Prostitution : un "métier pas comme les autres"

 

 

Ce 2 octobre, le Centre Jean Gol (lié au MR) organisait un spectacle « Sous les néons du désir », suivie d'une discussion sur le thème de la prostitution, intitulée « Sous les néons du 'plus vieux métier du monde' » - heureusement avec des guillemets, parce que le « plus vieux métier du monde » c'est accoucheuse, sans qui il n'y aurait ni prostituées, ni clients, ni même mandataires MR. Détails ici.

Sollicitée pour participer au débat, j'avais décliné l'invitation, notamment à cause de ces « néons du désir » (la communication pour la réservation était d'ailleurs : « désir »), qui suggère soit qu'il y a du « désir » des deux côtés de la transaction, soit qu'on se situe uniquement du point de vue des clients et qu'on se fout du vécu des prostituées (j'ajoute que même du côté des clients, je n'emploierais le terme de « désir » que je n'assimile pas à l'envie de se vider les couilles et/ou d'être écouté, puisque certains auraient aussi ou même surtout besoin de parler... J'ai la faiblesse, toute « féminine » - c'est de l'ironie -, de penser que le « désir » est un besoin d'échange, des corps et plus si affinités, où l'autre n'est pas simplement « pouvoyeuse d'un service ». Mais c'est moi et je n'imposerais ma conception à personne).

Le spectacle lui-même, création de Véronique de Miomandre et de Max Lebras, valait beaucoup mieux que son titre, et il me semblait d'autant plus décalé par rapport à son intitulé qu'il est surtout basé sur des témoignages de prostituées, témoignages forts, drôles, touchants, où le client et son « désir » ne tiennent qu'une place tout à fait marginale.

Suivait donc une discussion sur le thème « un métier 'pas comme les autres' ». Une « discussion » plutôt qu'un « débat », car on sait combien il est difficile de « débattre » de ce sujet très clivant, où « travailleuses du sexe » et abolionnistes finissent trop souvent par s'insulter mutuellement. Aussi ne s'agissait-il pas de « confronter » des positions, mais de se demander comment améliorer la situation de celles et ceux qui pratiquent ce « métier » ou au moins cette « activité », en attendant ou non son « abolition ».

Pas de compte-rendu ici, j'écris sans notes et avec ma mauvaise foi proverbiale, je ne transmets que ce qui m'a frappée.

Je passe rapidement sur les positions du MR, auquel je souhaite bien du plaisir (tant qu'on est dans le sujet...) en ayant dans ses rangs des « réglementaristes » comme Fabien Culot qui veut « encadrer » la prostitution à Seraing avec le projet d'Eros Center, et en face Viviane Teitelbaum (non présente ce soir-là), abolitionniste convaincue et ex-présiente du Conseil des Femmes francophones, organisme qui a obtenu de « geler » le même projet. Quant à Céline Vivier, conseillère communale MR à la Ville de Bruxelles et co-signataire d'une Carte blanche sur la prostitution à Bruxelles, elle s'est complètement emmêlé les pinceaux en répondant à une interpellation sur les (non) politiques migratoires, au moins aussi « hypocrites » que les (non) politiques par rapport à la prostitution (l'une renforçant d'ailleurs l'autre, pour la partie « réseaux » en tout cas). Son jugement négatif sur la Porte d'Ulysse était un mauvais numéro de contorsion politique, passons.

Les deux interventions les plus intéressantes étaient celles de Renaud Maes (sociologue et spécialiste de la prostitution en milieu étudiant) et Sonia Verstappen (représentante de l’UTSOPI, Union des Travailleuses et Travailleurs du Sexe Organisés Pour l’Indépendance). De l'intervention de Renaud, je retiens que le « modèle suédois » comme le « modèle hollandais » ne doivent surtout pas être idéalisés. Des politiques tout à fait opposées peuvent certes améliorer le sort de certaines catégories de prostituées : en Suède un véritable accompagnement à celles qui veulent en sortir (contrairement à la France qui a « copié » le modèle en l'édulcorant par un soutien rikiki – quelque 330 euros mensuels durant 6 mois, de quoi se retourner, en effet!) ; à Amsterdam un encadrement plus sécurisant pour celles qui sont prêtes à rentrer dans le moule ; mais dans les deux cas, la situation de celles qui restent « hors cadre », par leur situation légale (comme les sans papières.. coucou, revoilà les politiques migratoires) ou pesonnelles (toxicomanes, occassionnelles...) s'est nettement détériorée. Renaud invite aussi à se méfier des «statistiques» balancées ici et là pour « justifier » une position, car des chiffres fiables sont très difficiles a établir pour une activité clandestine et socialemeent aussi stigmatisée.

Quant à Sonia Verstappen, à l'analyse elle ajoute un vécu et un franc-parler décoiffant (des hommes qui profitent de la misère de certaines pour s'offrir des passes à 10 euros, elle dit qu'ils méritent qu'on leur « coupe les couilles »...). Défendant un « statut » qui ne peut se résumer à des Eros Centers, elle appelle à faire une claire distinction entre différentes formes de prostitution (de la traite à l'activité revendiquée, en passant par les choix plus ou moins contraints), mais plus encore, au respect,à la reconnaissance de la dignité des personnes et même plus fondamentalement, à leur « humanité », répondant à une intervention de la salle qui parle des prostituées comme des « marchandises » (même si ceteet vision est attribuée aux clients, qualifiés de « prostitueurs » selon le vocabulaire abolitonniste).

A la sortie, certain·es disaient avoir découvert un univers méconnu (mais souvent fantasmé), d'autres restaient avec leurs questionnements, dont celui-ci, que je partage : si l'on considère que la prostitution répond à la fois à certains « désirs » insatisfaits, qu'ils soient strictement sexuels ou aussi affectifs, de « laisser aller » hors des rôles sociaux ; si on rejette le stéréotype des « pulsions irrépressibles des hommes » (et là-dessus, tout le monde semblait d'accord) ; alors comment se fait-il que les clients soient en écrasante majorité des hommes (qu'ils s'adressent à des femmes, d'autres hommes ou des trans) ? Que font les femmes de ces besoins simplement humains ? Et leur émancipation passe-t-elle par un alignement sur les comportements masculins ? (personnellement je pense que non) C'est évidemment un sujet qui questionne le patrriarcat comme système, dépassant largement le cadre de la discussion ce ce soir-là.

 

Note : si je privilégie souvent le féminin, ce n'est pas que je veuille ignorer les prostitués hommes ou trans : j'ai choisi le « féminin majoritaire », l'une des formes « allégées » de l'écriture inclusive.

Mis à jour (Jeudi, 03 Octobre 2019 09:45)