Même pas peur !

 

En cette fin juin, le journal « Même pas peur ! » sortira son deuxième numéro.

Un nouveau titre dans la presse en Belgique francophone ? Il fallait oser, « Même pas peur », en effet ! Voilà qui méritait au moins ma curiosté (d'autant que je connais plusieurs des initiateurs). Le thème aussi avait tout pour m'attirer, moi qui en matière de marxisme, me situe plutôt du côté du gendre Lafargue et son « Droit à la Paresse » que de celui du Manifeste du Parti Communiste de beau-papa Karl : « Pour en finir avec le travail ».

Certes, d'autres aspects m'enthousiasmaient moins : d'abord, en général, une certaine méfiance vis-à-vis d'une presse satirique qui fait rarement la différence entre se moquer des puissants et ridiculiser celle/celui qui est déjà à terre ; ensuite, dans ce cas précis ,une rédaction masculine en proportion écrasante (1) et une couverture qui me donne envie de tourner les talons : on y voit en effet des usines fumantes derrière un portillon annonçant « Le travail rend libre », traduction du « Arbeit macht frei » que l'on associe immédiatament à Auschwitz. J'ai beau penser le pire du travail tel qu'il est organisé dans nos sociétés, et pire encore de ceux qui le détruisent pour s'en mettre plein le compte en banque, Mittal n'est PAS Hitler ni Arcelor un camp de tavail (pour ne rien dire d'un camp d'extermination). Pour enfoncer le clou, on retrouve dès l'édito l'allusion à « la nouvelle étoile de David sure l'on colle sur le manteau du sans emploi », des fois qu'on n'aurait pas compris le message (2).

Mais bon, comme on dit à la RTBF, « restons curieux/se ». Et aussi, comme d'habitude... totalement subjective (même pas peur !).

Verdict ? Il y a des textes et des dessins qui m'ont fait sourire, ou même franchement rire, d'autres qui m'ont laissée de marbre, en un équilibre tout à fait honorable, surtout pour un premier numéro.

 Deux remarques personnelles cependant.

D'abord, une gêne : sur le thème du travail, sujet quasi unique (et c'est parfois lassant), le travailleur (que je laisse volontairement au masculin pour suivre les auteurs...) est autant moqué que le rapace qui l'exploite ou le corbeau qui croa croa « emploi, emploi ! » Seul le chômeur, de préférence volontaire, semble échapper à la dérision. Puissants et misérables dans le même panier, même cibles pour fléchettes empoisonnées... ?

Enfin, un "oubli" significatif, que je lie à la forte sous-représentation de femmes dans l'équipe : il est assez incroyable (bien que très courant) qu'un journal entier consacré au « refus du travail » n'ait pas un mot pour le travail invisible, gratuit, en écrasante majorité réalisé par les femmes. Faut-il aussi « en finir » avec celui-là ? Tout ce travail dit « reproductif », ou de « care », tout ce qui rend la vie quotidienne possible en fait... On en fait quoi ? On l'ignore, quitte à crever ? En nouveaux aristocrates, on le laisse à d'autres ? Les femmes, justement, et/ou les migrant/e/s, pendant que, joyeux chômeurs libérés des obligations (et là aussi, je le laisse volontairement le masculin), on gambade dans les prés en fleurs entre loisirs et activités familiales « nobles » ? Mais où ai-je la tête : le « travail gratuit des femmes », ce n'est pas du travail...

 

Voici donc le n° 2. Un effort a été fait, paraît-il, pour féminiser la rédaction, et des discussions sont en cours pour offrir une tribune à des féministes. Très bien. Mais je vous laisse juger vous-même du choix de la couverture... Aucune connotation masculine ? C'est ici 

 

 

(1) C'est d'ailleurs une caratéristique, ou un manque de volonté, de la plupart des « nouvelles publications » comme des anciennes ; voir la « nouveau POUR » dont je parlais dans un texte précédent... La rédaction de « Médor » semble plus équilibrée, et je suis d'autant plus curieuse de voir si cela se réflétera aussi dans le contenu

 

(2) Pour les rapports entre la satire et la Shoah, un livre tout à fait passionnant : « Rire, Mémoire, Shoah », aux Editions de l'Eclat. Toute personne voulant mêler Hitler, nazisme, camps, et autres génocides à des oeuvres d'humour devrait le lire, pour avoir au moins une vraie réflexion sur le sujet : comment rire de l'horreur sans tuer une deuxième fois les victimes.

Mis à jour (Jeudi, 18 Juin 2015 09:37)