Jamais le dimanche !

Dimanche prochain 5 octobre, la météo prévoit un temps splendide, 25° par grand soleil, des parcs aux mille couleurs prêts à accueillir les amoureux de l'automne. Il fera bon de se promener, de jouer dehors, de s'étendre dans l'herbe et regarder, simplement, passer quelques nuages blancs en partageant des bières et des rires...

Selon d'autres prévisions, au contraire, nous serions frappés par les premières neiges, avec des congères hautes d'un mètre qui nous empêcheront de sortir de chez nous, nous obligeant à nous consacrer à la lecture, à la musique, au bricolage, à rattraper un retard de ménage, mais pas trop, sans oublier de partager avec nos proches et nos voisin/e/s des rires et des bières...

En tout cas, le dimanche 5 octobre, quelle que soit la météo, il y aura un lieu à éviter à tout prix : les centres de nos villes, où 2700 commerces participeront au « Sunday shopday » , journée « festive » destinée à nous faire dépenser frénétiquement les salaires qui viendront de nous être versés... Choix malin pour profit maximum, mais pas le nôtre (ni le choix, ni le profit).

Entre deux infos sur la guerre et les prochaines restrictions budgétaires (l'un n'empêchant pas l'autre), attendons-nous au rouleau compresseur du consommateur heureux. Les hostilités sont déjà commencé, et il est clair qu'il s'agit de tout autre chose que d'un seul dimanche festif. Dans son édition du 20 septembre, le Soir titre « Bruxelles veut des magasins ouverts sept jours sur sept ». Trois jours plus tard, la Libre pose la pernicieuse question (mais au moins c'est une question, pas une affirmation) : « Le repos dominical est-il une notion dépassée ? »


Cela vaut la peine d'aller au-delà du titre du Soir, car on découvre dans l'article que dans le cas présent, « Bruxelles » se réduit à Marion Lemesre. Elle a beau être échevine MR en charge du commerce à la Ville, il paraît un peu rapide de faire croire que son opinion est partagée par l'ensemble (ou ne serait-ce qu'une majorité) des Bruxellois 1). D'autant que dans la Libre, Dominique Michel, Administrateur-délégué de Comeos (fédération du commerce et des services), plaidant pour un élargissement de l'ouverture dominicale, regrette justement la « frilosité » des commerçants bruxellois : « On a en tout cas rencontré beaucoup de motivation, sauf à Bruxelles. Là, par contre, abonnés absents. Là où le Meir d’Anvers, grand concurrent de la rue Neuve à Bruxelles, a sauté des deux pieds joints sur l’occasion, la capitale a freiné… »

Petit retour dans le temps... Il y a déjà très longtemps (oh, un siècle ou deux, au moins!), quand j'étais déléguée syndicale dans le commerce, nous avons mené un combat contre les premiers projets d'ouverture des magasins trois dimanches par an. Combat contre notre direction mais aussi contre notre syndicat (2), qui nous reprochait notre ringardise. Je me souviens de la lettre que nous a envoyée un permanent, pourtant positionné « à gauche » sur l'échiquier syndical, nous demandant si nous tenions tant au repos dominical, cette vieillerie « d'avant la guerre 14 », pour pouvoir « aller à la messe » (nous, deux déléguées juives athées : c'était fin...). Après tout, il ne s'agissait « que » de trois dimanches, et puis il y avait le sursalaire et d'ailleurs de nombreux volontaires (les deux étant bien sûr liés) : surtout parmi celles qui n'avaient pas de quoi vivre avec un temps partiel de plus en plus imposé (cela aussi, nos syndicats l'ont accepté sans trop broncher : la flexibilité, c'est moderne...), le sursalaire (double puis triple) apportant un peu de beurre dans les épinards et parfois les épinards eux-mêmes.

Puis, comme nous l'avions prévu, la machine à broyer les « acquis » (ou plutôt les « conquis ») ne s'est pas arrêtée. Quand il n'y avait pas suffisamment de « volontaires », sont venues les menaces : petit horaire, contrat à durée déterminée ou de remplacement, vous vouliez un meilleur contrat ? Une seule voie, le « volontariat » ! Les trois dimanches sont devenus six. Quant à l'avantage financier, nous soupçonnions qu'à mesure où le travail du dimanche entrerait dans la « normalité » - comme l'était déjà pour nous le travail du samedi – le sursalaire lui-même serait remis en question.

Lisons donc ce qu'en dit aujourd'hui Dominique Michel. « L’augmentation des volumes sur le plan alimentaire risque de ne pas être gigantesque si vous ouvrez le dimanche. Les familles ont besoin d’une certaine quantité d’aliments. Ce n’est pas parce que vous ouvrez le dimanche que vous vendrez plus. Par contre, vous avez plus d’achats d’impulsion dans les secteurs non alimentaires. Exemple avec le secteur de la mode : si vous ne deviez acheter que ce dont vous avez besoin, tous les magasins de vêtements feraient faillite ! »

Admirons cette glorification des achats inutiles (d'« impulsion ») et cet aveu implicite : sans gaspillage, notre société capitaliste ne tiendrait pas le coup ! Mais intéressons-nous surtout à cette question des (sur)salaires : « Le premier problème, c’est le coût salarial le dimanche. Le système actuel met clairement un frein aux possibilités d’ouverture. (...)  Tout ce qu’on fait et qui améliore la condition des travailleurs en Belgique ne peut pas nous mettre en porte-à-faux avec ce qui se fait dans les pays voisins ». Donc, haro sur ce qui « améliore la condition des travailleurs », et vive le nivellement par le bas...

Enfin, on ne saurait ignorer cette conclusion d'un cynisme aboslu : « La question de savoir si la société doit respirer un jour par semaine est dépassée, elle ne le fait déjà plus…  »

Et c'est pourquoi, pour défendre ce droit à « respirer », qu'il faut espérer pour ce 5 octobre une météo extrême, seule circonstance, hélas, assez convaincante pour dissuader les foules envoûtées de se précipiter vers les achats inutiles et inspirer plutôt à chacun/e, au contraire, l'envie de  flâner ou de rester à la maison pour lire ou de partager en petit comité, avec des voisin/e/s ou des ami/e/s , un repas, un film, achetés durant la semaine... ou un de ces plaisirs qui eux, ne s'achètent pas.

 

 

 

(1) A noter aussi l'opposition des classes moyennes, reprise dans le même numéro de la Libre. L'avis des salatrié/e/s étant probablement sans importance..

(2) Voir aujourd'hui encore la réaction très molle de Philippe Van Muylder sur Télé Bruxelles le 23 septembre : les représentants des commerçants sont beaucoup plus opposés, en constatant que les 3 dimanches par an n'ont guère augmenté le chifre d'affaires et même que les clients viennent moins le samedi...

Mis à jour (Dimanche, 28 Septembre 2014 08:16)