Un brin de résistance

Chaque année, c'était pareil.

Alors qu'avril avançait à grands pas vers sa fin, qu'un soleil poussif faisait éclater les bourgeons en bébés feuilles d'un vert tendre, que jacinthes et jonquilles couvraient les paysages de bleu et de jaune, une petite plante d'aspect plutôt timide attirait sur elle tous les regards et la majorité des portefeuilles. Eh oui, le convallaria majalis, avec ses clochettes blanches et ses minuscules baies rouges, symbole de bonheur et de paresse révolutionnaire, bref, en un mot, le muguet, écrasait toutes les autres plantes, avec plus qu'un brin d'arrogance.

Mais voilà qu'en cette année 2017, le modeste végétal prenait une nouvelle signification : celle de la résistance à un gouvernement néo-libéral qui, non content de faire sauter l'index et de réduire le remboursement sur les sprays nasaux, était à la recherche de nouvelles économies en complotant dans les coins pour supprimer un jour de congé légal. Car qui dit congé dit bras croisés, flemmardise et perte incommensurable pour le PIB ! Et bien sûr, en pole-position dans le collimateur, il y avait le 1er mai, cette Fête du Travail désormais réduite à une simple journée improductive.

Or, il en allait de la prospérité de la nation ! Il fallait certes, pour faire passer la pilule, trouver un objectif d'apparence sociale – la France avait bien supprimé le congé de Pentecôte sous prétexte de financer la dépendance des vieux. Entre la famine en Afrique, Viva for Life, le rachat d'Eden Hazard par un club belge, ou encore la caisse de chômage des ex-députés (biffez les mentions inutiles), les bonnes actions à mettre en avant ne manquaient pas. Outre le bénéfice financier, on pouvait espérer mettre fin du même coup à la célébration de souvenirs désagréables de grèves, de manifestations, d'acquis-conquis auxquels s'accrochaient encore quelques prolétaires incapables de rentrer dans la modernité. L'idée venait de la N-VA, soutenue par le VLD, le CD&V n'était pas chaud mais soulagé d'échapper à la suppression d'une fête chrétienne et le MR, comme d'habitude, était prêt à s'aligner, malgré le déchirement que constituerait le renoncement au défilé annuel à Jodoigne.

Mais voilà, le projet avait fuité, se retrouvant dans les dernières révélations de Wikileaks qui avait publié cet échange entre Bart De Wever et Charles Michel : « Je calme Theo, tu me donnes le 1er mai. - Peeters ne voudra jamais. - Peeters, je m'en charge. Ce sera le 1er mai ou Noël. Tu vas voir comment il va devenir flexible ». (Pour la commodité de lecture, nous avons traduit l'échange qui s'est évidemment déroulé en flamand, et coupé quelques insultes qui dépareraient dans une revue sérieuse).

A l'époque des réseaux sociaux, comment imaginer que le secret des négociations puisse être gardé ? L'information se répandit comme une traînée de pollen au vent. Les formes de résistance s'étant elles aussi adaptées – à l'exemple des pétitions facebookées – il fallait trouver un symbole pour la défense du Premier Mai. Quoi de plus adéquat que les gentilles clochettes, toujours en vente libre malgré leurs vertus toxiques qui avaient déjà réussi à venir à bout de plus d'un chat récalcitrant ? Immédiatement, le muguet se mit à fleurir un peu partout : qui à la boutonnière, qui dans les cheveux, en collier, en boucles d'oreilles, en piercing, derrière le pare-brise des voitures. D'aucuns allaient jusqu'à l'arborer à l'école, au guichet des services publics, sur les plateaux de télévision. Le « lily challenge » envahissait Twitter et Facebook, chacun agrémentait sa photo de profil d'un petit brin. C'en était trop !

Le gouvernement décida de sévir. Passe encore que l'on préfère le rouge au brun et la paresse à l'effort, la liberté d'opinion était un bien sacré, mais il n'était pas question de tolérer le prosélytisme ! Le port ostentatoire du muguet était désormais passible d'une de ces fameuses sanctions adminsitratives communales, faute de place dans les cours d'assises.

Cependant, en ce premier mai, n'importe quel journaliste un peu curieux ne pouvait manquer de croiser l'un ou l'autre dissident, comme on le découvrit le soir, à la télé, les visages des contrevenants étant bien sûr floutés et leurs noms anonymisés, la caméra zoomant sur le petit brin impertinent.

« Voyons, Madame... je vois que vous portez du muguet ? Quel en est le sens ?

- Eh bien, je trouve que c'est joli, avec du blanc, du vert, du rouge... comme le drapeau italien, vous voyez.

- Ah moi, c'est parce que ça sent bon.

- Pourquoi je le porte ? Blanc et vert, c'est trop cool avec la couleur de mes chaussettes.

- Eh bien moi, c'est juste une façon de rappeler qu'on est le premier mai, souvenir déjà lointain des luttes des...

Mais cette personne n'eut pas le temps de terminer sa phrase, car c'était justement l'heure de la pause publicitaire. Quel dommage : les générations futures ne pourront pas découvrir, même en podcast, de quoi le premier mai fut le nom.