Gestation pour autrui : faut-il légiférer ? ( Compte-rendu personnel)

 

 

Ce 30 janvier, j'ai assisté au Sénat à un débat organisé par Ecolo-Groen sur le thème « GPA : faut-il légiférer ? »

Que les choses soient claires dès le départ : ce compte-rendu ne prétend pas à l'objectivité, tout au plus à être aussi honnête que possible. J'ai une position ferme sur la « gestation pour autrui » : rien que l'intitulé, déjà, me paraît une forme de neutralisation déformante d'une réalité qui en fait, ne concerne que des femmes. Ce qui est aussi une manière d'effacer un rapport de domination, comme quand les « violences conjugales » ont remplacé, dans le vocabulaire courant, les « femmes battues ». Je préférerai donc le terme de « mères porteuses ».

 

Ce phénomène relève pour moi de l'exploitation du corps des femmes et/ou de leur supposé altruisme et/ou d'une domination économique. Et quand j'entends des analyses basées sur le principe sacré de « l'offre et la demande », cela achève de me faire grimper aux murs. Tout comme les distinctions entre GPA de « haute technologie » et de « basse technologie », termes technocratiques qui balaient l'humain, qui me font frémir et dont je vous épargnerai donc les détails.

Tout cela étant dit, j'ai ouvert bien grandes mes oreilles et j'ai essayé de ne pas déformer les interventions par mes convictions personnelles. D'autres peuvent compléter ou même, s'ils/elles le souhaitent, me contredire.

Je me suis permis aussi d'inclure quelques réflexions personnelles, qui sont en note de bas de page.

 

Le panel

Dès le départ, le député Ecolo Benoît Hellings a précisé que son groupe n'avait pas de position arrêtée et organisait précisément un tel débat pour écouter les arguments des un/e/s et des autres, car des projets de loi doivent prochainement être discutés au Parlement. Les autres partis sont d'ailleurs tout aussi divisés sur le sujet.

Cependant, le choix des quatre intervenant/e/s à la tribune me paraît déjà problématique. Parfaitement paritaire, certes ; mais nettement orienté aussi. La présence du docteur Candice Autin, du CHU Saint-Pierre, ne se discute pas ; c'est une pratiquante de terrain qui, dans son intervention, parlera chiffres, procédures, réalités des « parents d'intention » comme des mères porteuses. Elle restera très prudente sur une légalisation de la GPA en tant que telle mais enfin, on ne peut pas la compter parmi les opposantes à un encadrement légal.

Le juriste Patrick Wautelet, de son côté, était là pour apporter un éclairage sur les législations d'autres pays. En 15 minutes, il n'avait évidemment pas la possibilité de faire le tour du monde et s'est donc limité à deux exemples, laissant volontairement de côté les pires situations, comme l'Inde ou l'Ukraine. Là encore, c'est une position tout à fait assumée et défendable, mais on ne peut pas dire non plus que sa présentation penche du côté des « anti GPA ».

Les deux autres invité/e/s par contre plaident clairement pour un encadrement légal : le juriste Véronique Van Asch fait un plaidoyer à sens unique et le philopsophe Guido Pennings défend des positions tellement extrêmes qu'il finit par donner, à l'insu de son pein gré, de solides arguments aux « anti ». J'y reviendrai, mais une première remarque : non, on ne peut pas dire qu'un tel panel soit « équilibré ». La seule position contestant une forme de légalisation sera présentée dans un petit film (donc sans échanges possibles) par Carmen Castellano, secrétaire générale des FPS (Femmes Prévoyantes Socialistes), avec trois arguments principaux : le refus d'une mise à disposition du corps d'autrui (au-delà même de la marchandisation), les restrictions à l'autonomie de la mère porteuse à partir de la signature d'une convention (droit à l'avortement, grossesse problématique, ou même plus trivialement, l'interdiction de certains comportements comme boire ou fumer...),, et enfin le silence sur d'autres alternatives (y compris la possibiité de vivre un couple heureux sans enfants).

Le vrai débat viendra donc de la salle. C'est bien, mais on conviendra que ce n'est pas la même chose d'de disposer de15 minutes d'intervention à la tribune ou de 2 à 3 minutes pour construire, très vite, trop vite, un squelette d'argumentation.

 

Des chiffres et des êtres

Première intervenante, la docteure Candice Autin explique les procédures actuellement pratiquées et donne quelques chiffres.

En Belgique, la GPA n'est ni interdite, ni autorisée. Elle est pratiquée dans trois hôpitaux, la Citadelle de Liège (depuis 1992), Saint-Pierre à Bruxelles (depuis 1997) et l'UZ de Gand (depuis 2000), ainsi qu'occasionnellement par certains autres centres.

En 20 ans, on compte entre 150 et 200 cas (difficile à chiffrer précisément, comme toutes les pratiques qui restent dans un flou juridique) : c'est que les indications prises en compte sont rares (ainsi le CHU de Saint-Pierre n'accepte que des couples hétérosexuels et des critères médicaux assez sévères), les procédures longues (il faut passer par des médecins, des juristes, des psys...) et l'insécurité juridique décourageante (1). 40% des couples abandonnent en cours de route et seule la moitié des autres sont acceptés.Finalement, depuis 1997,19 bébés sont nés par GPA et 2 grossesses sont en cours. A 85%, les mères porteuses (non rémunérées) sont des proches des parents demandeurs (à 65% des membres de la famille). Dans 15% des cas elles ont été recrutées sur Internet, mais la condition de l'acceptation du dossier est la construction d'une relation forte avec les parents d'intention.

Sur 141 demandes traitées, 64 venaient de Belgique, 61 de France (où la pratique est explicitement interdite) et le reste d'autres pays européens (dont 10 des Pays-Bas, où la GPA est légale mais avec de fortes restrictions).

 

Encadrer ce qui existe

Abordant le plan  juridique, ensuite, Véronique Van Asch part d'une position tranchée : il n'est plus temps d'avoir des débats de principe, il s'agit aujourd'hui de résoudre des situations existantes. Actuellement, les parents d'intention doivent passer par une longue procédure d'adoption pour que leur lien avec l'enfant soit reconnu (comme jusqu'il y a peu encore la co-parente lesbienne) ; il faut parfois attendre un an d'insécurité juridique totale, avec le risque que l'une des parties change d'avis ou décède : rien n'est alors prévu. Mme Van Asch rappelle quelques cas dramatiques, comme celui de la petite Donna, ce bébé « programmé » par un couple belge et que la mère porteuse a finalement choisi de « vendre » à des Hollandais plus offrants... (2)

Pour éviter ce genre de dérives, la juriste plaide donc pour une législation qui comprendrait aussi un changement radical de notre Code Civil : la femme qui accouche ne serait plus automatiquement considérée comme la mère (3). Une loi devrait répondre à bien d'autres problématiques : quelles sont les obligations qui peuvent être imposées à la mère porteuse ? (4) Que se passe-t-il en cas de séparation des parents d'intention durant la procédure ? Et si l'enfant est handicapé ? Et que fera-t-on des GPA réalisées quand même à l'étranger ? Pour la juriste, il s'agit de prévoir un maximum de garanties pour éviter les conflits, en gardant toujours à l'esprit d'abord l'intérêt de l'enfant.

A noter que cette même juriste qui ne voit pas de problème à modifier la « présomption de maternité » d'une femme qui accouche ni à encadrer par pragmatisme des situations existantes, fussent-elles hors de la légalité, s'effarouche lorsqu'on évoque de la salle d'autres possibilités de « faire famille », comme par exemple les couples de gays qui font un enfant avec un couple de lesbiennes, et plus largement, la question de la pluriparentalité. Tout à coup, ce serait « jouer avec le feu ».

On aurait aimé un avis juridique qui prenne en compte l'ensemble des possibilités de fonder une famille et qui explique, par exemple, si et comment on pourrait résoudre, sans légaliser la GPA, la problématique des enfants nés d'une mère porteuse en toute illégalité, mais qui n'ont pas à payer pour les choix de leurs parents.

De son côté, Patrick Wautelet, de l'ULG, fait un tour rapide de ce qui se passe ailleurs.

La plupart des pays n'ont pas de législation particulière sur la GPA. C'est le droit commun qui règle les questions de filiation, avec plus ou moins de problèmes.

Dans quelques pays, il existe une prohibition civile (un éventuel contrat est considéré comme nul) et/ou pénale (les intermédiaires peuvent être poursuivis) : c'est par exemple le cas de la France.

D'autres pays n'ont pas de législation spécifique, mais connaissent des pratiques professionnelles.

Enfin, un nombre minoritaire mais croissant de pays reconnaît la GPA, soit par la loi soit par la jurisprudence.

Patrick Wautelet développe deux exemples, ceux de la Nouvelle-Zélande et de l'Afrique du Sud. Dans les deux cas, il s'agit de GPA non rémunérées, le contrat devant être préalablement approuvé soit par un comité d'éthique (N-Z) soit par un juge (A-S). Dans le premier cas, la filiation se fait par le droit commun (adoption), dans le deuxième, les parents d'intention sont d'office reconnus comme parents légaux. Pour les GPA pratiquées à l'étranger, la filiation est tout de même reconnue, même si le chemin juridique est plus compliqué.

 

L'offre, la demande et la philosophie

Nous arrivons au professeur Guido Pennings, la cerise sur le gâteau – ou le clou du cercueil, selon le choix de chacun/e. Le mien est fait, on l'aura deviné ; j'avoue avoir eu du mal à l'entendre jusqu'au bout et cela se ressentira.

D'emblée, il annonce que ce qu'il dira ne plaira pas à tout le monde (pas mal comme truc pour aiguiser l'écoute). De fait. Ce philosophe dont on pourrait attendre des questionnements et de la complexité, propose au contraire de trancher dans le vif. Un seul mot d'ordre : simplifions !

Premier point : les parents d'intention doivent être considérés comme les parents juridiques, punt aan de lijn. Foin des procédures. Il dira même, texto : « La mère porteuse ne doit pas 'céder' son enfant, car ce n'est pas 'son' enfant ! » Pour aborder une question sensible, il doit être clair que si l'enfant naît avec un handicap, ce sont les parents d'intention qui doivent le prendre en charge.

Guido Pennings plaide pour éviter les restrictions et les conditions de toutes sortes, car toutes les situations ne peuvent pas être anticipées. S'il y a tout de même une restriction, elle doit pouvoir être justifiée rationnellement. Ainsi, fait-il mine de s'étonner, pourquoi exiger qu'une mère porteuse ait déjà un enfant, alors qu'on ne l'exige pas d'un/e donneur/se de gamètes ? (5). Pour ce grand partisan de la GPA, les restrictions ne servent qu'à limiter le nombre de mères porteuses possibles, c'est-à-dire « l'offre ».

Deuxième point : il faut renoncer à la disctinction factice entre « paiement » et « compensation », autrement dit, entre GPA « commerciale » et « altruiste ». Car que signifie ce refus de la « commercialisation » ? Qu'il n'y ait aucun paiement ou que la mère porteuse ne soit pas motivée par l'argent ? Même en cas d' « altruisme », certains frais sont compensés : les frais médicaux, les vêtements nécessaires, la perte de salaire... Et pourquoi pas le temps perdu, les malaises... ? Pour éviter le terme de « commercialisation » trop négativement connoté, Guido Pennings propose un système d' « altruisme soutenu » (6).

Troisième point : une loi doit inclure les GPA réalisées à l'étranger, car « il n'y aura pas assez de mères porteuses face à une demande en hausse ». Donc certains parents d'intention iront quand même voir ailleurs, et il faudra en tenir compte (7).

Voilà, j'ai laissé mes remarques et cris de colère ci-dessous, mais je ne peux m'empêcher de noter ici qu'il est quand même assez ironique que ce soit un professeur de philosophie qui ramène la GPA à ce qu'elle est vraiment : une question d'offre et de demande, dans une belle logique capitaliste.

 

Pas d'alternatives ?

Ces interventions ont été suivies par un débat avec la salle, où enfin, à côté de témoignages parfois très touchants (dont celui de deux soeurs, l'une acceptant d'être mère porteuse pour l'autre), des opinions dissidentes ont pu s'exprimer.

Difficile de résumer tout cela. Certains questionnements portaient sur les conséquences de toute cette ingéniérie sur les futurs enfants ; ce sont là des questions qui ont déjà été posées lors des débats sur l'homoparentalité et on constate, dans les situations « innovantes » – même s'il n'y a pas encore beaucoup de recul dans le cas de la GPA – que ces enfants ne rencontrent pas de problèmes particuliers.

D'autres ont évoqué le lien « naturel » entre l'enfant et sa mère biologique (celle qui le porte) et/ou génétique (celle qui a donné l'ovule). Des féministes ont soulevé la perte d'autonomie de la mère porteuse, dont les parents d'intention pourraient contrôler la nourriture, les médicaments, les comportements, voire son droit à l'avortement... D'autres intervenants par contre glorifiaient la liberté de choix des mères porteuses, en détournant le slogan « mon corps m'appartient ». Toute condition à la GPA (pas de commercialisation, obligation d'avoir déjà eu un enfant...) apparaissant alors comme autant d'atteintes à une liberté, raisonnement tout de même assez pervers, surtout quand on ose comparer le « droit » d'être mère porteuse au droit à l'avortement ou même au droit de vote...

On peut regretter que certaines alternatives, comme un assouplissement des possibilités d'adoption ou la pluriparentalié, n'aient été que peu ou pas du tout abordées.

Dans sa conclusion, la sénatrice Groen Petra De Sutter (par ailleurs elle-même gynécologue et directrice d'un département pratiquant des GPA à l'hôpital universaire de Gand) a constaté qu'il est difficile d'imaginer une loi qui garantisse au mieux à la fois les intérêts des enfants, des parents d'intention et des mères porteuses ; des compromis seraient donc nécessaires (8). Elle exprime en tout cas le rejet de système de GPA comme en Inde. Reste la question : une loi peut-elle éviter cela ou au contraire, risque-elle de l'encourager ?

Le débat aura donc lieu à la Chambre et il s'agira, alors, de faire entendre sa voix. (9)

 

 

 

 

Notes :

(1) D'où on peut conclure qu'une loi assurant une meilleure sécurité juridique devrait grimper la demande.

 

(2) le rappel de ce cas ici

 

(3) Jusqu'aux découvertes sur l'ADN, c'est le père qui était considéré comme « incertain », désormais la mère le serait aussi ; un progrès, vraiment?

 

(4) C'est en ces termes qu'elle s'est exprimée.

 

(5) Là les bras m'en sont tombés : cette précaution est autant d'ordre psychologique – que la mère porteuse ait déjà l''expérience d'une maternité – que médical – que l'on vérifie sa capacité à vivre une grossesse et un accouchement sans complications, même si ce n'est pas une garantie absolue. Il faudrait peut-être expliquer à ce monsieur que porter un enfant durant 9 mois et passer par un accouchement, ce n'est pas tout à fait la même chose que se masturber devant une revue porno ? Et pardon d'être grossière, mais il faut parfois descendre des hautes sphères de la philosohie vers la vie réelle...

 

(6) Cette disticntion entre GPA « altruiste » et « commercial » est en effet tout à fait factice, et c'est un bel argument pour les anti : si on admet l'une, on admettra l'autre. Car comment vérifier que la mère porteuse n'a pas été rémunérée, si personne ne porte plainte (ce qui ne sera le cas qu'en cas de conflit) ?

 

(7) Encore un argument pro qui peut servir aux anti  : les partisans d'une loi prétendent vouloir mettre fin aux pratiques les plus honteuses à l'étranger, comme en Ukraine, en Inde ou dans cerains pays d'Afrique, où on peut parler d' « achat d'enfants » et d'«usines à bébés », l'argent allant d'ailleurs principalemnt aux intermédiaires. Or Guido Pennings le dit platement : un loi ne fera qu'augmenter la « demande » et faute d' « offre suffisante » - les femmes de chez nous n'étant pas assez altruistes ou assez pauvres – le trafic à l'étranger pourra prospérer.

 

(8) Ce qui présuppose déjà qu'une loi est nécessaire ; et on peut craindre que dans ce « compromis », le rapport de forces ne soit pas en faveur des mères porteuses.

 

(9) Un autre colloque devrait être organisé par la Rainbowhouse au mois de mai à Bruxelles.

Mis à jour (Mercredi, 13 Mai 2015 08:38)