Moustique, l'hebdo qui pique... à côté de la plaque

Moustique, « l'hebdo qui pique », met en « une » cette semaine une « Polémique : les dangers de l'antiracisme ». Oui, vous lisez bien : ce n'est pas le racisme qui discrimine, rejette, humilie et va parfois jusqu'à tuer : non, le vrai péril, c'est l'antiracisme, dont les victimes sont... voyons, que sont-elles ? Torturées ? Jetées aux crocodiles ? Forcées à l'exil, condamnées à frapper à la porte de la Hongrie d'Orban ou de la Grèce d'Aube Dorée, pour demander asile et protection ? Ouvrons donc l'hebdomadaire pour en savoir plus sur les horribles conséquences d'un antiracisme buté...

On y découvre, en effet, les malheureuses victimes : « Stéphane Pauwels et Serge Vermeiren, pour avoir dit de Stromae qu’il était "un garçon de couleur bien intégré". Philippe Vande Walle, viré de l’équipe de consultants foot RTBF pour avoir voulu défendre les "purs Belges" face à des binationaux qui hésitent entre notre équipe nationale et celle d’un autre pays.Quant à Thierry Willemarck, le président de la Chambre de commerce et d’industrie bruxelloise, il s’est fait vertement taper sur les doigts pour avoir sugéré dans une interview qu’on donne "un coup de pied au cul" aux jeunes d’origines étrangères qui brossent les cours, au risque de plomber leurs études ». Sans oublier le Père Fouettard, parti se pendre (mais on ne vous le dira pas, les antiracistes sont aussi d'horribles censeurs).

 

Suivent des considérations sur les dangers, non pas de l' « antiracisme », mais de la tentation de voir du racisme partout. Certains auteurs de ces phrases ont pourtant bien déclaré qu'ils « n'étaient pas racistes », ah, vous voyez bien ! Et peut-être en effet, ne le sont-ils pas, pas plus que la moyenne en tout cas, pas plus que n'importe quel/le citoyen/ne qui n'aurait pas poussé très loin sa réflexion et répéterait ce qui se dit, plus « maladroit/e » que vraiment méchant/e. Parce que les « vraiment méchant/e/s », on les trouve sur Internet, parmi le peuple des forums, dans les organisations perverses qui échappent à la vigilance des vertueux modérateurs sur les sites des médias.

Et puis voilà... c'est tout. Pas un mot sur les très réelles victimes du racisme ambiant, pas une question qui leur soit posée, là, en direct, sur la façon dont elles-mêmes perçoivent ces « petites phrases ». La qualité des personnes interrogées (Anne Löwenthal, Marcel Sel, Patrick Charlier...) n'est pas en cause ; le problème, ce sont les absent/e/s. Celles et ceux qui auraient pu expliquer ce que ça leur fait, l'accumulation de ces déclarations « innocentes ». Elles auraient pu expliquer à M. Pauwels comment ce « compliment » de bonne intégration n'est jamais que l'autre face de l'éternel soupçon de ne pas être d'ici, de ne pas avoir de papiers en ordre, d'être l'auteur de ce vol de portefeuille ou de cette dégradation plutôt que ce blondinet, là-bas. Expliquer à M. Willemarck qu'on a beau aller en classe et s'appliquer et être gentil/le et tout connaître de nos ancêtres les Gaulois, certains profs ont tendance à moins attendre de ces élèves un peu trop basanés (1) – or on sait que les attentes des profs sont un facteur non négligeable de la réussite des élèves. Et plus largement, expliquer aux journalistes comme aux lecteurs et lectrices de Moustique que c'est bien de discuter pour savoir jusqu'où le rejet « banal » de l'étranger/e est une "opinion" et à partir de quand il devient un "délit", mais que vécu de l'autre côté, c'est d'abord une humiliation.

On me dira que Moustique n'est pas une revue de sciences humaines et qu'on ne peut en attendre d'analyses fines ou de dossiers faisant le tour du sujet. Mais justement, Moustique est bien plus lu que les revues spécialisées. Cela lui donne une responsabilité quand il choisit d'aborder des sujets sensibles. Le titre de couverture relève déjà du très mauvais sensationnalisme (dans les pages intérieures, l'antiracisme n'est plus « un danger » mais juste « en question »). Quant au contenu, parler d'une forme de violence en ne donnant la parole qu'à l'hypothétique agresseur, ou à l' « expert/e », mais à aucun moment à l'éventuelle victime, ne fait que redoubler cette violence.

(1) Comme on peut le lire dans une série d'articles sur le racisme en Flandre paraissant cette semaine dans le quotidien De Standaard

Mis à jour (Mercredi, 30 Octobre 2013 18:58)