A propos d'un non-article dans le Monde des Livres

Lettre ouverte au Monde des Livres

 

Dans votre édition du 5 décembre, le Monde des Livres consacre une page aux « Trésors de dictionnaires « , ces publications qui, à vous lire, « recensent toutes les marottes, les obsessions, les curiosités ». Vous citez pêle-mêle une série de thèmes parmi les sorties d'ouvrages récents, comme « les chats, le vin, (...) les cépages, le tango, les créatrices… »

Les créatrices ? Laissez-moi deviner : une femme qui crée, est-ce une « marotte », une « obsession », ou une « curiosité » ?

En tout cas, si c'est une « curiosité », elle n'a pas été jugée digne d'éveiller la vôtre. En effet, dans votre article qui reprend les huit ouvrages les plus « séduisants », le tout récent Dictionnaire universel des créatrices (1) n'a pas été retenu.

A la lettre C, on aurait pu attendre « Créatrices ». Mais non : vous avez préféré les « chiens de fiction ».

A la lettre F, on aurait pu espérer le mot « Femme ». Vous savez, ces êtres étranges qui forment la moitié de l'humanité ? Mais non, et là vous avez fait encore plus fort : « F comme Fourneaux ». Si on évoque les fourneaux, plus besoin de s'intéresser aux femmes, n'est-ce pas ? Elles sont là dans leur élément !

Ah si seulement un auteur masculin avait proposé un « dictionnaire amoureux des femmes », rendant un hommage enflammé aux muses, aux icônes, aux mères, aux amantes, discrètes et silencieuses derrière leurs grands hommes... ah là, ce dictionnaire avait toutes les chances de retenir votre attention ! Mais ici, les femmes prennent elles-mêmes la parole, elles montrent leur force et leur créativité, leur façon de regarder et de transformer le monde : et ça, franchement, qui est-ce que ça peut intéresser ?

Ne me répondez pas que ce sont quatre femmes qui signent l'article : la servitude volontaire n'est pas un concept récent. Et comme pour souligner que seuls les hommes sont dignes de créer, parmi les directeurs des ouvrages choisis, on trouve 10 hommes... et une femme.

Le Dictionnaire universel des créatrices, ce sont des années de travail, des centaines de contributeurs et contributrices, des milliers d'entrées, des femmes célèbres et des inconnues, des artistes et des scientifiques, des innovatrices individuelles et des collectifs, à travers le monde entier ; la plus ancienne est une scribe mésopotamienne qui vivait au 19e siècle avant notre ère et la plus récente, la Pakistanaise Malala Yousafzai, a 16 ans.

On peut donc dire que, du haut de ce dictionnaire, quarante siècles nous contemplent. Et que voient-ils ? Rien. Le vide, l'éternelle invisibilité des femmes. Comment qualifier cette absence ? I comme Ignorance ? M comme Mépris ? Ou S comme sexisme ?

 

(1) Dictionnaire universel des créatrices, Editions des Femmes, 2013