"Préférence nationale"

24 avril au soir : ah, ouf, aussi fort qu'on déteste Macron son arrogance et sa politique, on se sent tout de même soulagée d'échapper, pour les cinq années à venir, à l'"autre", ses obsessions sécuritaires et sa "préférence nationale"...

Quoique... voici ce que j'en écrivais il y a une semaine dans le webmagazine l'Asymptomatique.


Préambule : pour éviter toute ambiguïté, je précise dès le début qu’il n’est pas question pour moi, contrairement à une partie de mes ami·es, de renvoyer Macron et Le Pen dos à dos pour l’élection à la présidence française du 24 avril. Comme je ne suis pas électrice, je ne brandirai pas un choix que je n’ai pas à faire, mais en tout cas, je ne me reconnais pas dans les discours sur “la peste et le choléra” ou “bonnet blanc et blanc bonnet”. Malgré tout le mal que je pense de Macron, du personnage comme de sa politique, je reste persuadée qu’avec Marine Le Pen, sur tous les plans ce serait pire.

Indignations vertueuses

Ceci étant posé, je m’interroge quand même sur certaines indignations vertueuses quant au programme de Le Pen.
Je mets de côté les procès en incompétence (il y a des compétences qui tuent), les soupçons d’indulgence envers Poutine (que Macron a reçu en grande pompe à Versailles en 2017, donc après l’annexion de la Crimée), les grandes déclarations suivies de rétropédalage sur l’interdiction du voile en rue ou le démontage des éoliennes… Non, le grand sujet qui a de quoi faire frémir tout·e démocrate, c’est le projet de référendum pour inscrire dans la Constitution la “préférence nationale”, en imposant une priorité (ou parfois une exclusivité) pour les Français·es en matière d’emploi, de logement social ou de certaines allocations.
Des spécialistes du droit expliquent qu’un tel projet n’a aucune chance d’aboutir de manière légale, mais qu’importe: le principe est là et il donne froid dans le dos. Et pourtant… Pourtant, nos belles démocraties n’appliquent-elles pas déjà des formes de cette “préférence”, sans même avoir dû pour cela promulguer des lois (ou même en contradiction avec elles)?
Ce qui était déjà implicite dans les discriminations dont continuent à souffrir les personnes étrangères (ou d’origine étrangère) ou le traitement éhonté des sans papiers, saute à la figure avec le traitement différencié entre celles et ceux qui fuient la guerre en Ukraine et ces autres qui tentent d’échapper à d’autres guerres, d’autres persécutions, d’autres misères.
Voyons par exemple ce qui se passe aux Etats-Unis : le 24 mars, le président américain, Joe Biden, a annoncé l’accueil de 100 000 Ukrainiens. Comme le Mexique n’exige pas de visa de la part des Ukrainiens, contrairement aux Etats-Unis, beaucoup de candidat·es réfugié·es arrivent par cette frontière, notamment par Tijuana, où s’entassent par ailleurs des migrant·es d’Amérique centrale ou de Haïti. Au bout de quelques jours d’attente, les un·es passeront, les autres pas. “Soraya Vazquez, directrice de l’organisation binationale Families Belong Together, qui accompagne juridiquement les migrants des deux côtés de la frontière, déplore que ‘Washington applique une politique discriminatoire selon les nationalités des réfugiés, dont les opposants russes de Vladimir Poutine sont aussi victimes’” , peut-on lire dans le Monde. Qu’est-ce d’autre qu’une forme de “préférence nationale”?

États-Unis, Pologne…

Mais ça, ce sont les Etats-Unis… Voyons donc ce qui se passe dans notre belle Union Européenne lauréate, rappelons-le, du prix Nobel de la Paix en 2012, pour “l’ensemble de ses actions en faveur de la paix et de la réconciliation, la démocratie et les droits de l’homme en Europe“. A commencer par le premier pays où aboutissent les réfugié·es fuyant la guerre, comme illustré dans un repartage sur RFI : “Si la loi d’assistance aux citoyens de l’Ukraine, adoptée en Pologne le 12 mars, légalise le séjour des réfugiés ukrainiens et des couples binationaux pendant une durée de 18 mois dans le pays et permet l’accès au marché du travail et aux aides sociales, elle ne s’applique pas aux ressortissants des pays tiers ayant fui l’Ukraine. (…) ‘Il y a une inégalité de traitement importante’, renchérit Agnieskza Matejczuk, juriste de l’association Stowarzyszenia Interwencji Prawnej“.
On se souviendra par ailleurs comment la Pologne a traité la “crise des migrants” à la frontière avec la Biélorussie l’hiver dernier…

… Et chez nous?

Oui mais, ça c’est la Pologne, dont on connaît les accrocs au respect des droits humains et de la démocratie, d’ailleurs la Commission européenne l’a menacée de sanctions (menaces suspendues devant la guerre en Ukraine).
Et chez nous? Quiconque s’intéresse ne serait-ce que de loin à la situation des migrant·es dans notre pays ne peut que constater le contraste flagrant entre l’accueil des Ukrainien·es et les obstacles accumulés devant les autres: procédures interminables, décisions arbitraires, manque de places d’hébergement, menaces et procès contre des personnes qui hébergent… Il n’est pas question évidemment de contester les efforts en faveur des Ukrainien·nes, mais comment ne pas s’interroger sur ce contraste? Si l’inverse de cette “préférence nationale” (ou « ethnique, ou religieuse…), vilipendée à juste titre, est le simple principe “un·e humain·e = un·e humain·e”, nos démocraties sont-elles vraiment si exemplaires?

Mis à jour (Lundi, 25 Avril 2022 09:35)