"Citoyennes, féministes et musulmanes" : saisir la main tendue

On parle si souvent d'elles, à leur place, alors qu'elles-même ont si rarement la parole : ce texte paru dans la Libre,dans la rubrique Opinions (1), est d'autant plus précieux. Il nous interpelle, j'y réponds.

Vous dites : « nous voulons vous donner envie de nous rencontrer ». Vous dites : « nous voulons vraiment faire société ensemble, avec nos ressemblances et nos différences ». Vous dites : nous sommes féministes, contre les injustices dont les femmes sont toujours victimes, soyons des alliées !

Mais vous dites aussi : cessez de « considérer celles d’entre nous qui portent le foulard comme, au choix, des mineures sous influence, des idiotes utiles ou des militantes perfides d’un dogme archaïque ». Et voilà cet appel intitulé « Citoyennes, féministes et musulmanes » publié par la Libre sous l'intitulé « Voilées et féministes » (1). De quoi, immédiatement, agiter le chiffon rouge sous les yeux du taureau de la laïcité excluante !

L'essentiel, vous le dites dans leur texte : les préjugés, les discriminations, l'injustice de mesures qui, sous prétexte de les « émanciper », contribuent à enfermer les filles et les femmes à la maison ou dans leur « communauté ». Le sommet de l'absurde étant peut-être atteint en interdisant à certaines d'entre elles, toujours au nom de leur émancipation, de suivre des cours si bien appelés de « promotion sociale » !

Les réactions n'ont pas tardé (dans la Libre aussi bien que sous la plume de certaines défenseuses d'une laïcité crispée) (2), notamment sur le thème : on ne peut pas être voilée et féministe. Donc, votre main tendue, vous pouvez vous la garder. On ne peut discuter que cheveux au vent (un crâne rasé a peut-être aussi ses chances). Vous ne le savez peut-être pas, mais vous êtes des réactionnaires portant haut, volontairement ou par naïveté, la bannière de régimes sanglants (vous savez, ceux que nos pays si fiers de leurs « valeurs » soutiennent si bien avec leurs livraisons d'armes et leurs accords commerciaux, mais ça n'a aucun rapport, paraît-il).

A celles qui vous rejettent ainsi, je n'ai rien à répondre : elles ne s'adressent pas à moi. Je ne suis ni musulmane, ni porteuse d'un quelconque « signe convictionnel » (quoique j'aimerais bien que mon féminisme soit encore plus « ostentatoire » qu'il ne l'est déjà), je n'ai pas à avoir un avis sur le foulard, le besoin de le mettre ou de l'ôter, pas plus que sur la façon de le nouer, ou le sens que chacune d'entre vous lui donne. J'ai juste un avis sur le contrôle du corps des femmes, leur apparence, leur façon de se vêtir, d'être « trop » ou « trop peu » couvertes, toujours jugées « provocantes », qu'on voie le haut de leurs cuisses ou qu'elles cachent leurs oreilles. Et cet avis est simple : ce contrôle fait partie intégrante du maintien des femmes dans une position d'infériorité et quand en plus, il leur interdit d'étudier ou d'avoir un emploi, il est l'un des freins principaux à cette émancipation dont on parle tant tout en les empêchant d'y accéder. Et qu'on ne me dise pas : il suffit qu'elles enlèvent leur voile et tout ira bien ! Exiger qu'elles ôtent le foulard ou leur imposer de le mettre ne sont que deux facettes d'un même refus de leur liberté.

Je n'ai pas non plus à vous attribuer, ou non, un brevet de féminisme. Puisque vous tendez la main, je la prends volontiers. Nous nous battrons ensemble contre les inégalités sociales, contre les violences, contre le poids des tâches de ménage et de soins, si mal partagées... Peut-être y aura-t-il des domaines où nous ne serons pas d'accord – c'est aussi le cas avec d'autres féministes avec lesquelles je peux avoir des divergences, ce qui n'empêche nullement des luttes communes. Se rencontrer, être des alliées, avec nos ressemblances et nos différences ? Chiche ? Chiche !

 

(1) A noter que suite aux protestations, la Libre a rétabli le titre d'origine dans sa version électronique

(2) A vous de chercher : aucune envie de leur faire de la publicité

Mis à jour (Mardi, 20 Septembre 2016 10:34)