Zizi chez les Gaulois
Au hasard d'une invitation à un concert, un ami a découvert une association qui avait jusque là échappé à son attention (tout comme à la mienne). Curieux de nature et mal intentionné par choix, il s'est donc penché sur les entrailles du « Cercle Royal Gaulois Artistique et Littéraire », plus connu sous le nom de « Cercle Gaulois ». Après avoir posé un premier diagnostic sur ce magnifique rassemblement de coqs à crête dorée, il m'a charitablement offert quelques outils pour mieux leur voler dans les plumes.
Et quelles plumes ! Du vicomte par-ci, du chevalier par-là, de l'ex-recteur, bourgmestre, ministre d'Etat, et même un ex-président de la République française ! (Non, pas Sarkozy, imaginez qu'il lui prenne la fantaisie de lancer, dans ces couloirs dédiés à l'Art et aux Lettres, un « Casse-toi pauvre coq ! » qui salirait les lambris à tout jamais ! Non, il s'agit de Giscard d'Estaing, qui sait tenir sa langue et ses couverts à poisson).
Donc, voici la composition du Cercle Gaulois, telle qu'on peut la trouver sur son site :
Un président d'honneur.
Sept membres d'honneur.
Cinq membres du comité de direction.
Dix membres du conseil d'administration.
Dix membres d'une mystérieurse « commission de ballottage ».
Deux commissaires.
Sept conseillers.
Un directeur.
Une composition qui pèse son poids de testostérone : 100% d'hommes. Quoique, en y regardant de plus près... ah si, deux femmes ! L'une s'occupe du secrétariat, l'autre de la comptabilité. Et alors que ces messieurs ont tous droit à leur photo, ces dames sont représentées... par un logo.
Il faut ajouter, pour être complet, que le Cercle ne brille pas non plus par sa mixité sociale ou sa diversité culturelle et générationnelle, Giscard d'Estaing étant ce qu'on trouve de plus audacieux en matière d'ouverture aux jeunes talents étrangers.
Pourtant, le Cercle Gaulois n'est ni un sauna gay, ni un groupe de parole pour auteurs de violences conjugales, ni une association d'entraide pour victimes du cancer de la prostate... toutes circonstances pouvant justifier l'entre-soi. Ce n'est pas non plus un repaire salafiste, et l'on peut parier qu'une bonne partie de ces messieurs seraient prêts à brandir l'étendard de l'égalité entre les sexes et à s'offusquer quand des femmes revendiquent des organisations et des activités non mixtes.
Mais au fait, qu'est-ce que le Cercle ? Le site le présente, non sans emphase (toutes les majuscules sont d'origine): « Au quotidien se rencontrent, déjeunant au cœur du Parc Royal de Bruxelles, des membres du Gouvernement, des ambassadeurs, des parlementaires, des magistrats ou professeurs d'Université, des représentants des professions libérales ou chefs d'entreprises, des artistes ou hommes de Lettres ». Chut, ne dites pas à ces messieurs – ils risquent l'infar ! - que certains de ces postes ont déjà été infiltrés par de sournoises chipies dévorées d'ambition, même si elles restent minoritaires. « Le Cercle organise concerts, expositions, conférences ; il n'est étranger à aucune forme de l'Art jusqu'à certaines performances dans l'art culinaire ». Attention : il s'agit bien de « performances dans l'art culinaire », pas de banale « cuisine » ; c'est pourquoi l'un de ces messieurs « est désigné comme officier de bouche. Il conçoit son menu avec le Chef de cuisine, le présente aux convives et, en fin de repas, est soumis à un commentaire où l'esprit prime sur la sévérité, sans pour autant exclure la louange ». On imagine qu'il ne va pas jusqu'à s'occuper des basses oeuvres liées à cette « performance ». Sans doute l' « officier de bouche » est-il épaulé par une nuée de « soldates de vaisselle sale ». Mais attention, messieurs, comme diraient les activistes de la Barbe (1) : après la secrétaire et la comptable, craignez d'introduire ainsi la louve dans la bergerie ! On commence par engager une titre-service, et on finit avec une présidente !
Poursuivons la présentation : « A côté de la démarche intellectuelle et de la culture, il y a l'agrément : le bridge les après-midi et le mardi avant et après le dîner, les échecs, les groupes d’activités consacrés au golf ou aux voitures anciennes ». Il doit bien y avoir aussi des petits trains électriques et des soldats de plomb qui traînent. On comprend que la gente féminine n'ait rien à faire en ces lieux, oublier que dans « gaulois », il y a « gauloiserie », une ambiance qui ne sied donc point aux dames.
Mais trêve de goguenardise ! (hé, moi aussi je peux écrire compliqué !) Prévoyant par avance les remarques désobligeantes (hé, moi aussi je peux utiliser des pléonasmes !), le Cercle précise : « Beaucoup des manifestations du Cercle sont ouvertes aux Dames : Ladies-nights, voyages, excursions, visites d'expositions, de musées et de demeures historiques, conférences, etc ». Et la vaisselle, messieurs, et le ménage ! Décidément, ces hommes sont trop modestes.
Enfin, nous lisons que : « le Cercle Gaulois est un endroit convivial où l'on s'exprime avec beaucoup de liberté. Toute idée nouvelle (2) intéresse pourvu qu'elle soit de qualité ; être invité à la tribune du Gaulois pour y prendre la parole est d’ailleurs une consécration à laquelle les plus grands artistes, les plus brillants conférenciers, les plus éminents hommes d'État sont sensibles. Il est vrai qu'ils ont en commun un passeport obligatoire : le.... »
Et c'est là que je vous vois ricaner, mauvais esprits que vous êtes, en imaginant la nature de ce « passeport commun obligatoire ». Mais non, ce n'est pas « le petit chose et des deux orphelines » (3) : il s'agit de rien moins que de l'esprit.
Pour conclure dans l'Art, les Lettres et les Jules, comme l'écrivait (à peu près) César, de tous les Cercles de Belgique, le Gaulois est le plus mâle.
PS : Je me suis fait un plaisir d'envoyer ce texte aux Gaulois, en espérant qu'il pimentera certaines parties de bridge. S'ils réagissent, je ne manquerai pas de leur donner l'écho qu'ils méritent !
(1) La Barbe, Groupe d'Action féministe français qui intervient, en groupe de barbues, dans les lieux de pouvoir, colloques, et même conseils d'administration de grandes entreprises, d'où les femmes sont exclues (ou très minoritaires). Des interventions qu'elles filment et balancent sur le net, pour le pus grand plaisir de leurs fans (dont je suis)
(2) Sauf la mixité, bien sûr, faut pas exagérer
(3) Pierre Perret, « Le zizi »
Mis à jour (Samedi, 06 Avril 2013 13:46)