Les effets dévastateurs de "la Pensée et les Hommes"

Peut-être ne connaissez-vous pas « La Pensée et les Hommes », l'émission de « philosophie et de morale laïque » de la RTBF : si vous n'habitez pas en Belgique, si vous ne regardez pas la télé (mais l'émission existe aussi en version radio) ou si, tout simplement, vous refusez de jeter ne serait-ce qu'un oeil sur l'un des monuments les plus ringards de la télé belge (1). Un immuable entretien en face à face avec un immuable intervieweur, l'indéboulonnable Jacques Lemaire, avec qui j'avais déjà eu maille à partir lorsque je lui avais reproché des mois de programme sans la moindre femme invitée, même dans une discussion consacrée aux violences conjugales (octobre 2010) ! Je ne savais pas, à l'époque, quelle chance nous avions de bénéficier de son indifférence.

L'an dernier, Jacques Lemaire s'est intéressé à l'asbl Garance (2) en invitant sa directrice, Irene Zeilinger. Qui en est revenue en colère: il ne s'était manifestement pas donné la peine de s'informer sur son interlocutrice et son association, et l'invitée avait passé l'interview à rectifier les erreurs contenues dans les questions.

Voilà qu'à nouveau, Jacques Lemaire va nous parler des femmes. Et même des féministes, si, si. Ce 5 juin, il donnera la parole à un grand spécialiste, Jean Gabard, l'impérissable auteur de  « Le féminisme et ses dérives ». Des fois que ce titre ne serait pas assez explicite, l'approche choisie est précisée: « Les effets dévastateurs des revendications féminines ». Même pas « féministes », non : féminines. On imagine le tollé si de tels propos sortaient de la bouche d'un imam... Mais nous sommes chez les laïques, où l'égalité hommes-femmes est une valeur sacrée, comme on nous le répète à tout bout de champ. Et puisqu'elles ont l'égalité, les femmes sont priées de la boucler, point barre.

Mais en ce mois particulièrement faste, Jacques Lemaire n'en reste pas là. Le 24 juin, il consacre un numéro aux Assises de l'Interculturalité. Bon, les conclusions datent de deux ans, mais il n'est jamais trop tard pour taper sur le clou. En prenant le marteau le plus lourd possible. Certes, les Assises n'ont pas reçu un accueil enthousiaste dans le monde laïque, c'est le moins que l'on puisse dire ; on pouvait cependant espérer une présentation honnête de différents points de vue. Or qui sont les deux invités ? A ma droite, Daniel Bacquelaine, qui avait réagi par un communiqué (3) dès la publication des conclusions, en tant que chef de groupe du MR à la Chambre :  « Tout va dans le sens de la vision communautariste prônée par le cdH. C'est une vision qui divise la société plutôt que de favoriser le vivre ensemble », avant de pilonner au bazooka, une à une, les différentes recommandations. A ma gauche (ou disons, à mon autre droite) Nadia Geerts, la fondatrice (et oserai-je dire, la grande prêtresse) du RAPPEL (4), dont on pourrait résumer le combat en la dénonciation de supposés « effets dévastateurs des revendications identitaires ». Deux visions convergentes à en loucher. Et pour une rencontre consacrée au thème « Interculturalité ou multiculturalisme : la différence », un bel exemple de... monoculture.

Cela dit, je l'admets, mon titre est exagéré : on ne doit sans doute pas craindre d' « effets dévastateurs » d'une émission aussi soporifique qui exige, pour être regardée jusqu'au bout, que l'on soit  non seulement un/e laïque convaincu/e mais aussi un/e insomniaque invétéré/e. Disons plus modestement : une émission nulle, lamentable. Hé, ami/e/s laïques, j'espère vous entendre : cela se fait en votre nom...

 

(1) Il s'agit d'une émission « concédée », la RTBF n'est donc en principe pas responsable du contenu

(2) Association s'occupant de la prévention des violences à l'égard des femmes, où j'ai la chance de travailler. Infos www.garance.be

(3) http://www.bacquelaine.be/Html/articles.php?id=391

(4) Le Réseau d'Action pour la Promotion d'un Etat laïque

Mis à jour (Samedi, 02 Juin 2012 10:08)