Belge au mérite : rebelote !

En août 2010, on parlait déjà d'un durcissement de l'accès à la nationalité belge (tiens, toujours Mme Galant, et toujours pendant les vacances !) J'avais alors écrit ce texte que je reprends tel quel, même si certaines réactions d'alors ont bien molli (celles de socalistes, notamment)

Résumé des épisodes précédents, pour les distraits, les vacanciers et tous les malheureux étrangers habitant hors de nos frontières : dans une interview au journal le Soir (1), la députée libérale Jacqueline Galant plaide pour le durcissement des conditions d'accès à la nationalité belge, qui devrait être plus difficile à obtenir et plus facile à perdre. En un mot : pour Mme Galant, être belge ça "se mérite". tous les jours.

Les réactions indignées n'ont pas tardé, et la presse peut parler de "tollé" ou de "levée de boucliers" contre ces déclarations. La socialiste Karine Lalieux ou l'Ecolo Eric Jadot, tous deux membres de la Commission de naturalisation de la Chambre, dénoncent des propos populistes. Mais ces réactions elles-mêmes m'ont laissée rêveuse...

En effet, que répondent-elles ? Que Mme Galant médit, que la nationalité belge n'est nullement "bradée" mais déjà aujourd'hui, difficile à obtenir. Comme l'écrit Eric Jadot (2) : "Que l’on ne s’y méprenne pas : la nationalité belge se mérite déjà et elle est assujettie à une procédure lourde et difficile pour le demandeur. Laisser croire le contraire, c’est discréditer le travail parlementaire, celui de l’administration, du parquet et de la sûreté de l’Etat". Et d'avancer des chiffres pour 2010 : sur 11440 dossiers examinés, 3958 ont été acceptés, 3507 ajournés et 3975 rejetés. On n'est pas là pour rigoler, la preuve !

Ce qui me suggère quelques remarques.

Tout d'abord, il y a quelque chose de cocasse, sinon de pathétique, à mettre sur un piédestal une nationalité qui est en train de s'évaporer. Est-ce que dans dix ans, dans cinq ans peut-être, être "belge" aura encore la moindre signification ? On est peut-être là, dans ce débat, en train de se livrer sur d'innocentes mouches à une activité que la morale chrétienne réprouve sévèrement.

Ensuite, il y a cette idée de "mérite" qui m'a toujours plongée dans les affres de la perplexité. Le "mérite" est une notion assez vague, plutôt arbitraire, qui dépend de celui qui juge et des critères qu'il a décidé de retenir. Ainsi, dans le milieu du travail, plus la notion de mérite individuel intervient dans la rémunération (par rapport à d'autres critères pus objectivables comme la formation, l'ancienneté...), plus les écarts de salaire entre hommes et femmes sont importants : dans le privé plus que dans le public, dans les postes à responsabilité plus qu'au bas de l'échelle... Ce qui a évidemment davantage à voir avec des présupposés sexistes sur les qualités valorisées qu'avec un "mérite" idéal et incontestable.

Mais plus fondamentale encore que cet arbitraire, il y a la question même du mérite en matière de nationalité. Pour Mme Galant, une personne qui roulerait sans assurance ou aurait commis un vol à l'étalage (c'est elle qui cite ces exemples) "mériterait" de rester turque ou albanaise, mais pas belge. Curieuse hiérarchie des valeurs.

Et si l'on creuse plus loin encore, on arrive à ce paradoxe : le "mérite" serait acquis pour certains, mais héréditaire pour d'autres. Or il est évident que la chance ou le hasard qui font naître certains sur le sol belge, de parents tout aussi veinards, ne peut être assimilé à un quelconque effort personnel (3). Pourtant, les Belges "de souche" ne doivent ni prouver qu'ils connaissent l'une des langues nationales, ni qu'ils ont compris toutes les subtilités de la pensée de Bart De Wever, ni jurer qu'ils acceptent la dépénalisation de l'avortement ou le mariage des homosexuels...  Ils peuvent voler, tuer, maltraiter femme et enfants, éluder l'impôt, sans jamais cesser d'être belges. Drôle de "mérite".

Imaginons que, pour avoir le droit d'exercer la médecine - et risquer de perdre ce droit en cas de faute professionnelle grave - les uns doivent bosser dur, réussir des études difficiles, tandis que d'autres, par le seul fait d'être nés de parents médecins, obtiennent automatiquement leur diplôme à vie. Absurde, n'est-ce pas ? La nationalité belge par le mérite, c'est un peu la même chose.

Il y a tout de même, dans les propositions de Mme Galant, une idée intéressante : la possibilité de perdre sa nationalité en cas de méconduite, durant une "période de probation". Bien entendu, selon le principe que "tous les citoyens sont égaux devant la loi", cette possibilité devrait être étendue à tous.

Reprenons les propos de Mme Galant : "Lorsqu’on veut devenir belge, il faut être respectueux de toutes les règles en application chez nous.  (...) À partir du moment où on ne respecte pas les règles élémentaires d’un pays, je pense que l’on n’a pas droit à la nationalité".

On peut penser que ces "règles élémentaires" comprennent un minimum de comportement solidaire, comme le fait de payer ses impôts ou d'offrir à l'ensemble de ses concitoyens la possibilité de se loger décemment, pour un prix proportionnel à leurs revenus. Si ceux qui ne respecteraient pas ces "règles" étaient déchus de leur nationalité belge, quelques gloires nationales devraient aller se faire glorifier ailleurs : un Simenon deviendrait ainsi écrivain « suisse », Tom Boonen ou Justine Henin seraient de grands champions « monégasques »...

Plus drôle encore : Mme Galant elle-même, bourgmestre de Jurbise, refuse d'appliquer une de ces "règles" de chez nous, à savoir le plan de la Région wallonne prévoyant un minimum de 5% de logements sociaux dans chaque commune (3). Pas de manants chez elle, a-t-elle décrété. Mérite-t-elle dès lors de rester belge ? La question « mérite » d'être posée.

 

 

 

(1) http://archives.lesoir.be/naturalisations-galant-mr-plus-fort-que-sarkozy_t-20100804-010FLF.html

 

(2) http://web4.ecolo.be/?Quand-le-debat-vire-a-la

(3) L'absurdité ou l"injustice sont bien exprimées dans des chansons comme "Né quelque part" de Maxime Le Forestier ou "Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part" de Brassens.

(4) http://www.rtbf.be/info/belgique/social/jurbise-commune-sans-logement-social-et-fiere-de-letre-62850

Mis à jour (Lundi, 23 Juillet 2012 20:42)