Elle n'est pas féministe, mais...

Eh bien non, le capitalisme n'a pas subi un coup mortel, pas même  une légère éraflure. Il n'y a guère d'espoir non plus que votre pack téléphonie-internet-télé vous coûte désormais moins cher. Et les employé/e/s ne verront pas une brusque amélioration de leur statut, leur salaire et leurs conditions de travail.

Et pourtant oui, je persiste à penser que la nomination de Dominique Leroy à la tête de Belgacom est une bonne nouvelle.

Outre que son style change agréablement de celui du coq prétentieux qu'elle remplace, il me paraît important et positif qu'une femme arrive - enfin ! - à un tel poste de responsabilité. Et que ce soit une décision politique me paraît à saluer, en un temps où il est de bon ton de faire confiance à la fameuse « main invisible » pour régler tous les problèmes sociaux et sociétaux (surtout pas de lois, de quotas, que les politiques ne se mêlent de rien et la société évoluera toute seule !)

 

J'entends bien les objections. Des patronnes, tu parles d'un progrès ! Des femmes au pouvoir, tu parles d'une bonne nouvelle ! Et Margaret Thatcher, hein ? Et Angela Merkel ? Et les femmes de dictateurs ? Et qu'est-ce que ça a changé d'avoir Christine Lagarde à la tête du FMI à la place de DSK (sauf peut-être pour les femmes de chambre des hôtels) ? Et en plus, Dominique Leroy a pris bien soin de se démarquer de tout soupçon de féminisme, déclarant au Soir que rien que de s'y reférer serait « une catastrophe » et qu'elle « ne pense pas qu’aujourd’hui, le fait d’être féministe soit nécessaire » .

Tout au long de mes engagements, j'ai toujours été plus sensible au « plancher collant » - celui qui empêche tant de femmes de décoller des postes les moins qualifiés, les moins rémunérés, les moins protégés – qu'au fameux « plafond de verre » ou selon une nouvelle expression, au « tuyau percé » qui fait que les jeunes filles, après avoir mieux réussi dans leurs études que les garçons, disparaissent peu à peu à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie professionnelle et sociale. Et je sais bien que les femmes – tout comme des membres de minorités discriminées – qui arrivent à franchir tous les obstacles et à se hisser au sommet ont dû tellement se « normaliser », montrer « patte blanche » (et masculine), qu'on ne peut vraiment pas en attendre des bouleversements fondamentaux. Il y a aussi tout le poids du système dans lequel elles ont choisi de rentrer, avec l'intention de s'y faire une place plutôt que de le révolutionner.

Et pourtant oui, c'est un message important. D'abord pour les filles : le monde vous est ouvert, n'écoutez pas ces disocurs qui vous renvoient à Vénus ; Mars et Jupiter et Saturne sont aussi à votre portée. J'avais 13 ans quand Valentina Terechkova a effectué ses tours de la Terre à bord de Vostok 6. Je n'étais pas vraiment une passionnée des vols spatiaux, mais je me rappelle encore combien cette première femme cosmonaute m'a remplie d'espoir et de fierté. Ce fut pour beaucoup de filles leur « conquête de l'espace » à elles, même si elles ne rêvaient pas forcément d'aller sur la lune. De même, la nomination de Dominique Leroy ouvre des possibles, y compris pour des jeunes filles qui rêvent d'autres engagements que dans les entreprises du BEL20.

Une autre facette de ce message, pour en revenir à un thème qui m'est cher, s'adresse aux médias tellement paresseux – si pas de mauvaise volonté – pour trouver des femmes expertes dans des domaines réputés « masculins ». Si j'insiste souvent sur cette absence de femmes, ce n'est pas parce que je pense qu'elles sont plus compétentes (mais pas moins non plus), ni qu'elles ont forcément des choses mirobolantes ou exceptionnelles à dire... mais parce que d'abord, elles seront peut-être un peu plus sensibles au vécu des femmes (peut-être : ce n'est pas gagné) et ensuite parce que là encore, elles ouvriront des possibles. Une enquête française récente conclut que malgré leurs avancées dans le monde du travail, « la palette des métiers exercés par les femmes est beaucoup plus réduite que celle des hommes ».Et on ne parle pas là forcément de postes de pouvoir.

Une société qui ne cesse de se vanter de « mixité » (contrairement aux autres, n'est-ce pas...) se doit de l'appliquer d'abord à elle-même. Les femmes ne sont ni « meilleures » ni « plus humaines », elles forment tout simplement la moitié de la population. Un jour, nous aurons une femme première ministre. Je me permettrai de m'en réjouir, de la féliciter... Cela ne m'empêchera, le cas échéant, de combattre sa politique.

 

N.B. Pour ce qui est du « non féminisme » de Mme Leroy, je me permettrai de paraphraser Françoise Collin pour qui « toute oeuvre de femme est féministe » - bien que beaucoup d'artistes femmes refusent cette "étiquette", parfois avec véhémence. De même, on pourrait dire que toute réussite de femme est féministe. Et on pourrait gentiment dire à Mme Leroy que sans le mouvement féministe, elle n'aurait jamais atteint son poste, quels que soient ses mérites personnels.

 

 

 

Mis à jour (Samedi, 11 Janvier 2014 15:08)