Alors... heureuses... ?

Je les voyais venir de loin, ça n'a pas manqué : dès la soirée de ce funeste dimanche 6 décembre, quelques commentaires ironiques commençaient à fleurir sur ma page Facebook : « Le succès de Marion et Marine va-t-il réjouir ceux qui appellent de leurs voeux l'arrivée de femmes au pouvoir? » ou encore « Heureusement, en France, les femmes arrivent au pouvoir ... » Message sous-jacent : alors les féminisssssses, heureuses... ? 

Jusqu'ici, l'argument-choc pour se moquer des revendications de parité en politique, c'était le classique « Et Margaret Thatcher, vous trouvez que c'est mieux... ? » Bizarrement, même si d'autres femmes sont depuis arrivées au pouvoir et y ont mené des politiques socialement très dures, y compris pour les femmes, aucune n'a réussi à détrôner la « dame de fer » dans l'imaginaire de mes petits camarades de gauche. Même pas Angela Merkel ou « notre » Maggie De Block nationale. Et Thatcher, hein, ça commence à être usé comme épouvantail. Il fallait du sang (de femme) neuf, voici donc venir Marine Le Pen !

On pourrait se contenter de hausser les épaules et poursuivre tranquillement son chemin, mais hélas, à côté de machos purs et durs qu'on ne convaincra jamais, j'en vois déjà dans les coins qui se disent, avec plus ou moins de bonne foi, « ben ouais, c'est vrai ça, des femmes au pouvoir c'est pas du tout pertinent, ou c'est pas la question, les féministes sont à côté de la plaque, il fait se battre pour la gauche et les femmes, ben ça viendra tout seul, ou après, ou finalement est-ce que c'est si important que ça... ? »

Alors, pour les ceusses qui se tâtent, ou qui se grattent, ou qui simplement ont envie d'y réfléchir, quelques remarques – à prendre, ou pas.

Premier constat : ce monde, oui ce bidule que vous voyez devant vous, à feu et à sang, menacé par les dictatures, le terrorisme et le réchauffement climatique, déchiré par les guerres sans fin et qui est pourtant notre monde commun – ce monde, il a été construit par des hommes, eh oui, car la domination masculine est de tous temps et de tous lieux. Pour une Thatcher, on peut vous renvoyer mille Pinochet, Néron, Staline, Hitler, Assad... et encore, il s'agit là d'individus alors que le problème, ce sont des structures, mentales, politiques, culturelles, qui ont été façonnées sur un modèle masculin (ce qui ne veut pas dire que TOUS les hommes sont à mettre dans le même sac : il s'agit d'une construction sociale, pas d'une fatalité biologique). Est-ce que je crois que les femmes feraient forcément mieux ? Non, mais elle pourraient difficilement faire pire.

Deuxième constat, à l'intention de mes camarades de gauche : le président sud-africain Jacob Zuma, accusé de corruption, de viol, de détournement de fonds publics, polygame, homophobe... n'est certainement pas le modèle de leader progressiste dont ils auraient rêvé (du moins je l'espère). Est-ce que cela condamne pour autant la longue lutte anti-apartheid, ce système qui réservait le pouvoir aux Blancs ? Pourquoi ce qui vaut pour les Noirs – leur ouvrir des portes, quoi qu'ils fassent de cette ouverture – ne vaudrait pas pour les femmes ? Elles n'ont pas à être « meilleures ». C'est une simple question de justice. Comme le disait ma chère Françoise Collin, « je ne suis pas féministe parce que les femmes sont bonnes, mais parce qu'elles sont injustement traitées ».

Troisième point : il ne s'agit donc pas du tout de savoir si Marine Le Pen c'est mieux que Hollande, ou Maggie De Block mieux que Theo Francken, ou Cléopâtre mieux que Jules César, ou Nefertiti mieux que Toutankhamon... Une fois au pouvoir – ce qui implique d'ailleurs souvent l'adoption de codes masculins, pusiqu'il s'agit de structures et non de biologie – les femmes (y compris les féministes) doivent évidemment être jugées selon les mêmes critères que les hommes et s'il le faut, combattues avec la même détermination. Quand je vois Liesbeth Homans et Elke Sleurs, toutes deux N-VA, invitées par une structure comme Amazone à venir discuter de l' « avenir du féminisme », je m'étrangle et je pense que c'est indigne, je ne me dis pas « chouette, des femmes à la tribune ! » Cela ne m'empêchera pas de continuer à plaider pour que les femmes aient davantage la parole et puissent partager autant de réflexions, mais aussi d'horreurs et de stupidités que les hommes.

Dernier point, toujours pour mes camarades de gauche : les menaces écologiques et politiques qui planent sur notre planète méritent évidemment que nous nous battions toutes et tous ensemble. C'est une question de survie. Mais ne nous demandez plus jamais, à nous les féministes, de nous aligner derrière vous comme un seul homme et de remettre nos besoins, nos revendications, à plus tard, à des temps meilleurs – parce que ce coup-là, on nous l'a déjà fait. Se battre ensemble implique de laisser à chacun/e sa place, en veillant à ne jamais écraser les dominé/e/s, ce qui se fait si « naturellement », sans même y penser. Alors voilà, pensez-y – pensons-y, car cela vaut tout autant pour nous féministes.

 

PS : Ah oui, tant que j'y suis : cracher sur les électeurs/trices du FN, pointer les responsabilités sarkozo-hollandiennes, chipoter avec les chiffres pour conclure que quand même, si on ajoute les abstentionnistes aux malades, aux prisonniers et à ceux qui ont oublié de mettre leur réveil, et qu'on divise le tout par le carré de l'hypothénuse... ben finalement, peut-être que la gauche est quand même majoritaire dans le coin inférieur gauche de l'hexagone... tout cela me paraît vain. Il s'agit surtout de se demander pourquoi la « vraie gauche » n'a pas su capitaliser la très « vraie faillite » des partis traditionnels, et pourquoi c'est l'extrême-droite qui en profite, un peu partout. Et aussi comment on peut reconstruire cette « vraie gauche » qui en France, n'est qu'un tas de ruines.

Mis à jour (Lundi, 07 Décembre 2015 10:35)