De la STIB, du foot et de la masculinité

Qu'y a-t-il de commun entre Iliaz Tahiraj, superviseur à la STIB mort à la suite d'un coup de poing reçu à la tête, et le football ? En apparence rien. Pourtant si.

Le 18 mars dernier, vers la fin d'un match tendu, le défenseur anderlechtois Marcin Wasilewski – pourtant lui-même victime, en 2009, d'une agression de la part d'Axel Witsel, qui l'a éloigné de longs mois des terrains – envoie un adversaire au tapis, d'un coup de coude volontaire. Le joueur de Saint-Trond Peter Delorge perd connaissance et est transporté à l'hôpital, avec une commotion cérébrale et une fissure du nez. Suspendu pour six matches, dont deux avec sursis, Wasilewski est défendu bec et crampons par ses petits camarades : il ne l'aurait « pas fait exprès » (ce que les images démentent) mais surtout, il ne serait pas vraiment méchant, il aurait seulement un « jeu viril » et d'ailleurs, la sanction est injuste car « le foot est un sport d'hommes », selon les termes de Matias Suarez, son co-équipier et Ballon d'Or 2011.

Les politiques et les médias n'ont pas de mots assez durs pour l'homme qui a frappé le superviseur. Mais sans faire le moindre rapport avec les brutes qu'on voit régulièrement sévir sur les terrains de football.

C'est grave. Parce que le foot, ça fait rêver les petits garçons (et de plus en plus de petites filles), parce que ce sport est présenté comme une sorte de chevalerie moderne, qu'un geste « sportif » est censé correspondre à une preuve de fair-play et pas à un coup de poing dans le visage de l'adversaire. Pourtant, les tricheurs sont présentés avec une certaine sympathie (« ben oui, j'ai marqué de la main, mais héhé, l'arbitre n'a rien vu... ») et les agresseurs font l'objet d'une curieuse indulgence. La direction d'Anderlecht, au début très sévère avec son joueur, songe maintenant à faire appel contre une « décision injuste ». C'est la correctionnelle qu'un tel geste mériterait !

Mais au-delà de l'hypocrisie qui fait qu'un joueur de foot n'est pas tout à fait un citoyen comme les autres, il y a cette affirmation, combien de fois répétée par les commentateurs sportifs comme par les joueurs eux-mêmes : le foot n'est « pas un sport de fillettes » (c'est vrai, les fillettes se tirent par les cheveux tandis que les joueurs se tirent par le maillot – du moins les plus gentils d'entre eux). Il faut donc s'interroger sur cette histoire de « virilité » et de « sport d'hommes » qui justifierait, sur un terrain de foot, ce qui est condamné avec tant de force – et avec raison – dans la vie de tous les jours.

Quoique la condamnation elle-même n'est pas si évidente : elle est surtout brandie quand les choses dérapent gravement, et/ou que la victime a un statut particulier. Une certaine violence, sous forme d'une « saine agressivité » qui ferait partie de la « masculinité » est même valorisée socialement, notamment dans la publicité (1).

Dans les débats sur les faits de violence et leurs causes, on pointe, selon ses convictions, de droite à gauche : une immigration mal contrôlée, la perte de repères et de valeurs, la responsabilité individuelle, les frustrations personnelles, une enfance malheureuse, le chômage, la pauvreté... Une particularité des agresseurs, qui saute pourtant aux yeux, est beaucoup plus rarement relevée : leur appartneance au genre masculin. Si les victimes peuvent être aussi bien des hommes que des femmes, les auteurs, eux, sont masculins à une écrasante majorité (2).

Il ne s'agit évidemment pas de dire que tous les hommes sont violents ni que les femmes sont toutes des anges de douceur, mais de s'interroger sur cette construction de la masculinité, qui valorise l'agressivité, la confrontation, où les conflits se règlent à coups de poing, si ce n'est à coup de bombes, plutôt que par la négociation, et où il n'est rien de plus humiliant que de ne pas faire face, d'avoir fui, d'avoir écouté sa peur qui est parfois la voix la plus raisonnable. Le sujet est assez grave pour avoir fait l'objet d'une réflexion à l'Unesco, sur le thème « Masculinité et violence, un couple infernal » (3). Tout comme un slogan , en mai 68, proclamait « Nous ne sommes pas contre les vieux, mais contre ce qui les a fait vieillir », on aurait envie de dire : « Nous ne sommes pas contre les hommes, mais contre ce qui leur impose une certaine conception de la masculinité »...

 

Au fait, en ce qui concerne Wasilewski, il a été écarté de la sélection polonaise pour l'Euro 2012, qui se jouera en Pologne, son pays d'origine. Pas à cause de son coup de coude, non, pour ça, son sélectionneur lui a fait savoir qu'il le soutenait entièrement. Mais parce que, en ce début d'avril, il a participé à une virée alcoolisée qui s'est terminée au commissariat, après une altercation avec un chauffeur de taxi. Moralité : il est moins grave de casser le nez d'autrui que d'avoir un verre de trop dans le sien. Le foot, c'est éthique, pas éthylique, qu'on se le dise.

 

  1. http://www.media-awareness.ca/francais/ressources/educatif/documents_accompagnement/masculinite_violence_pub.cfm

  2. Voir par exemple le dernier rapport de l'Institut pour l'Egalité des Femmes et des Hommes

  3. http://www.eurowrc.org/01.eurowrc/06.eurowrc_fr/18fr_ewrc.htm

 

 

Mis à jour (Lundi, 09 Avril 2012 18:11)