Liberté, solidarité, licenciement
Donc, ça y est, il n'y aura bientôt plus d'ouvrier/e/s et d'employé/e/s en Belgique, seulement des des « travailleur/se/s ». A moins que ce ne soientplus que des « chômeur/de/s »... Après de longues et pénibles négociations, un « accord » a été trouvé sur le « statut unique », dont on peut trouver les détails ici ou là.
Il s'agit d'un « compromis ». Chacun a dû mettre de « l'eau dans son vin » - que ce soient les grands crus patronaux ou la piquette syndicale. Il était évident qu'on allait arriver à un breuvage plus ou moins amer pour les employé/e/s, à partir du moment où les syndicats acceptaient de « négocier », c'est-à-dire de céder sur des acquis pour une catégorie de travailleur/se/s en échange d'une amélioration pour une autre catégorie. A chacun/e de juger du degré d'amertume du résultat final. L'ABVV-Métal (aile flamande de la FGTB) est tellement contente qu'elle a envoyé un bouquet de roses à la Ministre du Travail. Au vu de ses mesures depuis son arrivée au gouvernement, on peut penser que Monica De Coninck aurait plutôt mérité un pot de plantes carnivores, du genre mangeuses de droits. Les chômeur/se/s apprécieront particulièrement.
J'aimerais juste insister sur deux points qui n'ont guère été relevés dans les commentaires.
Le premier tient à l'enfumage des concessions. Désormais, les préavis se calculeront en semaines, et non en mois. Jolie entourloupe, qui rend la perte pour les employés moins « visible ». Pour analyser l'accord et savoir ce qu'on perd (ou parfois gagne), il faudra donc s'armer d'un convertisseur de semaines en mois, et inversement. Exemple : une fois la période d'essai terminée (statut qui n'existera plus), l'employé/e avait droit à 3 mois de préavis, soit 12 ou 13 semaines. Il faudra désormais avoir trois ans d'ancienneté pour arriver à la même durée. Après 5 ans, le préavis passait à 6 mois : il faudra 7 à 8 ans désormais. Avec ces calculs subtils, on en arrive à un préavis de maximum 18 mois après 40 ans de carrière : actuellement, on arrivait à cette durée au bout de 30 ans. Mais on peut aussi regarder les mêmes chiffres autrement, car pour certaines durées de carrière, le calcul futur sera (légèrement) plus favorable que maintenant : ainsi, avec 3 à 5 mois d'ancienneté, ou encore plus de 4 ans mais moins de 5, l'employé/e y gagne... si l'on peut dire, puisqu'il s'agit quand même de se faire virer. On peut estimer qu'on a échappé au grand coup de hache, mais c'est bien là un grignotage très caractéristique du fameux "compromis à la belge". En tout cas un recul qui ne dit pas son nom.
Le deuxième point porte sur le détournement du beau concept de "solidarité". Oublions les fleurs des métallos, c'est vrai qu'avec la suppression du jour de carence et l'allongement des délais de préavis en ce qui les concerne, les ouvriers sont gagnants. Mais apparemment, il paraît « évident » que les avancées des un/e se paient par des reculs pour les autres ; à noter que l'alignement « par le bas » ne semble pas poser autant de contorsions, comme par exemple lorsque l'âge de la pension des femmes a été porté de 60 à 65 ans, comme les hommes. Autrefois – je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître... - même si certaines inégalités restaient dans l'ombre, les travailleur/se/s avançaient ensemble. Cela s'appelait le progrès social. C'est fini : la "solidarité", c'est de prendre à ceux/celles qui n'ont pas grand-chose pour donner à ceux/celles qui ont encore moins.
Un dernier mot : pour l'essentiel, rien n'a changé. Une vraie protection, que l'on soit employé/e ou ouvrier/e, aurait été d'interdire le licenciement sans motif. Demain comme aujourd'hui, il suffira aux patrons de payer un préavis pour n'avoir aucun autre compte à rendre. Dans le grand bazar du détournement de mots et de principes, cela s'appelle la « liberté » (d'entreprendre).
Mis à jour (Mercredi, 10 Juillet 2013 11:15)