Quand la réalité dépasse le poisson

 

Bon, je sais qu'il y en a que j'énerve, qui me reprochent régulièrement mon féminisme « étroit » ou « enragé », ou ma façon de râler tous les matins sur les infos du jour (ou tous les midis, pour les lève-tard), jusqu'à suggérer, parfois, que ma vie doit être bien triste. Mais jamais, au grand jamais on ne m'a reproché un excès d'optimisme. J'ai d'ailleurs été à bonne école, pusique mon père avait l'habitude dire : « Un pessimiste a toujours tort, c'est de ne pas être assez pessimiste ».

Et puis voilà qu'à quelques jours d'intervalle, je me surprends moi-même en flagrant délit de bienveillance envers l'humanité, en me disant « Non, ça c'est de l'intox, un hoax comme on dit chez les modernes, un poisson comme on dit en ce 1er avril, non, ÇA, ce n'est possible ».

Et pourtant : si.

Comment croire qu'au XXIe siècle, en France, on pratique des formes de mutilations sexuelles sur des femmes, avec ou sans leur accord, juste pour augmenter le plaisir du partenaire ? Non, pas parmi ces populations venues « d'ailleurs », mais dans les beaux hôpitaux d'une France laïque, républicaine et égalitaire ? Donc, quand j'ai lu les premiers articles sur le « point du mari », j'y ai à peine prêté attention.

 

Puis il y a eu un deuxième article, un troisième, puis des témoignages, dans des médias on ne peut plus sérieux. Il faut donc se rendre à l'évidence : ça existe vraiment. Je vous livre donc ce témoignage d'une sage-femme, accrochez-vous :

« Ce délicat euphémisme désigne une pratique barbare et mutilante qui consiste après un accouchement, lors de la suture d’une déchirure à recoudre le vagin "plus serré", dans le but d’une sensation sexuelle plus intense pour le partenaire. En profitant du fait que la muqueuse vaginale, même sur ses parties non-déchirées, est érodée par le passage de l’enfant, on fait quelques points rapprochant les berges inférieures, qui vont ainsi cicatriser au-delà des limites qu’elles avaient avant l’accouchement, créant un orifice externe plus étroit. Sincèrement, je n’y ai pas cru, en tout cas pas pour une période contemporaine. Il y a 30, 40 ans, peut-être, mais au XXIe siècle, vraiment ? Sauf qu’à peine diplômée depuis quatre mois, je l’ai vu. Après un accouchement dans une clinique, j’ai vu un médecin réaliser une série de points (oui, parce qu’on dit "le" point, mais il en faut un peu plus pour que ça tienne) sur la fourchette vaginale, sans bien comprendre. Ce sont ses propres mots, une fois sorti de la chambre de la patiente, qui m’ont éclaircie : "Son mari me remerciera, je lui ai refait un vagin de jeune fille !" Une mutilation, purement et simplement. Un geste non seulement inutile mais néfaste, puisque le tissu cicatriciel ainsi créé n’est absolument pas élastique, donc rend la pénétration systématiquement douloureuse. Un abus de pouvoir médical caractérisé, réalisé en l’absence de tout consentement ou information de la femme concernée, au soi-disant bénéfice d’un conjoint supposé préférer les rapports sexuels avec une femme qui souffre à chaque fois ».

Il paraît que d'autres appellent ça « refaire la salle de jeux ».

Sans transition, comme on dit dans les JT, à peine remise de ma naïveté – ne pas croire au pire ! - je lis qu'en région parisienne, un jeune Rom a porté plainte parce qu'un chauffeur de bus a refusé de le laisser monter, malgré son titre de transport en ordre, en lui lançant « «Les Roumains ils vont à pied, pas dans le bus»,.

Déjà le 21 mars, à Nancy, deux lycéennes avaient été aspergées d'eau par un chauffeur de bus, car elles venaient de s'embrasser pour se dire au revoir. La police des moeurs, je croyais que c'était réservé à des pays lointains, genre Iran ou Afghanistan , vous savez, là où on envoie nos vaillants soldats pour libérer les femmes (on pourrait aussi leur envoyer quelques médecins spécialisés, parce que si ça se trouve, le « point du mari », là-bas ils ne connaissent pas).

Revenons à notre jeune Rom : à nouveau je me suis dit : non,ce n'est pas possible, c'est juste de la parano, vous savez comment ils sont, ces pseudo persécutés, ils en rajoutent toujours... (1)

Et puis je lis dans un journal sérieux que la RATP rappelle ses chauffeurs à l'ordre et que même si l'enquête n'est pas close ni les faits fermement établis, les témoignages (car il y en a d'autres) sont assez sérieux pour que le Défenseur des Droits (l'équivalent de notre Centre Interfédéral pour l'Egalité des Chances) se saisisse de l'affaire. Or « cette institution reçoit des milliers de signalements par an, pour tous types de discriminations, et enquête sur tous ceux qui ne sont pas manifestement fantaisistes ». Donc là aussi on peut craindre le pire : que ce soit vrai, et même pas un fait unique.

Voilà, c'est le 1er avril, mais avec un mois de mars pareil, on peut dire que la réalité dépasse le poisson.

 

(1) Je rassure celles et ceux que je n'énerve pas encore : je n'ai pas pensé ça comme ça, je me suis mise dans la peau d'une lectrice de la DH ou de SudPresse qui lirait ce genre d'informations et qui hausserait les épaules, à moins de commenter par un « bien fait ! » retentissant

 

Mis à jour (Mardi, 01 Avril 2014 17:56)