HUB, un cas d'école

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas l'histoire, la voici : un soir d'octobre, après les festivités d'un baptême étudiant (que je considère déjà personnellement comme une forme de violence en soi, mais c'est un avis personnel), un jeune homme rentre chez lui. Signe particulier : il est habillé en femme. Cela faisait partie du baptême (en forme d'humiliation, peut-être... ?)

Sur sa route, au centre de Bruxelles, il croise deux jeunes « d'origine allochtone », comme ne manqueront pas de le signaler les médias, certains insistant plus que d'autres. Ils l'agressent, lui volent son argent et le violent. Réagissant en « bon père de famille » (encore une de ces expressions utilisées sans discernement, avec son message subliminal sur le rôle de « protecteur » dévolu au seul père), la direction de l'école, la Hogeschool Universiteit Brussel ou HUB pour les intimes, interdit aux étudiants de se « déguiser » en femme. Tollé général : alors quoi, c'est la faute de la victime ? On doit restreindre ses libertés ? On ne peut plus s'habiller comme on veut ?

 

La direction amorce alors une courbe rentrante, affirmant qu'il ne s'agit pas d'une « interdiction » mais d'un « conseil », d'ailleurs proféré à l'époque où les agresseurs n'avaient pas encore été arrêtés (depuis, ils sont en centre fermé). Parce que des mecs capables de faire ça, il n'y en a que deux en Belgique, que dis-je, dans l'Europe entière - déjà qu'ils ne sont pas vraiment européens, autre message subliminal. Faudait peut-être aller voir dans la généalogie de Dutroux ou de Fourniret, ils doivent bien avoir un ancêtre venu d'ailleurs car chez nous, les agresseurs sexuels, ça n'existe pas.

Bizarrement, la direction n'a aucun « conseil de père de famille » à donner aux femmes. Doivent-elles s'habiller en homme ? Ou ne pas s'habiller du tout ? Se cacher sous une burqa ou une armure avec code secret, caméra et alarme ? Ou alors rester enfermées chez elles, pour ne pas tenter le diable ? Ah, manque de bol, le « diable » est à 80%, dans les cas de viol, quelqu'un de leur entourage proche, et non pas l'inconnu rôdant dans les rues désertes à la nuit tombée, mais ça, les « bons pères de famille » de la HUB ne le savent peut-être pas.

Si pour le coup, la réaction générale a été plutôt saine (ne pas culpabiliser la victime, revendiquer la liberté de paraître et de se déplacer...), on aimerait autant d'indignation lorsque des femmes, déguisées en elles-mêmes, se font violer (1) et que médias, entourage et parfois justice leur reprochent d'avoir « provoqué » l'agression, par une tenue trop légère, une attitude insouciante, la fréquentation de personnes, de lieux ou de de moments réputés « dangereux »... On aimerait que le scandale des violences sexuelles n'éclate pas seulement que dans les cas aussi exceptionnels que celui-ci. On aimerait disposer de moyens pour construire de vrais programmes de prévention plutôt que de nouvelles prisons. Et s'il s'agit de dénoncer une « culture » particulière, que ce soit bien la culture machiste, une certaine construction de la masculinté, car ce qui est commun à l'écrasante majorité des auteurs de violences sexuelles n'est ni une origine ethnique, ni des carcatéristiques socio-économiques, mais l'appartenance à la catégorie des hommes (2).

Au fait, si tout le monde fait mine de s'offusquer, il faut savoir qu'il y a à peine deux mois, le ministre Cerexhe a coupé le vivres à SOS Viol dont l'action ne relèverait pas de la santé mentale, qui est de sa compétence, mais de l'aide aux victimes (3). Et hop, 20 000 euros d'économisés d'un coup dans son département, en voilà de la bonne gestion ! Le syndrome de stress post-traumatique, qui est bien un problème de santé mentale, M. Cerexhe ne doit pas connaître. Ou alors il pense qu'en quelque sorte, se faire arracher la culotte c'est pas plus terrible, au fond, que de se faire arracher son sac,.... Parlez-lui de morts, de blessés, d'un incendie, d'un accident de car : là, il est devenu habituel d'envoyer des psychologues sur place pour prendre en charge les victimes et/ou leurs proches. Mais le viol ? Juste un mauvais moment à passer.

Dans quelques jours, l'histoire de la HUB aura disparu de l'actualité, pourtant elle est à la croisée de bien des questions. On y retrouve l'homophobie, l'alignement des politiques sur du « spectaculaire » plutôt que du « courant » (hélas), la tentation raciste,la culpabilisation des victimes, l'obsession sécuritaire (Bruxelles serait le Bronx), la répression et la limitation (ou l'auto-limitation) des libertés plutôt que la prévention... La démonstration aussi que le viol n'a pas grand-chose à voir avec des 'pulsions sexuelles irrépressibles" mais est avant tout un rapport de pouvoir, une volonté d'humilier. Autant de sujets qui mériteraient un débat de fond. Un vrai cas d'école, en quelque sorte.

(1) D'après une estimation, car seule une faible partie des faits est rapportée, il y aurait 7 viols par jour en Belgique

(2) Voir le coup de gueule d'Evie Embrechts sur l'excellent site DeWereldMorgen.be : http://www.dewereldmorgen.be/artikels/2012/11/27/man-verkracht-in-brussel-groot-nieuws-verkeerde-analyse

(3) Comme par enchantement, voilà que les médias s'en émeuvent  soudain : http://www.lalibre.be/actu/bruxelles/article/780456/sos-viol-menace-de-disparaitre.html

Mis à jour (Mercredi, 28 Novembre 2012 10:37)