8 mars : du pain et des roses, et des épines géantes

 

Le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, ainsi que les quelques jours qui l'ont précédé, on en a vu et entendu des roses et des pas mûres. On nous a souhaité une « bonne fête », offert des super réductions sur des super achats super inutiles, proposé une bière gratuite (avec l'aimable collaboration de la ministre Jacqueline Galant et de la secrétaire d'Etat Elke Sleurs), offert quelques échos des rassemblements dans le JT (de 13h, hein, celui de 19h était consacré à des sujets plus sérieux), on nous aussi assommées de réactions furibardes ou ironiques à l'annonce d'une manifestation féministe non mixte - le meilleur moment, et de loin, de toutes ces « célébrations » et autres « hommages » dont nous n'avons que faire.


Médailles

Comme aux Jeux Olympiques, si l'important était de participer, les médailles méritent tout de même d'être particulièrement citées (après avoir éliminé les gros machos et les stupidités commerciales, évidemment, c'était trop facile) (2).

La médaille de bronze revient à l'annonce de l'ouverture d'un refuge pour hommes battus. Loin de moi l'idée de contester l'existence d'hommes victimes de violences, ni de minimiser les difficultés qu'ils rencontrent pour les dénoncer et s'en sortir, mais enfin, dans l'une des rares périodes de l'année (l'autre se situant autour du 25 novembre) où les femmes sont au centre de l'attention médiatique, mettre en avant ce thème-là est tout de même un choix pour le moins contestable. Car même si les articles étaient plus ou moins nuancés, le message qui passe subrepticement est le suivant : y a pas que les femmes qui sont victimes de violences, pourquoi on parle toujours d'elles ? C'est comme si, en pleine campagne pour l'égalité des salaires, on proposait un reportage sur ces hommes qui gagnent moins que leurs compagnes. Sans jamais faire la différence entre un système de violences (ou d'inégalité salariale) et des cas individuels.

La médaille d'argent revient à l'émission de débat dominical, Mise au Point, qui en ce jour du 8 mars, a quand même trouvé le moyen de proposer un plateau 100% masculin (sans même parler des stupides ricanements de Revu et Corrigé dont les invités étaient, fait moins habituel, également tous des hommes). Alors que la même semaine,on annonçait que les deux tiers des exclus du chômage étaient des femmes – et de plus des femmes qui souvent avaient travaillé, mais à temps partiel, donc pas suffisamment pour garder leurs allocations. Mais voilà un sujet pas assez intéressant (parmi bien d'autres possibles) pour mettre un focus sur les femmes, avec des femmes, pour une fois (2).

Et la médaille d'or, alors ? Qui peut bien battre ces excellents candidats ?

 

La médaille d'or est aussi d'amertume. Car elle revient à un parti et des représentantes dont on pouvait espérer une sorte de sursaut. Une démarche digne, voire un mea culpa (plus convaicant que le « coeur qui saigne » d'Elio Di Rupo, pour des misères qu'il a contribué à creuser). Mais non. Isabelle Simonis, ministre des Droits des Femmes, qui ne manque pourtant pas de détermination (à défaut de moyens) pour faire avancer quelques dossiers féministes, s'est baladée (fièrement, au point d'en publier des photos sur Facebook) dans les rues de Bruxelles pour... distribuer des roses aux passant/e/s (3). Avec la volonté affirmée de les conscientiser aux inégalités persistantes.

Conscientiser, vous avez dit ? En 1995, une marche des femmes au Québec réclamait « du pain et des roses ». C'est de là qu'est née la Marche mondiale des Femmes. Vingt ans plus tard, distribuer des roses au nom d'un parti qui a largement contribué à priver de pain des femmes, parmi les plus fragiles et vulnérables, est franchement indécent. Quelque 12 000 femmes viennent de perdre leus allocations de chômage, et ce n'est pas fini ; des roses elles n'ont reçu que des épines.

Pour en revenir à la Marche mondiale des Femmes, un événement était organisé le 6 mars par sa branche belge, à Namur et à Bruxelles. Je me permets, à titre personnel, de lui décerner une médaille spéciale, celle du jury (composé de moi). La Marche mondiale est un mouvement autonome, dont le rôle est notamment d'interpeller les politiques, mais certainement pas de leur offrir une tribune. Or c'est ce qui fut fait à Bruxelles. Et on a pu voir et entendre des représentantes de trois partis (parce qu'ils sont au pouvoir à l'un ou l'autre niveau : MR, PS et CD&V) prononcer des discours plus ou moins vigoureux, en contradiction totale avec les politiques des gouvernements dont ces mêmes partis sont ou ont été membres. Et cela sans contestation ou même sous les applaudissements, tandis que quelques malheureuses tentaient de s'égosiller en criant « A bas l'austérité ! », sans même trouver d'écho. Des chômeuses ou des sans papières appaludissant, fût-ce par simple politesse, des politiques qui les enfoncent dans la précarité : pas en mon nom !


"Ne me libère pas..."

Heureusement, le 8 mars s'est terminé par une manif féministe non mixte (4),avec pour slogan "Ne me libère pas, je m'e,n charge !" Une marche joyeuse, combative, imaginative, dans la grande tradition du mouvement féministe autonome. Où on a baladé et étripé un Charles Michel faisant son coming out «(« That's what a feminist doesn't look like »), une place des Héros rebaptisée en place des Héroïnes, avec plein de noms à la clé (d'Olympe de Gouges à Angela Davis), un jeu de chaises musicales devant une crèche pour dénoncer le manque de places dans les structures d'accueil pour les enfants, un arrêt devant la FGTB pour laisser des mots doux à nos syndicats, si prompts à « oublier » les questions touchant principalement les femmes... sans oublier les sourires et les applaudissements de femmes à leur fenêtre ou sur leur balcon. Une manifestation qui faisait du bien, malgré les tensions et une diversité insuffisante, mais le plein d'énergie pour les combats à venir. Et pour cela, un grand merci aux organisatrices.

 

(1) Petit florilège des idées les plus sexistes...

(2) Les chiffres, pour les deux premiers mois de l'année : parmi les invités, 39 hommes, 11 femmes. Soit à peine plus de 20% de femmes sur le total des invité/e/s.

(3) En plus la provenance de ces roses-là est suspecte : ce n'est pas du tout la saison et la production de roses, dans des pays comme par exemple le Kenya, est pour le moins sujette à caution, sans même parler du transport

(4) Un reportage subjectif qu'on peut voir ici

 

Mis à jour (Mardi, 10 Mars 2015 10:35)