Dans le port du foulard, y a la gauche qui se noie

Le « moment est grave ». L'événement « met en péril notre vivre-ensemble », nous sommes sur le point de subir un « recul dramatique » - et d'ailleurs le printemps lui-même nous fait faux bond (1).

Nul doute, il y a donc bien péril en la demeure. Une pétition signée de plus de 1000 personnes réclame une loi. Le Front de Gauche monte au créneau (2). Mais quel est donc ce danger qui nous menace ? Encore un coup des banques, de nouvelles mesures d'austérité, la découverte d'un réseau terroriste ... ? Non : c'est la Cour de Cassation, en France, qui invalide le licenciement de l'employée d'une crèche, virée pour port de foulard alors que le règlement interne exigeait la  « neutralité religieuse » (3).

Qu'a donc fait cette puéricultrice pour mériter sa mise à l'écart ? Aurait-elle utilisé des langes islamiques, réveillé les petit/e/s à l'heure de la prière, recruté par avance pour Al Qaeda ? Non, rien de tel, aucune faute professionnelle ne lui est reprochée. Le seul problème, c'est son foulard. Comme le dit le secrétaire d'Etat de la Région bruxelloise Bruno De Lille dans un autre contexte, celui de l'administration : « On s’en fout que la dame au guichet porte le voile, cela ne m’empêche pas d’obtenir mes documents. Ça l’est, par contre, si elle refuse de me parler parce que je suis un homme » (4). Pour autant que l'on sache, l'employée de Baby Loup ne refusait pas de s'occuper des petits garçons.

Dans une entreprise relevant du secteur privé, dit la Cour de Cassation, cette interdiction est simplement illégale. Puisque c'est ainsi, pétitionnent dès lors les laïques offusqués, changeons la loi !

 

Ainsi donc, nos gamins et nos gamines seraient menacé/e/s, dans leur future laïcité, par la vue d'un foulard. Ils et elles seraient aussi détourné/e/s,dès le plus jeune âge, de notre beau principe d'égalité entre les sexes. Déjà bien formaté/e/s aux rôles différenciés des hommes et des femmes dans notre société – à la maison, c'est probablement leur mère qui les prend en charge, en tout cas pour les tâches les plus ingrates ; à la crèche, les seuls hommes présents viennent réparer la plomberie et lorsque les chères têtes blondes et brunes s'initieront aux subtilités du langage, ce sera à l'école si « neutralement » nommée « maternelle » - nos bambins et nos bambines ne seraient donc menacé/e/s, dans leur élan égalitaire, que par quelques mèches de cheveux dérobées à leur vue !

Au même moment, le journal le Soir se fait l'écho d'un Livre blanc publié par l'association Muslim Rights qui tente de chiffrer les manifestations d'islamophobie. Où l'on apprend que deux victimes sur trois sont des femmes, et que tous sexes confondus, trois victimes sur quatre ne donnent aucune suite aux discriminations ou violences subies. L'employée de la crèche Baby Loup, elle, ne s'est pas laissé faire : sachant ce que cela implique comme démarches, attente et sans doute insultes, ce n'est pas mal, pour une femme réputée « soumise ».

Pour toute clarté : que des citoyen/ne/s veuillent changer des lois, voilà qui est normal dans une société démocratique. Mais que vont faire des féministes dans cette galère, où sous couvert de les « protéger », il est question de priver d'emploi des femmes, déjà doublement précarisées, par leur sexe et par leur origine (ou par leur choix religieux) ? Et que vient faire là le Front de Gauche, qui devrait avoir tout de même d'autres loups à fouetter... y compris dans ses propres rangs ? Car voilà que, toujours au même moment, on découvre que l'un de ses élus participe aux meetings de Frigide Barjot (5). Etre opposé à l'ouverture du mariage pour les homosexuel/le/s, passe encore ; mais aller soutenir cette bande de dingues rétrogrades (lisez leurs textes, écoutez leurs délires) !  On attend donc une réaction vigoureuse du Front de Gauche.

Décidément, dans le port du foulard, y a la gauche qui se noie...

 

(1) Les citations sont reprises de la pétition « Appel à toutes les consciences républicaines ». Parmi les premier/e/s signataires figurent, sans surprise, Alain Finkelkraut, Elisabeth Badinter et Caroline Fourest

(2) http://www.lepartidegauche.fr/actualites/communique/creche-baby-loup-la-laicite-prend-eau-toute-part-21473

(3) Rappel des faits : en conformité avec son règlement intérieur établi sur le principe de "neutralité philosophique, politique et confessionnelle", la crèche Baby Loup de Chanteloup les Vignes a licencié en 2008 l'une de ses employées, au motif qu'elle manifestait ostensiblement son appartenance religieuse par le port d'un voile dit islamique. Le Conseil des prudhommes de Mantes la Jolie en 2010, et la Cour d'appel de Versailles en 2011 ont approuvé ce licenciement. Le 19 mars 2013, la Cour de Cassation vient de casser ce jugement.

(4) Dans la Capitale du 21 mars, Maladresse ou volonté de jeter de l'huile sur le feu, le journal titre : "Bruno De Lille : Je suis pour le port du voile dans l'administration". Bruno De Lille n'est évidemment pas « pour le port du voile » mais contre son interdiction, ce qui n'est pas du tout la même chose.

(5) Le dernier meeting en province de Frigide Barjot et ses acolytes avant la manifestation du 24 mars 2013 a eu lieu ce jeudi 21 mars à Marcq-en-Baroeul.  Le site Yagg relève les « 10 moments marquants de cette longue soirée, composée principalement de longs discours haineux entrecoupés par de courts happenings braillards et colorés ». Parmi ceux-ci, l'intervention de "Michel Lefebvre, présenté au public comme un "élu PS" alors qu'il est en réalité maire et conseiller général du Front de Gauche,qui tient un discours tout à fait opposé aux valeurs de son parti. Frigide Barjot l'embrasse et le remercie de montrer que l'opposition au mariage pour tous est de gauche comme de droite"

 

 

 

Mis à jour (Dimanche, 24 Mars 2013 10:56)