L'index des salarié/e/s dans l'oeil des expert/e/s

C'est Philippe Lamberts, député européen Ecolo et ennemi n° 1 du monde la finance (ce qui me le rend immédiatement sympathique), qui le dit dans un entretien à la RTBF « Moi, ma position sur l'indexation - et là je vais en parler comme ancien employé du secteur privé - j'ai bénéficié de l'indexation automatique des salaires à IBM alors que j'étais cadre, très franchement au début de ma carrière, ça m'a aidé, à la fin, je n'en ai pas besoin. Et donc je ne serais pas opposé au fait qu'on ait une forme de dégressivité de l'indexation ».

A quoi le PTB répond (sur Facebook), sous la plume de Raoul Hedebouw : « L'index n'est pas là pour réorganiser la répartition de la richesse mais pour assurer un maintien du pouvoir d'achat. Si M. Lamberts veut assurer que les hauts salaires contribuent plus, qu'il le fasse par la fiscalité en réintroduisant des tranches d'imposition plus élevées. Mais pas par une dégressivité de l'index. Pour rappel, les hauts salaires indexés paient des cotisations sociales plus importantes à l'ensemble de la sécu ».

Débat intéressant, au sein même de la gauche. Faut-il moderniser, améliorer, perfectionner le système d'indexation, ou au contraire, le considérer comme « intouchable » ?

 

Passons sur la désignation, si banale désormais, de l'index comme facteur aggravant du « coût du travail », nuisant à notre « compétititivté ». On peut déjà faire remarquer que les pays sans index, ou qui sont même allés jusqu'à baisser les salaires, comme au Sud de l'Europe, ne se portent pas vraiment mieux, c'est le moins que l'on puisse dire. Plus fondamentalement, considérer le travail comme un simple « coût » n'est rien d'autre qu'une contestable position idéologique, quand l'achat de machines, par exemple, est présenté comme un investissement. Après tout, le travail est lui aussi un investissement, dans cette chose négligeable qu'on appelle l'humain, en permettant d'assurer son indépendance financière (quand il est correctement rémunéré), de créer des richesses (du moins quand il n'en détruit pas dans des entreprises inutiles, voire nuisibles), parfois même un facteur d'épanouissement (quand il est créatif, ou simplement librement choisi et aimé). Quant à la « compétitivité », outre que c'est l'un des mots les plus laids de la langue française, c'est un concept mortifère, revenant à dire « que les autres crèvent, du moment que moi je m'en tire ».

Revenons-en à une simple question de justice : oui, l'indexation telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui contribue à creuser les écarts salariaux, tout comme le font les augmentations en pourcentage du salaire. Un index dégressif ou du moins forfaitaire, comme des augmentations forfaitaires, seraient bien plus pertinents en termes de justice sociale.

Du moins, dans un système rationnel et solidaire dont l'objectif serait de réduire les inégalités. Dans ce monde-là d'ailleurs, on cesserait d'invoquer à tout bout de champ le « pouvoir d'achat », comme si c'était le principal, sinon le seul « pouvoir » auquel il est possible d'aspirer dans sa vie. Aller à l'école, se soigner, avoir accès à des services publics de qualité, à la culture... peut-on parler d' « achat » ? Hélas oui, de plus en plus, mais dans notre « autre monde » - vous savez, celui dont on proclame qu'il est « possible » - tel ne serait pas le cas.

Mais voilà, ce n'est pas dans ce monde-là que nous vivons. Dans notre monde réel, ceux qui détiennent le pouvoir réel – le fameux pouvoir d'achat, mais de loin pas le seul – nous imposent la compétition et la concurrence acharnées, comme seules véritables valeurs, au-delà des discours lénifiants sur l' « égalité ». Dans ce monde-ci, l'indexation automatique des salaires – déjà mise à mal avec ses sauts et ses tripatouillages – est la cible n°1 des « responsables », qu'ils soient économiques, politiques ou intellectuels. L'index, c'est ce diable rouge qui nuit à notre capacité de concurrence, qui fait fuir les entreprises et en fin de compte, détruit l'emploi. Coupez l'index, et vous aurez fait un pas majeur vers le retour de la croissance, nous affirment-ils en choeur. « Aie confiansssssssse... »

Les médias débordent d'interviews d' « experts » qui nous expliquent doctement qu'il faut se débarrasser au plus vite de cet étouffe-prospérité, ou du moins l' « aménager », le limiter (aux plus bas salaires, ou au salaire net...)... Pour ne prendre qu'un exemple récent, voici Henri Bogaert, « commissaire au Plan » (vous ne savez pas trop ce que c'est ? Moi non plus mais ça fait sérieux) qui déclare : « L'indexation des salaires, dopée par la hausse des prix pétroliers, est un mécanisme toxique pour la compétitivité belge » et propose un « double indice », différent pour les bas et les hauts revenus. Ce ne serait que justice ? On peut parier qu'une telle réforme, outre ses effets négatifs pour la sécurité sociale, comme le relevait Raoul Hedebouw, détisserait encore davantage les mailles de la solidarité : aujourd'hui, on peut encore compter sur les moyens et les hauts revenus pour défendre un système dont ils bénéficient ; ôtez-leur ce bénéfice ou réduisez-le drastiquement, et la résistance contre une pure et simple suppression de l'index sera encore fragilisée.

Devant un tel assaut, on ne peut que dresser des barricades. Le système est imparfait ? Certes. Mais accepter de le détricoter, sous prétexte de le retricoter plus beau, c'est vraiment se fourrer l'index dans l'oeil.

Refuser d'y toucher n'est donc pas un « réflexe frileux » mais une estimation d'un rapport de force défavorable aux salarié/e/s. Défavorable à la solidarité, à la justice. Alors, il faut bien s'aggripper d'une main comme on peut à ce que nous avons – à condition de ne jamais oublier de tendre l'autre main vers des possibles plus enthousiasmants.

Mis à jour (Mercredi, 27 Mars 2013 17:32)