Second degré

 

Lu dans le Monde des livres, à propos du dernier Philip Kerr : « Il y a plusieurs manières d'exercer son sens de l'humour. L'une consiste à user de son pouvoir pour se moquer des faibles. Une autre, plus critique et plus courageuse, se définit par le contraire : la raillerie exercée en position subalterne, une forme de résistance plus ou moins passive ».

J'y repense en lisant les polémiques qui ont suivi le dernier « exploit » d'Alain Finkelkraut, lançant en réplique à Caroline De Haas, en pleine discussion sur la culture du viol, son désormais fameux «Violez, violez, violez! je dis aux hommes, violez les femmes! D’ailleurs, je viole la mienne tous les soirs. Elle en a marre».

Des propos qui ont provoqué l'indignation, bien au-delà des cercles des féministes extrémistes et poilues, et bien sûr à juste titre.


Culture du viol

Mais on aurait tort de reprocher à Finkelkraut, comme le font certaines, d'avoir « appelé au viol ». Car la réplique est simple (et d'ailleurs largement brandie pour sa défense, car il a encore des défenseurs et même des défenseuses) : c'était du « second degré », et voilà, une preuve de plus que « les féministes n'ont pas d'humour ».

C'était, de toute évidence, du « second degré ». Mais pas moins infâme pour autant. Car ironiser sur un sujet aussi grave mais si mal reconnu, c'est comme plaisanter sur le racisme dans une assemblée de suprémacistes blancs. Pour reprendre le fameux « on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui » de Desproges, je pense qu'il faut aussi identifier qui parle. Il existe des tonnes de blagues juives (d'appellation d'origine contrôlée) qui, dans la bouche d'un·e antisémite, peuvent devenir des armes fatales, surtout si des oreilles antisémites traînent dans le coin. Quand Alain Finkelkraut, qui n'a rien de mieux à opposer aux violences faites aux femmes que la « galanterie », ironise sur le viol, il n'appelle certes pas à violer des femmes, mais il appelle à ne pas prendre au sérieux l'analyse de la « culture du viol ». Or c'est précisément cette analyse qui permet de sortir de l'idée reçue que les violeurs sont juste quelques individus isolés, incapables de maîtriser leurs « pulsions », et que ça ne concerne absolument pas l'ensemble de la société et sûrement pas des hommes aussi convenables que... que, disons, Alain Finkelkraut.

La culture du viol peut se définir comme un "concept sociologique utilisé pour qualifier un ensemble de comportements et d'attitudes partagés au sein d'une société donnée qui minimiseraient, normaliseraient voire encourageraient le viol. Cette culture, comme les autres usages sociologiques du terme culture, renvoie à l'idée que dans une société donnée, les gens partagent des idées, des croyances et des normes sociales" (définition de Wikipedia). On pourrait ajouter : "... et des plaisanteries".


 Frappé par un @MeToo-orite

 Allez, pour terminer, un exemple personnel de cette "raillerie exercée en position subalterne" citée plus haut :

- M. Polanski, il paraît vous travaillez déjà sur un nouveau projet... ?
- En effet... C'est encore secret parce que M. Weinstein, pour cause de problèmes personnels, n'a pas pu débloquer tous les fonds, mais l'idée est là : cela s'appellerait "Jurassic Parc 2". Une façon détournée de parler encore de moi, car dans un éclair de lucidité, je me suis reconnu entièrement dans ces malheureux dinosaures qui n'ont pas vu le monde changer ni compris que leur règne est bientôt terminé, malgré l'immense place qu'ils prenaient;... Dans une scène spectaculaire, ils se prendront une @MeToo-orite en pleine tronche, juste avant le générique définitivement final.

Mis à jour (Vendredi, 22 Novembre 2019 12:38)