Si vous voulez être nos alliees... (retour sur un atelier du Colloque féministe)

Si vous voulez être nos alliées...

 
 
 
Si vous voulez être nos alliées, dit-elle, n'essayez pas de nous définir à notre place. C'est un des principes de base du féminisme : c'est à chaque femme de se définir elle-même, toute autre attitude est de la violence. Donc, que vous soyez d'accord ou non avec cette appellation, considérez-moi comme "travailleuse du sexe", puisque je me définis ainsi. Inutile de se disputer pour savoir si c'est un "travail" ou non : contentez-vous de respecter la façon dont chacune a choisi de se définir. Et ne definissez pas non plus le vécu des personnes à leur place. (Cela m'a rappelé un débat pénible à la Fête des Solidarités, l'an dernier, où des abolitionnistes assimilaient tout acte de prostitution à un viol, ce que  j'avais trouvé  d'une extrême violence par rapport aux personnes prostituées et aussi comme une formd de "banalisation" de ce crime qu'est le viol).
 
Physiquement d'aspect solide, massive, elle parle d'une voix douce et s'excuse régulièrement de ne pas être plus claire, elle dit qu'elle est épuisée. Lorsqu'une intervention de la salle la heurte, elle dit : vos propos sont blessants - mais sans insulter la personne, ce qui est rare dans ce type de débat. 
 
"Si vous voulez être nos alliées", c'est le thème de l'atelier, au sein du colloque "Féminismes putes", tout un programme. D'autres discours, ce sont juste des analyses, ou des demandes, qu'on peut avoir envie  d'écouter, ou pas. Mais sa voix, son ton, s'imposent d'emblée.
 
Elle se définit comme travailleuse du sexe, nous dirons "TDS" pour la commodité, et féministe de longue date. Elle dit : c'est mon choix, c'est un choix pour l'argent, entre 60h/semaine chez Tim Horton (chaîne de cafés  américaine) et 4h de prostitution, j'ai choisi.
 
Son message s'adresse aux féministes. Les alliances sont possibles, même avec les abolitionnistes (les "abolos", pour la commodité). En attendant unes société idéale sans prostitution (si l'on y croit), on ne devrait pas se disputer sur la nécessité ou non de "sortir de la prostitutio,  mais on peut réfléchir ensemble, on peut se battre ensemble, pour s'attaquer au vrai problème : comment éviter d'y entrer.
 
Alors, dit-elle, nous pouvons nos retrouver, même avec les abolos, dans la lutte contre la pauvreté, les politiques répressives en matière de migration, pour la gratuité des soins aux personnes trans, pour des programmes sociaux.. Moins de misère, ce sera moins d'entrées dans le TDS. Plutôt que de se battre pour une pénalisation qui ne peut que nous fragiliser, dit-elle.
 
Vous voulez lutter contre le harcèlement sexuel ? Très bien, c'est un combat commun. Il y a aussi du harcèlement dans les hôpitaux, personne ne demande pour autant de supprimer les hôpitaux.
 
Si vous voulez être nos alliées, dit-elle encore, ne nous demandez pas pourquoi nous sommes des TDS. Ne nous demandez pas de nous justifier. Ne nous demandez pas si c'est parce que nous sommes pauvres, ou toxicos, ou ci c'est un choix, ou par manque de choix.
 
En tant que féministe, dit-elle encore, j'ai toujours milité pour la non mixité dans les luttes. Mais on ne peut ignorer qu'un tiers des TDS ne sont pas des "femmes cis", mais des hommes ou des trans. On ne peut donc pas seulement analyser la prostitution en termes de rapports d'oppression hommes/femmes, en ignorant un tiers des personnes concernées.
 
Une objection vient de la salle : on ne peut tout de même oublier, dans l'analyse des rapports de domination, qu'une écrasante majorité des clients sont des hommes. Elle répond simplement : oui. Oui, c'est vrai. Mais ce n'est pas un problème propre à la prostitution. Cette réalité s'inscrit dans un continuum de domination économico-sexuelle, d'un échange du corps contre la survie, un continuum qui va de la prostitution au mariage. Et si vous voulez parler d'exploitation, d'accord : le travail, tout travail, peut être lu comme un exploitation.
 
Non, dit-elle, la prostitution n'est pas un "travail comme un autre". Mais ce n'est pas parce qu'il s'agit de sexe, mais à cause de la stigmatisation dont elle fait l'objet. Et c'est cela, cette stigmatisation, qui amène des conditions de travail horribles, des violences. La priorité est donc de sécuriser ces conditions, plutôt que de s'écharper sur la notion de "travail". Quant au fait que cela concerne le sexe, il faut admettre que pour certain/e/s, il s'agit d'un domaine lié à l'intime, mais pour d'autres non.
 
Pénaliser le client ? C'est encore nous fragiliser, répond-elle. Et les clients ne sont pas pires que certains partenaires, ajoute un autre TDS. La domination peut se retrouver partout.
 
(On n'aura pas le temps de parler du proxénétisme, dommage)
 
En tout cas, une activité pour un revenu ne peut pas être considérée sous l'angle d'un choix "moral". Elle dit comprendre que dans une société idéale, on imagine une sexualité sans domination -  même si, dit-elle, je n'y crois pas trop (moi non plus d'ailleurs). Peut-etre faut-il se contenter de penser que dans une société idéale, seul/e/s se prostitueraient ceux et celles qui ont vraiment envie. Si l'on admet quehors de toute contrainte,  même économique,  une telle envie continue à exister.
 
Mais nous pouvons être d'accord sur une chose, dit-elle : militons ensemble pour que le travail du sexe soit un choix, et jamais une contrainte. N'est-ce pas la même chose finalement que ce que vieulent les "abolos" ? Alors, dit-elle, si on se mettait ensemble ? Imaginez ce qu'on pourrait faire alors !
 
Ce jour là,  on avait vraiment envie de rêver avec elle.
 
PS : Plus tôt dans la semaine, le STRASS dont cette personne fait partie avait chahuté un autre atelier, orienté "abolo", attitude évidemment inacceptable et loin des "alliances" possibles. J'ignore si cette personne faisait partie des chahuteurs, c'est son discours qui m'a touchée. 

Mis à jour (Dimanche, 30 Août 2015 11:48)