Une couverture en laine c'est bien, une couverture sociale c'est mieux

Depuis ce matin 7 février, la radio-télévision belge francophone (RTBF) a lancé une « grande opération de solidarité pour venir en aide aux plus démunis ». Un call-center propose de recueillir toutes les propositions d'aide et de mettre en relation ceux qui ont quelque chose à offrir et ceux qui ont besoin de tout : d'un toit, de nourriture, de chauffage. Comme c'est souvent le cas dans ce genre d'opération, ceux qui n'ont pas grand chose sont invités à le partager avec ceux qui n'ont rien (même pas, peut-on supposer, de quoi appeler un numéro qui n'est pas gratuit !) . Puisque ceux qui ont beaucoup, eux, menacent toujours de le planquer à l'étranger si jamais on leur force la main ; à la rigueur, ils veulent bien choisir de « donner », alors que, s'ils payaient simplement leur dû, beaucoup de problèmes seraient résolus... Apprécions d'ailleurs les termes employés : « les plus démunis ». Il ne suffit d'être « démuni » (et surtout, pas question de se demander qui démunit qui ni comment), il faut l'être « plus ».

Il ne s'agit évidemment, pas de dénigrer l'élan de la population ni le travail des organismes et associations qui, tout au long de l'année, font ce qu'ils peuvent pour venir en aide à ces « inadaptés sociaux » chers à notre ministre de l'Emploi (1). Il paraît que, statistiquement, le pourcentage de personnes vivant sous le seuil de pauvreté est stable, bien que les CPAS, les Restos du Coeur et les abris de nuit soient souvent débordés, et plus encore lorsque l'hiver s'installe. Il faut croire qu'il ne suffit pas de franchir ce seuil pour avoir accès à une vie décente...

Mais il y a deux acteurs dont les grandes indignations et les appels à la solidarité sont franchement insupportables : le gouvernement d'un côté, les médias de l'autre.

A tout seigneur tout déshonneur : j'ai déjà indiqué dans des chroniques précédentes comment les mesures actuelles, prises au pas de charge, enclenchaient un mécanisme de « descenseur social » (2). Je me permets de citer cet extrait prémonitoire (mais ce n'était pas bien difficile à prévoir) : « Dans quelque temps, parions qu'on verra de grandes opérations larmoyantes pour venir en aide aux miséreux qu'on aura fabriqués. On entendra même des membres de la majorité gouvernementale s'alarmer de la montée de la pauvreté, surtout celle des enfants – ah oui, la pauvreté des enfants, ça arrache des larmes, comme si ça n'avait aucun rapport avec celle des parents et en particulier, des mères ! Une pauvreté que les mesures actuelles auront bien contribué à aggraver... »

Tout cela au nom de la « seule politique possible », bien que des économistes on ne peut plus sérieux (y compris des prix Nobel) contestent cette analyse et dénoncent des mesures moyenâgeuses. On voit ce que ça donne en Grèce, ce pays en voie de sous-développement organisé : l'explosion du nombre de sans abris, des enfants qui s'évanouissent en classe par manque de nourriture ou même des parents qui abandonnent leurs gosses parce qu'ils ne peuvent plus les prendre en charge...

Et les médias ? Lors de la grève du 30 janvier - à l'exception de quelques chroniqueurs aussi rares que courageux - ils n'ont pas eu de mots assez durs pour dénoncer ces irresponsables de grévistes, qui bloquaient le pays pour défendre leurs « privilèges » (genre avoir un toit et manger tous les jours) et ne comprenant pas les « enjeux de la crise » que s'acharnaient pourtant à leur expliquer ces même médias, par la méthode du pilonnage idéologique... Et lorsque le gouvernement bouge légèrement  les lignes (mais si peu !), comme en matière de pensions, voilà la presse qui lui reproche d'avoir « cédé à la pression de la rue » (entendez : pas démocratique, limite terroriste) ou « aux caprices des syndicats » (3).

Le jour même où la RTBF annonce sa grande opération de solidarité, le quotidien le Soir se propose de briser un grand « tabou » : « Les chômeurs sont-ils tous des profiteurs ? » Ah oui, ça c'est un tabou, jamais personne n'a osé le dire auparavant... Enfin bon, ils ne le sont « pas tous », un journal de qualité doit garder le sens des nuances...

 

Et c'est quoi, ces terribles fraudes au chômage ? De faux domiciles, pour ne pas tomber dans les sous-allocations de cohabitant (appremment, c'est bien plus grave de faire semblant d'habiter Saint-Gilles alors qu'en réalité, on partage deux chambres insalubres à Molenbeek, que de s'installer à Monaco pour échapper à l'impôt comme le font quelques gloires nationales) ; des « faux C4 » (comme si le vrai scandale, ce n'était pas les vrais C4, généreusement distribués par des entreprises qui font des bénéfices !) ; et le travail au noir, ah le travail au noir ! Heureusement, l'inspection sociale veille en lançant ses plus fins limiers sur le contrôle... des asbl, où elle trouvera bien l'un ou l'autre faux bénévole ou chômeur-profiteur... Après ça, évidemment, il ne lui restera plus de moyens pour aller jeter un coup d'oeil dans des secteurs comme la construction ou l'Horeca, grands pourvoyeurs de travail non déclaré.

 

Mais au fait.... est-on vraiment bien sûrs que ces « démunis » ne sont pas, eux aussi, d'affreux profiteurs ? Peut-être qu'ils cachent déjà une couverture sous leur lit glacé et qu'ils se les gèlent exprès pour en recevoir une deuxième gratos ? Peut-être qu'ils cumulent allocations sociales, bénévolat, tout en repeignant le salon de leur beau-frère d'une main et en empochant de l'autre des dividendes d'une des entreprises du Bel 20 ? Et tous ces vêtements, ces chauffages distribués à l'aveuglette, n'est-ce pas une forme d' « assistanat » qui pourrait déplaire à Standard&Poor's, Moody's et autres Fitch ? Notre pays ne risque-t-il pas une nouvelle dégradation en division 2 de la compétititon mondiale ?

 

Heureusement, il y a aussi de bonnes nouvelles : « La Belgique ne s'en tire pas mal dans le classement des millionnnaires en dollars » (4), annonçait récemment cette même presse (sans parler de profiteurs ni de tabous, cette fois). Avec un peu plus de 3% de la population, elle se positionne en 10ème place dans le classement mondial. Pas mal pour un pays qui n'arrive pas à donner un toit à chaque citoyen.

 

Alors une couverture en laine, c'est bien, une couverture sociale, c'est mieux. Les sans abris ne fondront pas en même temps que la neige, la pauvreté ne s'évaporera pas au printemps, ni même avec la canicule de l'été. Et si on remplaçait la fameuse « règle d'or » qui prétend interdire les déficits publics – et donc toute marge politique – par une autre règle, qui fixerait un « indice d'inégalité » dont le dépassement entraînerait une exclusion de la communauté des humains ?

 

  1. Voir http://irenekaufer.zeblog.com/580939-les-chomeurs-par-le-collier/

  2. http://irenekaufer.zeblog.com/579211-descenseur-social/

  3. Dans De Morgen, journal dit « progressiste » !

  4. http://www.references.be/carriere/combien-de-millionnaires-y-a-t-il-en-belgique

Mis à jour (Mardi, 06 Mars 2012 23:48)