C'est l'histoire d'une fille...

C'est l'histoire d'une fille...

Très tôt, elle a senti qu'elle était « différente ». En quoi, elle ne le comprenait pas. D'abord, on a cru que c'était parce qu'elle n'était pas née ici, qu'elle avait dû s'adapter à des langues, des coutumes, des environnements différents, qu'elle avait du mal à communiquer avec les autres enfants, qu'elle avait tous les atouts de la souffre-douleur... Malgré cela elle adorait l'école, tout en détestant l'uniforme obligatoire, la jupe sombre, la chemise au col raide qui grattait... A la fin de l'école primaire, elle a consciencieusement découpé aux ciseaux chacune des pièces de cet uniforme honni.

Mais à la puberté, c'est devenu pire. Elle, plutôt genre casse-cou peur-de-rien, qui adorait courir, plonger, sauter, s'est transformée en trouillarde maladroite, cauchemar des leçons de gym. Au lycée pour filles, pas d'uniforme, mais interdiction du pantalon même par les plus grands froids. En jupe elle se sentait comme « déguisée ». Mais ce n'était qu'un détail de son mal-être général, de sa difficulté de contact avec les autres, auxquelles elle aurait tant voulu ressembler.... Son adolescence a été une suite de médecins et de psys... aux « conseils » des plus farfelus, jusqu'à un an de régime sans sel, on ne vous dit pas le pied en colonie de vacances ! Autant dire que ça ne changeait rien. Ils ont tout essayé...

 

Ils ont tout essayé, la persuasion, les promesses, les menaces : les tentatives de « féminisation » étaient aussi vaines que ressenties comme violentes (même avec les meilleures intentions). Elle découvrait aussi que son manque d'intérêt pour les garçons (ce qui restreignait sérieusement ses possibilités de discussions avec ses copines de classe) allait de pair avec son attirance pour des filles. Ses psys considéraient que c'était juste une « phase » à dépasser, seule une prof semblait l'écouter vraiment et elle se réfugiait régulièrement chez elle. Jusqu'à ce qu'elle se rende compte que cette prof en avait parlé à son mari médecin qui lui avait déclaré, pour la « rassurer » , qu'il n'y avait aucune raison de s'inquiéter, tant qu'elle ne tombait pas sur une « lesbienne professionnelle » !

Cette histoire de lesbienne professionnelle lui avait beaucoup trotté dans la tête, et il faut dire que cinquante ans après, malgré des années de militantisme et une fréquentation assidue des milieux homosexuels, elle n'en a toujours pas rencontré !

Cela s'est terminé par une tentive de suicide (ou plutôt un appel au secours sous forme de tentative de suicide), puis des études de psycho où elle a découvert avec effarement comment on présentait l'homosexualité à de futurs clinicien/ne/s. Dont certaines refusaient de s'asseoir à côté d'elle... peur de la contagion, crainte qu'elle leur saute dessus en plein cours... ? Elle a même reçu une lettre de la mère d'une étudiante, lui interdisant d'approcher sa fille à moins de trois mètres...

Je vous passe la suite de l'histoire. Elle s'en est finalement plutôt bien tirée, grâce à la rencontre des mouvements féministes (pourtant pas toujours dénués d'homophobie...) et homosexuels (pourtant pas toujours dénués de sexisme...) Mais elle a souvent pensé qu'on aurait pu lui épargner beaucoup d'années de mal-être, et quelques séquelles (aussi profondes que peu visibles) en lui disant simplement : tu es ce que tu es, ta vie sera peut-être un peu plus difficile mais tu peux aussi y puiser de la force, nous allons te soutenir face à ceux/celles qui se moquent de toi et ce sera à eux de changer, pas à toi.

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Alors, quand je lis Pascal De Sutter, interviewé dans le Ligueur, donner ses conseils d'"expert" : « Des parents souffrent que leur enfant se fasse traiter de ‘pédé’ par ses petits copains. Je leur ai conseillé d’amener celui-ci à se viriliser un peu, de manière à ce qu’il vive avec les codes que la société attend de lui. (...) On ne rend pas service à un petit garçon en l’encourageant à se comporter d’une manière traditionnellement féminine », j'ai juste envie de frapper l'un et de mettre le feu à l'autre. Parce que, outre un plaidoyer pour le conformisme le plus plat et une adaptation aux préjugés des autres, ses “conseils” sont absurdes d’un point de vue psychologique : les jeunes ont tendance à être très “corformistes” justement par rapport à leurs pairs, s’ils/elles sont “différent/e/s”ne se plient pas aux codes majoritaires, c’est vraiment que cela correspond à leur personnalité profonde. Vouloir les “rectifier” est juste une forme de violence. Et si l'histoire ci-dessus date du siècle dernier, le mal de vivre, pour certains jeunes, est toujours d'aujourd'hui.

Mis à jour (Vendredi, 03 Juillet 2015 11:41)