Une douche à soi

Quand ils débarquent chez vous, ils ont d'abord envie d'une boisson chaude. Puis ils demandent le code wi-fi. Parfois ils ont faim, plus rarement envie de parler avec des personnes qui n'ont pas grand-chose d'autre à leur offrir que leur bonne volonté, leur bienveillance. Et puis enfin, la chambre, un vrai lit, et la possibilité de se laver, avec des serviettes propres, des produits qui sentent bon – même si leur usage est parfois détourné, comme on le lira dans les témoignages – la possibilité, enfin, de retrouver une certaine intimité.

Ce sont des corps, comme nous. Un corps a ses besoins propres. Boire. Manger. Dormir. Eviter les blessures et les maladies. Comment font-ils, durant leur périples interminables ? Comment fait-on pour se nourrir, satisfaire des besoins primaires, préserver un minimum d'hygiène... ? Ils n'en parlent guère, moins encore que de tout ce qu'ils sont subi chez eux, puis en route, puis dans ce pays où ils ont cru trouver un lieu sinon pour construire une nouvelle vie, au moins pour se poser. Comment fait-on dans le désert ? Dans un camion rempli à ras-bords de marchandises et de gens ? Dans une barque surchargée ? Dans un parc sans infrastructures, dans la neige, sous la pluie, sous la canicule ?

 

Un corps de femme, c'est encore pire. Une femme a des règles – même si beaucoup d'entre elles, à force de traumatismes, ont cessé de les avoir. Une femme a appris la « pudeur », et si elle ne l'a pas apprise, on la lui impose, elle ne peut pas uriner ou se changer n'importe où. Une femme est souvent chargée d'enfants, pas toujours les siens. Une femme peut être enceinte. Une femme peut être violée. Une femme peut tomber enceinte à la suite d'un viol. En plus des peurs et des coups qu'elle partage avec les hommes, une femme a plus de risques d'être battue, sexuellement agressée, par les tortionnaires de son pays d'origine ou par les passeurs – parfois aussi par ses compagnons de route, parfois même par des « sauveurs ». Elle a la « chance » de pouvoir parfois payer « en nature ». Un prix bien plus élevé que n'importe quelle somme d'argent.

 

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(la suite est parue dans le recueil de témoignages d'hébergeur·ses, "Perles d'accueil", éditions Mardaga)