Inclusive et non mixte

Ceci est un coup de gueule, adressé particulièrement à nos « ami/e/s » de gauche, et même d' « ultra gauche » comme se définissent certain/e/s, ceux (et même celles) qui, au nom des « luttes communes », ne supportent pas l'idée que parfois, certain/e/s d'entre nous (ou d'autres minorisé/e/s dont je ne fais pas partie) aient besoin de se retrouver, sans eux, sans elles (ou sans moi), et en plus, de le faire savoir, de le crier haut et fort, dans la rue, et pas seulement dans un appartement privé ou l'arrière-salle d'un café.

Deux échanges récents sur Facebook me poussent à cette mise aux poings. D'abord, l'annonce d'un rassemblement au sein de la manif du 12 septembre à Paris contre la Loi travail : « Cortège féministe autonome inclusif intersectionnel non-mixte lors de la manifestation du 12 septembre », est-il annoncé sur le site de Paris-Luttes, avec une explication : « Comme pour le 8 mars, cette manifestation est l’occasion d’investir la rue afin de faire entendre nos voix, défendre nos choix, rendre visibles nos luttes, nos colères et nos revendications. Nous réaffirmons que le féminisme n’est pas soluble dans le racisme, le classisme, le validisme, la transphobie, la lesbophobie, la putophobie, l’islamophobie. Nous refusons de servir de caution à des politiques capitalistes, libérales, sécuritaires, nationalistes, et guerrières.
Organisons-nous pour nous défendre, au cœur des luttes des plus stigmatisées, réprimées, et précaires d’entre nous ! »

Les « ami/e/s » qui reprennent l'appel, dont certain/e/s sont des « camarades », ne voient là que contradiction, division des luttes et même, et surtout, de quoi se moquer, et même « pisser de rire ». C'est qu'ils ne « comprennent pas » la démarche, et s'ils ne comprennent pas, c'est que c'est risible, ou au moins « sectaire ». Comme l'écrit l'un d'eux : « Même moi de la gauche à la gauche de la gauche, j'pige plus » Admirons le modeste « même moi » : c'est sûr qu'à « la gauche de la gauche », on « pige » forcément tout des luttes « minoritaires ».

Bien sûr, je peux admettre qu'on discute, qu'on s'interroge, qu'on estime que « inclusion » et « non mixité » forment un bel oxymore (contradiction dans les termes). Je répondrais juste que leurs contraires, à savoir « mixité » et « exclusion » vont des fois très bien ensemble, sans qu'on s'en rende compte. Ma réponse : « Des réunions ou tribunes de mecs blancs de classe moyenne, en général valides et hétéros, ce n'est ni "drôle", ni "sectaire", c'est juste... "normal", quoi. Tellement "normal" qu'on ne le remarque même pas. Alors cette façon que vous jugez "ridicule" de visibiliser les "autres", ben moi je trouve que c'est nécessaire (suffit de voir comment les femmes sont parfois traitées dans des manifs syndicales... surtout quand elles osent se regrouper pour être visibles) (1). Quant au vocabulaire, il vous est peut-être inconnu, mais il n'est ni plus ni moins abscons qu'un certain jargon anticapitaliste, qui ne vous paraît pas "ridicule" parce que vous en avez les clés ».

Donc oui, on peut se vouloir « inclusives » et « non mixtes », quand on veut inclure celles qui sont justement si souvent « exclues » ou du moins invisibilisées. Cela n'empêche pas les « luttes communes », ces luttes qui pourtant, trop souvent, « oublient » les minorités, en considérant l'homme blanc hétéro et valide comme représentant de l' « univsel », tou/te/s les autres étant renvoyé/e/s à la « diversité », avec des combats « spécifiques ».

L'autre annonce concerne l'ouverture d'un café féministe à Bruxelles. Le quotifdien flamand (progressiste) De Morgen s'interroge : « Génial ou ringard, le premier café de femmes ? »

Passons sur le « soupçon » de non mixité ou sur les plaisanteries concernant les « bières de femmes » (« Un breuvage fadasse et léger, sucré parce que l'on est pas capable de supporter une bière brune à 10° ? » s'interroge une Facebookienne en commentaire de l'annonce, alors qu'il s'agit, bien entendu, de bières brassées par des femmes...) pour rappeler ceci :

1) ce café de femmes (et même ouvertement féministe) n'est le "premier" que pour qui ne connaît rien au mouvement des femmes;
2) il n'est "ringard" que pour qui ne s'interrogera jamais sur tous ces "cafés pour hommes" qui pullulent dans nos villes, même s'ils ne s'intitulent pas ouvertement ainsi.

Donc, pour le café comme pour les groupes de femmes visibles dans les manifs, répétons ce merveilleux slogan des années 70 : « Une femme sans homme, c'est comme un poisson sans bicyclette »

 

Le poisson sans bicyclette, 253 rue Josaphat, 1030 Bruxelles. Ouverture le 27 septembre

 

 * Ilustration de cette "camaraderie" que certains voudraient à sens unique : des femmes qui réagissaient des remarques sexistes lors de cette manif du 12 septembre, ont été tabassées par le service d'ordre de la CGT, sans que les autres manifestants n'interviennent. Les détails sont ici

 

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Mis à jour (Lundi, 25 Septembre 2017 18:07)