait de s'en écarter en courant, sortent en costume-cravate et même en jeans et ont su s'entourer d'une « mouvance » où la naïveté le dispute à la haute trahison. Et entre nous, on peut même enlever le terme « Frères » et même celui de « Musulmans », puisqu'ils auraient réussi à entraîner dans leur sillage non seulemetn des co-religionnaires, mais jusqu'à des ex- « gauchistes », athées, féministes ou même lesbiens (1) !
Car oui, m'sieurs-dames, après les révélations du Vif (2), voici M... (3), magazine qui dans sa livraison du 27 mars, mérite bien son nom. Sous la plume de Philippe Brewaeys, nous découvrons tous ces « bigots de gauche », qui vont d'Edwy Plenel à Zakia Khattabi ,en passant par un collectif dont j'ai l'honneur (eh oui) de faire partie depuis sa fondation, Tayush (4).
Se définissant comme un « groupe de réflexion pour un pluralisme actif », Tayush rassemble des juifs et des musulmans, des chrétiens et des athées (il doit bien y avoir l'un/e ou l'autre bouddhiste dans un coin), des croyants et des mécréants, dans un beau mélange d'âges, d'origines, de militantismes ou d'orientations sexuelles – puisque c'est par celle-ci que je suis élégamment caractérisée dans M... (5). Tayush est aussi l'un des rares groupes mixtes où j'ai milité et qui est vraiment soucieux de la parité femmes-hommes, dans son fonctionnement ou ses prises de parole, et qui a même pris soin de respecter une langue elle aussi mixte (et pas seulement ce "masculin universel") dans son ouvrage collectif, « Les défis du pluriel ». Beaucoup d'associations bien laïcardes ne peuvent pas en dire autant !
Mais pour les obsessionnels du danger islamiste, Tayush n'en est que plus louche. Car, figurez-vous, ce groupe à prétentions féministes s'oppose à l'interdiction du foulard à l'école et au travail ! Inutile d'en dire plus, l'argument se suffit à lui-même.
Pour concocter son dossier, Philippe Brewaeys n'a pas hésité à « investiguer » jusqu'aux lieux les plus secrets (au péril de sa vie, on suppose), tels les statuts Facebook de ses cibles. Et pour mieux les dézinguer, il leur envoie à la figure des citations qui devraient sans doute couvrir de honte ces militants qui se croient encore progressistes : l'Internationale, Karl Marx et Nadia Geerts. Allez, citons la dernière qui est quand même la plus contemporaine des trois : « Tout se passe comme s’il était impossible pour certains de dégager une troisième voie, permettant de concilier laïcité et antiracisme. De ce fait, ils deviennent les alliés objectifs de l’islamisme. » Et hop, voilà Tayush (et moi-même) en complices "objectifs" de Daesh.
Enfin, consolons-nous car, écrit Brewaeys, « dans cette contamination de la gauche par les mosquées, le plus grand danger vient des politiques ». Outre les reproches classiques au clientélisme d'un certain PS, c'est Ecolo qui est pointé du doigt, et en particulier sa nouvelle présidente, Zakia Khattabi, dont le « radicalisme » est bien connu. D'ailleurs si elle n'avait été élue, elle aurait pris son billet pour un tank en direction de la Syrie. Et si je peux me permettre un scoop : il paraîtrait qu'elle connaîtrait... mais oui, des membres de Tayush, y en a même qui la tutoient et lui font la bise, vous voyez, tout se tient !
En tout cas, pour ce qui me concerne, juive antisioniste, féministe contre l'interdiction du voile et maintenant, lesbienne dans la mouvances des Frères Musulmans... au moins on ne pourra pas me reprocher de chercher la simplicité !
PS : J'ajoute, en post-scriptum, que bien sûr nous ne sommes pas d'accord sur tout, et je suis l'une des membres qui insiste pour qu'on aborde aussi les "sujets qui fâchent". Mais justement : si on veut "vivre ensemble", ce terme tellement galvaudé, c'est évidemment avec des gens avec qui on a des désaccords - qu'on peut essayer de dépasser, sans nécesseraiment y arriver. Sinon, c'est juste de "l'entre soi".
(1) J'emploie volontairement le masculin pour mieux montrer l'absurdité d'un respect strict de règles de grammaire appliquant, sans ciller, le « masculin universel ».
(2) "Comment les Frères Musulmans prennent la Belgique en otage". Ben non, je ne vais pas vous donner de lien, et puis quoi encore !
(3) "Les bigots de la gauche complexée". Pour le lien, voir (2)
(4) Et pour le coup, je vous donne le lien, pour découvrir ou mieux connaître les activités de Tayush : www.tayush.com
(5) "Militante féministe et lesbienne de longue date" : l'auteur de l'article a trouvé pertinent de me définir ainsi, alors que j'ai mille autre engagements. De fait je m'en fous, mais ça n'a pas toujours été le cas. Il a tout de même eu la délicatesse de me laisser son numéro de téléphone, des fois que je voudrais en discuter en discuter... après la parution de l'article
PS 2 : Claude Semal, qui tient par ailleurs une chronique dans M..., a envoyé cette réaction à l'hebdo, qui devrait le faire paraître dans le numéro du 3 avril.
Cher M...,
La lecture des deux articles de Philippe Breways, dans ton dernier numéro, me laisse un drôle de goût en bouche, puisque quatre vieux copains, dont je répondrais comme de moi-même, s'y font joyeusement traiter de suppôts des Frères Musulmans.
Pour ne citer qu'elle, Irène Kaufer, une amie de quarante ans, est élégamment présentée comme une « militante féministe et lesbienne de longue date » (?).
On aurait pu, je crois, écrire bien d'autres choses sur elle.
Par exemple qu'elle fut, pendant plus de trente ans, vendeuse et déléguée syndicale FGTB à la FNAC, ce qui n'en fait pas vraiment une « petite-bourgeoise bobo » qui préfèrerait la fréquentation des « intellectuels musulmans à celle des prolos » (sic).
Ou encore, qu'elle est née, par hasard, comme Henri Goldman, dans une famille juive et laïque.
Imaginer une seule seconde que cette (effectivement) vieille militante féministe puisse avoir la moindre complaisance pour un islam radical, archaïque et machiste, est tout simplement ridicule.
Mais elle est peut-être, comme moi, allergique à cette « communautarisation des esprits », en repliant chaque communauté sur ses dogmes et certitudes, prépare les prochaines guerres de 14-18 (et les autres Saint-Barthélemy).
Il y aurait, je crois, dans « M... Belgique », de la place pour un vrai débat sur la place de l'islam en Belgique. Si on en débattait, je ne serais pas sûr d'être toujours d'accord avec Marc, Henri ou Irène. Mais je serais au moins sûr de leur probité et de leur bonne foi.
Au lieu de quoi, on a, dans la pure tradition maccarthyste, un journaliste procureur qui instruit un procès à charge, en édictant, sans droit de réponse, des excommunications et des fatwas.
Cette conception policière du journalisme n'est pas la mienne.
Et j'ajoute qu'insulter les gens fait peut-être du buzz sur un blog, mais n'est peut-être pas le meilleur moyen de gagner des lecteurs dans un journal.
Néanmoins bien cordialement,
Claude Semal
Mis à jour (Vendredi, 03 Avril 2015 10:29)