"Soyez discrets !"

 

La vague d'islamophobie qui déferle actuellement sur les plages françaises (mais qui n'est que l'écume d'une marée bien plus imposante) est parfois comparée à la situation des années 30. On voit par exemple sur Facebook, à côté de témoignages sur la verbalisation de musulmanes "trop couvertes", des photos de panneaux interdisant la baignade aux juifs.

Ce parallèle est compréhensible par certains côtés, mais boîteux par d'autres : les juifs n'étaient pas incités à être « discrets », mais à disparaître. Sacrée « nuance ».

N'empêche, cette « discrétion » que l'on semble exiger aujourd'hui des musulmans (et surtout des musulmanes) me paraît d'une grande violence. Le délire autour du burkini, du foulard, mais aussi le discours sur « la religion, une affaire privée » vont dans ce sens. Pressenti pour diriger la future Fondation de l'islam de France, Jean-Pierre Chevènement – ce choix est à lui seul un signe de volonté d'invisibilisation des musulman/e/s – déclare, avant même sa nomination : « Le conseil que je donne dans cette période difficile […] est celui de discrétion »

J'oserais donc un autre parallèle, qui ne plaira sans doute pas à tout le monde : la situation des homosexuel/le/s.


En dehors de quelques franges extrêmes ou dinosauriques de la population, il ne se trouve plus grand-monde, dans nos contrées, pour se revendiquer ouvertement « islamophobe » ou « homophobe ». On n'est « pas raciste, mais... » Mais, tout comme les musulman/e/s, les homosexuel/le/s « exagèrent ». Au lieu de se contenter de « pratiquer » dans la sphère privée, à savoir leur chambre, tous rideaux tirés, ils exigent de pouvoir se balader en rue la main dans la main, de s'embrasser sans s'attirer des regards désapprobateurs, d'être pris/es au sérieux quand ils/elles dénoncent des agressions, qu'elles soient physiques ou verbales, et vont jusqu'à revendiquer des « accommodements raisonnables » (enfin « raisonnables », c'est une façon de parler). Ne peut-on pas considérer ainsi la reconnaissance officielle des couples de même sexe... ? Les « signes ostentatoires » d'homosexualité seraient une menace pour les hétéros, en particulier les enfants, qui pourraient être « convertis », mon dieu ! Et ce serait la fin de l'humanité – ou de « notre » civilisation, mais bon, c'est pareil.

(Entre parenthèses, ces peurs d'une conversion massive, ou de la contagion, font beaucoup d'honneur aussi bien à l'islam qu'à l'homosexualité : s'il suffit de les exposer publiquement pour multiplier les adeptes, l'attractivité doit être bien forte !)

Il y a quelques semaines à peine, un couple d'amies qui se faisaient des papouilles à une terrasse de Vence se sont fait fusiller du regard par d'autres consommateurs/trices, pourtant elles ne portaient ni foulard ni burkini et avec leur short et leur t-shirt sans manches, elles étaient aussi déshabillées qu'il sied dans ce midi de la France laïque et républicaine.

Violent ? Oui, c'est violent. Chacun/e a sa propre conception de ce qu'on exprime, ou non, dans l'espace public. Mais quand cette conception est juste dictée par la pression sociale ou pire, par la crainte d'agressions, alors c'est toute une catégorie de la population, « discrète » ou non, qui est renvoyée à sa « différence ». Les hétéros peuvent s'embrasser et les chrétiens organiser des processions qui font partie du « folklore local ». Exiger la « discrétion » n'est qu'une autre façon de crier « on est chez nous », chez nous en chrétienté, chez nous en hétéroland.

Donc, ami/e/s musulman/e/s, soyez ce que vous êtes, et nous, mes camarades – homos, féministes, antiracistes...- soutenons-les : c'est tout simplement un droit humain.

Mis à jour (Jeudi, 25 Août 2016 11:22)