Des "réacs" à l'ULB ?

Peut-être vaudrait-il mieux ne rien dire, ne pas nourrir la polémique, mais tant pis : pas envie de laisser aux adversaires la défense de la liberté d’expression. Quitte à me distancier quelque peu de mes camarades de combats.

A propos du tract qui protestait hier contre l’invitation de deux membres de Charlie Hebdo à l’ULB, je vais donc livrer quelques réflexions personnelles.
1) Il ne s’agit nullement de « censure », qui ne peut venir que d’une autorité, d’un pouvoir ou d’un coup de force, et ce n’était pas le cas ; le tract n’appelait ni à une interdiction de la rencontre ni à un barrage physique sur place.
2) Par contre, s’insurger contre l’invitation faite à Charlie Hebdo de s’exprimer sur le campus peut de fait être interprété comme une position de restriction à la liberté d’expression (d’autant plus maladroit que la rencontre portait justement sur… la liberté d’expression). Je ne discuterai pas la question de savoir si Charlie est ou non « réac », et je ne prendrai pas non plus comme argument l’attentat de 2015, qui donnerait au journal une espèce d’immunité à vie contre toute accusation de racisme, sexisme ou LGBT+-phobie. Mais la « liberté d’expression » est d’abord la liberté d’exprimer des idées avec lesquelles on n’est pas d’accord, limitée seulement par des bornes de la loi (que j’espère aussi peu contraignantes que possible).
3) On peut me rétorquer qu’il m’est arrivé aussi de protester contre la venue de certains « réacs », comme Zemmour ou Dallaire, mais il s’agissait alors de leur offrir une tribune, sans aucun contre-feu ; pour d’autres encore, comme Raphaël Enthoven invité par les autorités publiques à l’occasion du 8 mars pour donner son avis sur le féminisme, le problème était avant tout le lieu et le contexte. Pour le reste tous ces messieurs ont largement accès aux médias, plateaux et tribunes, pour se plaindre qu’ « on ne peut plus rien dire ».
Et c’est là que se situe, je pense, le véritable enjeu : non pas de restreindre la liberté d’expression, mais de se questionner sur l’accès à cette liberté. Qui est invité·e à parler et qui ne l’est jamais, ou si peu ? Pour l’illustrer de manière un peu abrupte: le problème ne me semble pas qu’on donne la parole à des hommes blancs ci-hétéros-bourgeois, mais qu’on entende si peu des lesbiennes trans noires handicapées.

Conclusion (personnelle, j’insiste) : Et donc je pense qu’exiger « Pas de réacs sur nos campus » est une erreur. Les « réacs » ont aussi le droit à la parole, mais tout est dans le « aussi » : « des réacs d’accord, mais avec d’autres en face ».

PS : Pour rappel, il y a presque 5 ans, le Cercle arabo-musulman de l’ULB invitait Tariq Ramadan (avant les accusations de viol), avec déjà Jean-Jacques Jespers comme interlocuteur. Je ne crois pas me tromper en affirmant que parmi celles et ceux qui à l’époque, ont protesté contre sa venue, on retrouve certain·es qui défendent aujourd’hui avec tant de conviction la liberté d’expression…

Pour lire le fameux tract, hors commentaires : https://use.be/les-reactionnaires-de-charlie-hebdo-invite/