Consentir n'est pas désirer
Alors que la terre brûle, de Boston à Damas, que des vents menaçants soufflent de Caracas à Paris, je vais vous entretenir d'un sujet qui ne concerne pas grand monde, oh, juste la moitié de l'humanité - même si l'on peut espérer que l'autre moitié se sente également concernée.
Le viol.
Pas le viol massif comme arme de guerre.
Pas les « tournantes », surnom donné au viol collectif quand il a lieu dans les caves de banlieue plutôt que dans nos immeubles cossus.
Non, je vais vous parler du viol bien de chez nous, et surtout de la manière dont peuvent en parler des gens bien de chez nous, des médias bien de chez nous, tout à fait respectables ou en tout cas respectés.
"Média-négation"
Deux actualités m'ont donné envie de revenir sur le sujet.
L'une est le suicide de Rehtaeh Parsons, cette jeune Canadienne harcelée depuis deux ans, après que les photos du viol collectif qu'elle a subi se soient retrouvés sur les médias sociaux. Haro sur la cyber-intimidation, mais qu'en est-il de la média-négation ? Radio, télé, presse, ont largement fait écho à cette histoire consternante, mais à chaque fois, j'ai sursauté en lisant ou en entendant qu'elle n'avait pas supporté les images de « ce qu'elle avait vécu comme un viol » (par exemple dans l'Avenir, mais il n'est pas le seul) ou « ce qu'elle considérait comme un viol » (par exemple à la RTBF radio comme télé). Un viol purement subjectif, donc.
Il faut savoir qu'au moment des faits, la jeune fille de 15 ans était complètement ivre, « semi consciente » - mais qui sait, peut-être qu'au fond d'elle-même elle était consentante ? Qui ne dit mot consent, n'est-ce pas ? Qu'elle n'était pas en état de le dire, ce mot (« NON!!!!!!!! »), peu importe, apparemment. Ou comment « appeler un chat ce qu'on considère comme un chat ».
"Allez-y, foncez, ça viendra bien !"
Deuxième actualité, l'interview accordée par Aldo Naouri au magazine Elle-France. Naouri n'est pas n'importe qui : c'est un pédiatre « star », un « spécialiste », un monsieur qui « sait » et dont il serait sage de suivre les excellents conseils. Elle, ce n'est pas non plus n'importe quoi : un magazine féminin plutôt haut de gamme, qui se targue parfois d'un zeste de féminisme.
Voici donc un extrait de l'article, tel qu'il a été publié :
Elle : Dans votre livre, vous évoquez ces mères entièrement dévouées et qui ne font plus l’amour après la naissance de leur bébé. Vous parlez d’une consultation où vous dites à un père devant sa femme : «Violez-la ! » C’est choquant : le viol, y compris conjugal, est un crime condamné par le Code pénal.
Aldo Naouri : C’est évidemment une provocation ! J’étais devant un homme qui me disait : « J’en crève d’envie mais j’attends qu’elle veuille. » Sa femme le regardait sans rien dire. J’ai dit en exagérant : « Violez-la ! » C’était excessif mais c’était une manière de dire : allez-y, foncez, ça viendra bien ! D’ailleurs, à ces mots, le visage de la femme s’est illuminé !
Bien que « choquées », les intervieweuses poursuivent l'entretien en changeant de sujet (le mariage pour tous, sur lequel Naouri a des positions tout aussi rétrogrades). Et comme Aldo Naouri lui- même prend la précaution de parler de « provocation », j'en connais – y compris parmi mes contacts plus ou moins proches – pour trouver qu'on lui fait un mauvais procès. Comme par exemple dans ce commentaire reçu sur Facebook : « Si dans une conversation, quelqu'un me raconte que son patron l'emmerde et que je lui dis "c'est horrible, tue-le !", tu penses que c'est une incitation au meurtre ????? » Ce qui revient à ignorer quelques « petites » différences :
- dans le cas de Naouri, il ne s'agit pas d'une "conversation" mais du "conseil" d'un thérapeute réputé "savoir", transmis non pas dans un cabinet de consultation ou autour d'un verre mais dans un article à la portée de tou/te/s, aspirants violeurs compris ;
- on n'ajouterait sans doute pas que le patron en question, entendant cette suggestion, a « le visage qui s'illumine » : personne ne pense que la victime d'un meurtre ne demande que ça (sauf des cas très rares de suicide assisté) ;
- enfin, si par malheur l'interlocuteur passait à l'acte, il y aurait plainte et condamnation. Or on estime qu'à peine une victime de viol sur 10 va porter plainte et que les condamnations sont encore plus rares. Et encore plus exceptionnelles en cas de viol conjugal.
Aujourd'hui, un texte circule sur le net pour demander des excuses à Naouri et au magazine Elle (1) .Mais au-delà de la provocation de cette "manière de dire : Violez-la !", il y a les arrière-pensées contenues dans l'explication de texte : "allez-y, foncez, ça viendra bien !" Autrement dit : insistez, forcez-la un peu, elle finira par consentir ! Et en plus - puisque le "visage de la femme s'illumine" - elle aime ça !
Mais c'est l'idée même de "consentement" qui me chipote.
"Consentement", seulement au féminin
Mon Robert historique m'informe qu'à l'origine le terme signifiait "être d'un même sentiment" donc, en effet,il pourrait indiquer le partage d'un même désir. Mais aujourd'hui, précise le bon Robert, "consentement a été adjectivé au sens général et aussi avec la valeur 'qui accepte une relation amoureuse, sexuelle' (au féminin)". Voilà donc l'origine de mon malaise : le "consentement", ça n'existe qu'"au féminin". Loin d'être une manière de "sentir avec", c'est un pur produit de relation d'inégalité, voire de domination.
Je comprends bien que la loi doit tracer une frontière au-delà laquelle commence le délit ou le crime : le viol est donc défini par le non consentement de la victime à certains actes de nature sexuelle. La définition précise des actes pris en compte variant avec le temps et le lieu, tout comma la défintion du consentement : faut-il un « oui » ou suffit-il d'une absence de « non » ? L'affaire Assange a bien marqué la différence : peut-on considérer comme « consentante » une femme endormie, ou ivre, ou encore incapable de dire non pour d'autres raisons (comme un rapport de force ou de pouvoir) ? La Suède a décidé que non, et l'on a entendu beaucoup de ricanements du genre : ah bon, vous voulez que chaque rapport sexuel soit précédé d'un contrat signé en trois exemplaires avec les tampons de deux témoins ?
Bien sûr que non. Mais au-delà de l'aspect légal, le "consentement" (au féminin uniquement) n'est-il pas le signe d'une relation - pas forcément amoureuse, même simplmeent sexuelle - d'une grande pauvreté ? Car consentir veut dire simplement « accepter », sinon se résigner : mais pas désirer. Pas vouloir, pas choisir.
Je ne prétends pas qu'il faut toujours se priver et priver l'autre si on n'est pas au top du désir bestial, là tout de suite sur la table de la cuisine. On peut en effet « consentir » pour un tas de raisons. Parce qu'on a envie de faire plaisir à l'autre, tout simplement. Parce qu'on l'aime, bêtement, même si on n'a pas envie, là tout de suite. Parce que dans l'intimité d'une relation entre deux - ou plusieurs - adultes, il existe une infinité de figures complexes. Mais quand une femme "consent" juste parce qu'elle se sent prise au piège, qu'elle n'a pas envie de complications, ou qu'elle a peur de passer pour une coincée du vagin, le consentement même explicite, et même si la loi n'est donc pas transgressée - eh bien, le consentement n'est rien d'autre que de la résignation à un rapport de force défavorable.
Un dictionnaire en ligne donne d'ailleurs ce délicieux exemple pour illustrer le mot : « La direction consent à l'augmentation des salaires ». Alors je vous le dis, chers camarades masculins : si quand vous batifolez avec une femme il vous suffit, pour prendre votre pied, qu'elle soit aussi « consentante » à vos caresses qu'une direction à une augmentation salariale, c'est que vous manquez vraiment d'ambition. Pöur ne même pas parler de respect ou d'amour.
(1) Personnellement, même si je le trouve fort pertinent, je ne l'ai pas signé parce que je ne suis pas très pétitionnaire et que par ailleurs, je préférerais la parution d'un article démolissant l'argumentation de M. Naouri que des « excuses » forcées. A noter que Naouri "assume" (en riant !) sur France Culture :
Mis à jour (Mercredi, 17 Avril 2013 11:40)