Scoop : les votant/e/s ne seront pas poursuivi/e/s ! (et autres bizarreries d'avant scrutin)

Puisque c'est la ministre Turtelboom qui le dit, n'en doutons plus : le vote obligatoire a bel et bien été aboli en Belgique. Ce que, soit dit en passant, tous les amateurs de pêche, de flâneries, de câlins ou de super-grasse matinée des dimanches électoraux savaient déjà : la justice a d'autres incivilités à fouetter que d'aller chercher des poux dans la tête des non électeurs. Personnellement, je n'ai rien contre le principe de la désobéissance civile, mais qu'elle soit suggérée par la ministre de la Justice elle-même, ça doit être encore une de ces particularités belges qui me font aimer ce pays. Mais qu'on se rassure, celles et ceux qui iront voter ne seront pas poursuivis non plus.

Je n'ai pas d'idée bien arrêtée sur le vote obligatoire – il y a du pour et du contre, notamment par le fait qu'en général, des sanctions inappliquées et/ou inapplicables ne renforcent pas l'Etat de droit ; mais en tout cas, le « devoir électoral » est au droit de vote, chèrement conquis – et plus encore par les femmes – ce que le « devoir conjugal » est à l'amour : une expression rébarbative, tueuse de tout élan.

Quoi qu'il en soit, que vous alliez voter ou non – et si c'est non, j'espère que ce sera un acte réfléchi et pas seulement de la résignation paresseuse – je vous livre ici quelques considérations personnelles sur la campagne électorale qui s'achève. Des remarques que vous ne lirez sans doute pas ailleurs, dans les analyses savantes d'avant comme d'après élection.

 

Ténors et sopranos

D'abord, l'oubli total de cette fameuse « égalité entre hommes et femmes », valeur fondamentale de nos sociétés si vaillamment brandie quand il s'agit de désigner ces « autres » qui seraient incapables d'en comprendre toutes les implications. Non seulement le thème a été absent – alors que la commune, on nous l'a assez répété, est le lieu de pouvoir le plus proche du citoyen donc, espérons-le, également de la citoyenne – mais les femmes elles-mêmes ont quasi disparu des débats les plus prestigieux, avec les présidents de parti ou des « personnalités » ; on se serait parfois cru dans un synode des évêques ou un forum économique (1). Vous me direz que ce n'est pas la faute des médias si les présidents des partis, au Nord comme au Sud, sont tous des hommes, à l'exception de la direction bicéphale d'Ecolo. En effet : mais justement, si l'on veut sérieusement rogner cette domination masculine toujours vivace en politique comme ailleurs, pourquoi ne pas faire le choix, dans chaque parti, d'une présidence à deux têtes, où les moustaches ne pourraient pas dépasser les 50% ?

Je ne parle pas là des fonctions cosmétiques, genre PS qui s'est doté - mais si ! - d'une vice-présidente, dont je suis persuadée que l'immense majorité d'entre vous a oublié le nom (tout comme moi). Indépendamment de ses qualités personnelles, elle pèse si peu qu'il n'a jamais été question qu'elle remplace, ne serait-ce que temporairement, Elio Di Rupo lorsqu'il est devenu premier ministre. C'est pourtant, en théorie, l'un des rôles d'un/e vice-président/e.

Quant aux médias, rien ne les empêchait d'inviter quelques « sopranos » parmi tous ces « ténors ».

 

La paille et la poutre

Deuxième point, cette incapacité à reconnaître les dérapages des siens, tout en se gargarisant quand les autres trébuchent. Ainsi, à en croire ses ami/e/s et alliés/e/s politiques, Annemie Turtelboom n'a jamais dit que l'incivilité consistant à ne pas aller voter ne serait pas poursuivie (contrairement au tag ou au caca de chien abandonné sur le trottoir) : elle a été mal comprise. Freddy Thielemans n'a jamais suggéré la limitation des naissances – dans un pays qui craint tant le vieillissement de la population – et Vincent De Wolf n'a jamais envisagé la dégressivité des allocations familiales – dans un pays où la pauvreté grimpe dangereusement : non, leurs paroles ont été mal interprétées. L'histoire de la paille et de la poutre n'a rien perdu de sa pertinence.

Troisième point, les tics de langage qui ont quelque chose d'énervant à la longue. On dirait que les partis ont trouvé un mot, une phrase, et que le jeu consiste à les replacer, quel que soit le sujet abordé. A la « société d'épuisement » d'Olivier Deleuze et Emily Hoyos répond le « nous devons rester calmes » exaspérant de Charles Michel, tandis que le PTB répète partout qu'un élu PTB dans un conseil communal est plus important qu'un x-ième élu PS ou Ecolo (2). Renvoyer aux autres le qualificatif (très politique...) de « ringard » semble aussi très couru. Certes tout cela n'est pas faux, mais le caractère répétitif de ces phrases a effectivement de quoi « épuiser » l'électeur/trice.

 

La police et le vélo

Quatrième point enfin, la manière dont les différents partis se saisissent d'un thème « porteur » (pour de bonnes ou de mauvaises raisons) sans jamais reconnaître ce qu'ils doivent à d'autres formations politiques. Ainsi, il y a quelque chose de comique d'entendre des candidat/e/s du PS, et plus encore du MR, reprocher à des majorités où Ecolo est présent de ne pas en faire assez pour la « mobilité douce ». On peut être d'accord ou non avec les Verts, mais il faut bien reconnaître que ce sont eux qui ont imposé ce sujet, après avoir longtemps subi les moqueries de ces partis qui n'hésitent pas à monter sur leurs grands vélos avec l'enthousiasme (et la mauvaise foi) des nouveaux convertis.

De même, qu'on apprécie ou non l'obsession sécuritaire qui a été le sujet n°1 de cette campagne, il faut bien en reconnaître la paternité au MR (pour ne pas parler de partis encore plus extrêmes), dans sa version « caméras et police partout ». Oh, il y a bien eu quelques nuances, mais la police semble quand même, dans l'ensemble, recueillir tous les suffrages (sinon de vrais moyens). On peut même croiser les deux thèmes en prônant la police à vélo...

Demandez donc aux manifestants qui tentaient, ce 11 octobre, de protester contre le « banquet des riches » (3), ou plus généralement aux Indignés de toutes causes, si la présence policière améliore vraiment leur sentiment de sécurité. Pourtant ce sont aussi des « citoyen/ne/s » (4).

Quant au filet de la protection sociale, que chacun/e vante comme s'il/elle venait de le tricoter durant la nuit, et malgré ses trous de plus en plus larges, il faudrait bien reconnaître qu'il a été mise en place, non par le Saint-Esprit (comme le ferait croire cette affreuse expression d' « Etat-providence »), mais par le mouvement ouvrier dont le PS est l'un des (bien piètres il est vrai) héritiers. Ainsi, il y a déjà quelques mois, on a pu entendre un matin sur la RTBF Armand De Decker (le très MR bourgmestre d'Uccle) déclarer effrontément que la sécurité sociale était une création des libéraux. Sans que le journaliste qui l'interrogeait n'y trouve rien à redire.

Enfin, on entend de plus en plus ce souci de s'occuper « des gens » - ce qui ne veut pas dire grand-chose, vu qu'Albert Frère fait autant partie de ces « gens » que la chômeuse qui va voir ses allocations tellement réduites qu'elle n'aura plus qu'à aller pleurer chez la fourmi sa voisine – ce qui fait tout de même penser au slogan du PTB « Les gens, pas le profit ».

Et le CDH, me direz-vous ? Ben... euh... non, je ne vois pas... La famille, peut-être... ? Si la famille revient à la mode, vous verrez, vos élu/e/s et candidat/e/s deviendront tou/te/s familialistes, et vous expliqueront combien ils et elles l'ont toujours été. Et avec ce filet social qui se défait, précisément, le repli sur la solidarité familiale ne va peut-être pas tarder.

Avec tout ça, je ne vous ai rien dit non plus de N-VA, ni du PP ni même de mes propres choix. C'est que pour ce dimanche, j'hésite encore entre le croissant et le petit pain au chocolat.

 

  1. Exemple de notre service public, débat télévisé du 9 octobre (1 femmes sur 9) et débat radio du 12 octobre (0 femme sur 4 invités)

  2. Je laisse volontairement le masculin, car on ne peut pas dire que les femmes du PTB aient eu une forte présence médiatique, à l'exception de Sofie Merckx à Charleroi.

  3. Voir http://www.rtbf.be/info/societe/detail_un-banquet-des-riches-denonce-par-ceux-qui-militent-contre-l-austerite?id=7854175

  4. Détail amusant : interrogeant Didier Reynders, la RTBF lui a fait entendre des citoyennes qui trouvaient qu'on insistait trop sur la question de la sécurité. Il a réplique que si les Ucclois n'estimaient que c'était le problème central, c'est que la majorité – MR – avait bien fait son boulot. Pas mal joué, en apparence. Mais réponse assez tordue si on y pense. Comme dans la blague du type qui sème des piments devant sa maison. « Mais pourquoi ? demande un voisin.


    - Parce que ça éloigne les ours.


    - Mais... il n'y pas d'ours ici.


    - La preuve que c'est efficace ! »