Effet de #MeToo ou simple coïncidence, deux revues belges publient au même moment un dossier sur le(s) féminisme(s) : la Revue Nouvelle et Bruxelles Laïque Echos.

La différence saute aux yeux dès le titre : « Féminismes en lutte » (RN) face à « Le féminisme dans tous ses débats » (BLE). On constatera le singulier choisi par le BLE alors que, justement, puisqu'il s'agit de « débats », les féminismes pluriels semblaient s'imposer...

L'approche est également très différente. La RN se centre effectivement sur les luttes (comme celle des femmes en Pologne), en choisissant d'en rendre aussi la complexité, comme dans le très intéressant article d'Anne Lemonne et Christophe Mincke intitulé « La justice au service des femmes ? » (le point d'interrogation a toute son importance). Le BLE, lui, après avoir brossé un portrait très rapide, genre « le féminisme pour les nuls », choisit de consacrer deux articles aux « dérives » et « dérapages » du mouvement #MeToo ; et si le premier est encore argumenté, le second, intitulé « Maccarthysme porcin #NotMe », est un vrai torchon (tant qu'à insulter, allons-y), reprenant tous les poncifs sur la « guerre des sexes », la « haine des hommes », la « chasse aux sorcières », le « terrorisme langagier », et j'en passe... BLE a trouvé pertinent d'aller chercher dans une autre revue un texte digne des plus belles envolées masculinistes (1), et le bel article qui suit de Paola Hidalgo, « Ce féminisme qui mettrait la démocratie en danger », réfutant tous ces pseudo arguments, ne suffit pas à enlever le goût acide de la bordée d'injures qui précède.

On peut tenter de se consoler avec Patric Jean qui explique plus loin pourquoi « En tant qu'homme, je ne suis pas féministe, peut-être proféministe », dont certains passages auraient mérité d'être médités par les coordinateurs (et -trices...) du dossier, comme l'invitation aux hommes à « partager la part de nous qui résiste et les processus intimes qui protègent notre pouvoir »... Cela aurait évité quelques leçons de morale assénées à ces féministes qui « exagèrent », car c'est bien cela, le « débat » vu par le BLE. Pourtant, dans les mouvements féministes eux-mêmes, les sujets de discussion ne manquent pas, comme la prostitution, le port du foulard, la parité, la place des hommes... Voilà qui aurait pu être bien plus intéressant.

La différence d'approche est aussi flagrante dans les textes consacrés à l'écriture inclusive, et ce n'est pas seulement parce que l'un la défend tandis que l'autre en dénonce les « excès » (encore!). La RN a confié l'analyse à une linguiste, Laurence Rosier, qui sait manifestement de quoi elle parle, tandis que le BLE se contente d'une présentation très superficielle (avec des fantaisies comme « l'écriture épicène » qui ne veut rien dire, ou l'exigence d'effacer dans l'écriture inclusive toutes le discriminations, y compris le handicap ou l'origine, idée totalement impraticable... et absurde); ce qui ne l'empêche pas de porter des jugements définitifs qui, à côté de certains compromis « acceptables » (sur l'accord de proximité ou la féminisation des fonctions), mettent en garde contre les risques de « massacre typographique »,  de « correctifs illisbles » ou d'« enlaidissement de la langue »... On peut, certes, critiquer certains aspects de ces tentatives de féminisation du français, processus actuellement en recherche, mais il faut pour cela, au minimum, connaître le sujet à fond, ce qui n'est pas le cas ici.

Bref, dans le match RN-BLE, « il n'y a pas photo ». S'il faut désigner un vainqueur, c'est sur un score de forfait.

Féminismes en lutte, Revue Nouvelle, n°2 – 2018

Le féminisme dans tous ses débats, Bruxelles Laïque Echos, n°100, 1er trimestre 2018

Le 29 mai à 19h, la Maison du Livre à Saint-Gilles organise un débat portant sur le numéro de BLE, qui devrait d'ici là être accessible sur le site de Bruxelles Laïque.

(1) Ce texte est en accès libre sur le site de la revue d'origine, mais ne comptez pas sur moi pour vous donner le lien. A vous de chercher, si vous avez envie de vous faire une idée par vous-mêmes.