Une épine pour Saint-Cavanna

Au départ, je n'avais pas du tout l'intention d'écrire quoi que ce soit à propos de la mort de François Cavanna. Voilà un homme qui a bien vécu, fait le métier qu'il aimait, été adoré autant que vilipendé et qui, à 90 ans, « tire son irrévérence », comme le titrent joliment certains médias. Rien à ajouter.

Mais voilà, devant le torrent de fleurs qui s'abattent aujourd'hui sur lui, je n'en peux plus. Il aurait été iconoclaste, subversif, impertinent, provocateur (tous termes qui vous valent les pires ennuis de votre vivant, mais qui deviennent des compliments après votre mort) ,« l'anti faux cul » écrit le Monde, qui a invité sept de ses amis et collègues à lui rendre hommage. Sept hommes.

Eh oui. Nous y voilà. Cavanna était sans nul doute un écrivain de talent, un dynamiteur de bonnes manières et d'hypocrisies sociales, tous qualificatifs sympathiques à mes yeux. Mais il était aussi un macho de première classe, ce qui n'apparaît guère dans l'auréole à Saint-François tissée par les médias et les réseaux sociaux. L'indulgence dont bénéficie le machisme a le don de m'horripiler. Jamais le racisme ne bénéficierait d'autant de bienveillance (et tant mieux !), du moins dans les milieux que je fréquente.

 

Il y en aura pour contester ce diagnostic, comme le journaliste Denis Robert, qui préparer un film sur lui, et le qualifie même de « féministe ». Un contact m'envoie comme preuve à décharge un texte de BenoÎte Groult qui considérait Cavanna comme « le seul mec à qui elle pourrait demander sans problème de lui acheter des tampax ». Et d'ailleurs, Cavanna n'est-il pas aussi l'auteur de « Plus je regarde les hommes, plus j'aime les femmes » dont est extrait cet « hommage » (paraît-il) : « Si les flics avaient des nichons et des talons aiguilles, la face du monde serait changée ». Ce qui démontre, outre une vision très stéréotypée et réductrice des femmes, une grossière erreur d'analyse.

On peut ne pas être d'accord, même avec Benoîte Groult. Peut-être Cavanna était-il digne d'aller lui acheter des tampax mais sans doute pas des bouquins, car il ne savait peut-être pas que les femmes, outre des nichons et des talons aiguille, possèdent aussi un cerveau. Sur le site Slate, on peut lire un hommage avec ce passage sur la période Hara Kiri : « Pas de femmes: Bretécher n’en fut pas. Un grand regret pour Cavanna (...) Mais y avait-il de la place pour une femme dans cette équipe si masculine ? Et sans doute bien misogyne ? Montrer du cul en couverture fait vendre, forcément, même sous couvert de dérision. A poil, à quatre pattes, battues…: l’image de la femme dans Hara-Kiri est rarement valorisante ». On y lit plus loin : « La violence conjugale ? Elle s’affichait avec le sourire ». Ceci une époque où des féministes tentaient péniblement de faire reconnaître ces violences comme un délit et non une « affaire privée » et ouvraient, sans beaucoup de moyens, des refuges pour ces femmes dont il était si comique de « sourire ».

Cavanna est aussi l'auteur de cet autre titre, « Les yeux plus grands que le ventre », dont je vous livre le très poétique résumé : «Trente-cinq ans. L'âge des ogresses qui rôdent, claquant des mâchoires. L'âge des mantes religieuses. Les redoutables divorcées de trente-cinq ans. Petit homme triste qui rêves d'un gros doux cul pour y poser ta tête, petit homme triste, si tu en vois une à l'horizon, fuis à toutes jambes, fuis ! » Il y a en a qui y voient de la « tendresse ». Je n'y lis qu'une vision grossière et méprisante des femmes, réduites à offrir leur « gros doux cul » pour que les « petits hommes tristes » puissent y poser leur tête (de noeud ?). Il aurait pu aussi bien appeler ça « La bite plus grosse que le cerveau ».

Personnellement, j'ai lu et apprécisé « Les Ritals » même si déjà, sa vision des femmes m'avait quelque peu gênée. Mais je n'ai jamais accroché à Hara Kiri et mons encore à Charlie Hebdo, même si certains dessins m'ont fait rire. L'an dernier c'est Siné, également adoré par beaucoup d'amateurs de provocations, qui s'est fait claquer la porte sur le pif par la dessinatrice Tanxxx, pourtant pas du genre bégueule, qui avait l'outrecuidance de trouver son humour lourd et parfois même nauséabond... La presse "satirique" mériterait parfois de s'écrire "satyrique".

Pour Cavanna, l'humour devait être « un coup de poing dans la gueule ». D'accord, mais ça dépend dans la gueule de qui. L'humour « bête et méchant », je serais plutôt tentée d'aimer, mais pas quand il s'exerce aux dépens de personnes ou de catégories qui subissent, dans la réalité, des discriminations tout aussi « bêtes et méchantes ». L'humour n'est pas un machin nunuche juste fait pour se détendre, ça peut être une grenade dégoupillée, à condition de la jeter dans la bonne direction, celle des puissant/e/s. Ou disons, plus modestement, que taper sur les dominé/e/s ne me fait pas rire.

Alors, si vous tressez une couronne à Saint Cavanna – qui aurait sans doute ricané de certains hommages – pemettez-moi d'y ajouter une épine. Cet aspect de lui n'ôtera peut-être rien à votre admiration ou votre affection, mais au moins, il aura été mis en (petite) lumière.

Mis à jour (Vendredi, 31 Janvier 2014 15:56)