Au macho-journalisme, le féminisme reconnaissant

 Mettons tout de suite les choses au point : le Panthéon, je m'en tape et c'est bien le dernier endroit où je songerais à apporter mes futures cendres. Certes, elles pourraient tenir d'agréables conversations sur les nouveaux misérables avec Victor Hugo, demander l'avis de Zola sur le mouvement des indignés ou encore faire le point sur l'éducation des filles avec Condorcet. Mais à côté de ceux-là, il y a trop de généraux, de cardinaux ou de sénateurs bien barbants à qui je n'aurais rien à dire, et allez savoir qui sera votre voisin de caveau.

 C'est dire si, au premier abord, une féminisation du Panthéon avait de quoi me laisser de glace. L'égalité dans le ridicule, c'est pas vraiment mon truc ; laissons ces panthéonades pompeuses et pompantes à la gente mâle, ou à sa partie qui semble si friande d'honneurs, y compris post mortem. Car il se fait que, sur les 73 bienheureux qui peuplent les lieux, il n'y a que deux femmes : l'inévitable Marie Curie et Sophie Berthelot qui, bien que scientifique elle-même, est là surtout pour ses « vertus conjugales » aux côtés de son illustre mari. Au fronton du Panthéon est inscrit « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante ». Qu'on ne me refasse pas ce cours de français qui consiste à dire que « homme » vient du latin « homo » qui ne signifie pas mâle (ni gay) mais « être humain », le masculin étant désigné par « vir ». Au Panthéon comme en bien d'autres lieux, « homme » signifie bien « être de sexe mâle excluant les femmes mais sans l'assumer ».

 Très friand de réparer des injustices qui ne coûtent rien (ne lui parlez pas de combler le fossé entre retraites masculines et féminines, hein), François Hollande s'était engagé, le 8 mars dernier, à nous féminiser un peu tout ça. Un collectif féministe a décidé de lui rappeler ces bonnes paroles par un rassemblement ce 26 août, date anniversaire d'un autre événement féministe de 1970, le dépôt de gerbe sur la tombe de « la femme du soldat inconnu » (« Il y a plus inconnu que le soldat inconnu, sa femme »).

 Le choix de la date m'a déjà paru bien sympathique, en un temps où, quand on se dit féministe, c'est en accolant immédiatement un « néo » ou un « post » à ce qualificatif infâmant, pour bien se démarquer de ces vieilles féministes ringardes, dépassées et poilues des années 1970. De jeunes féministes qui revendiquent au contraire cet héritage, moi je ne peux que « liker », comme on dit sur Facebook.

 Tout en me foutant du Panthéon, donc, j'ai éprouvé de la sympathie pour cette action qui entendait aussi attirer l'attention sur l'invisibilité des « grandes femmes » (comme celle de la femme du soldat inconnu). C'est un peu comme au festival de Cannes : j'ai beau trouver absurde la « compétition » en matière de culture, le fait qu'il y ait aussi peu de films de femmes retenus (aucun en 2012, un seul en 2013) me paraît refléter une vision du monde quelque peu borgne. Mettre en avant des femmes artistes, scientifiques, résistantes, c'est aussi une façon de passer aux filles le message que tous les possibles leur sont ouverts.

 Anticipant l'argument selon lequel il ne serait pas possible de trouver des femmes dignes de côtoyer tous ces grands hommes, le Collectif a pris soin de préparer sa liste : la révolutionnaire Olympe de Gouges, auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, la philosophe Simone de Beauvoir, la résistante Germaine Tillion, la communarde Louise Michel et la mulâtresse Solitude, figure de la résistance des esclave noirs en Guadeloupe. Ce dernier choix étant un symbole dans le symbole : «On reproche souvent aux féministes d’être blanches et de mener un combat pour le monde occidental. Avec Solitude, on reconnaît tous les combat,s dont la lutte contre les esclavagistes», explique le Collectif dans Libération. Il s'est trouvé d'ailleurs des lecteurs pour contester immédiatement la pertinence de ce choix, estimant par exemple que « Olympe de Gouges, personne ne sait qui c'est », élevant leur propre inculture en critère de panthéonisation ; on suppose donc qu'ils savent tout des hauts faits d'autres habitants du lieu comme le général Hyacinthe-Hughes Timoléon de Cossé-Brissac ou le cardinal Giovanni Battista Caprara...

 Toute cette introduction (ben oui, ce n'était que l'introduction...) pour dire que j'étais contente à l'annonce que France Inter, dans une émission de grande écoute du matin, invitait la porte-parole de Osez le féminisme ! pour parler des luttes de femmes en général et du Panthéon en particulier, malgré mes réticences sur le sujet.

 Et paf ! Retenez le nom de cette immense journaliste, Clara Dupont-Monod, dont c'était la première prestation dans cette tranche horaire. Vous pouvez (ré)écouter et lire l'essentiel de ce moment hallucinant sur le blog de Marie Donzel, avec des commentaires ad hoc.

" La parité n'est-elle pas la porte ouverte à l'incompétence ? Les meilleurs féministes, aujourd'hui, ce ne seraient pas des hommes ? Mais les féministes ne détestent-elles pas les hommes ? Ah bon, leur objectif de n'est pas de les émasculer, on peut donc se détendre dans le studio ? Et ça alors, les féministes ont de l'humour, il faudrait envoyer une dépêche à l'AFP..." On ne sait pas si les hommes sont les « meilleurs féministes » mais on découvrait que des femmes peuvent être les pires des machos (1).

Avec un sang-froid exemplaire, Anne-Cécile Mailfert tentait de répondre rationnellement, mais on voit bien sur la vidéo que par moments elle se dit « mais c'est quoi, ça ? Je suis où ? A radio-macho ? » Jusqu'au bout, elle gardé un calme olympien – je dirais presque panthéonique. Mais, à la réflexion,elle aurait pu choisir la stratégie de l' « interview de rupture », sur le modèle des « procès de rupture » chers à Jacques Vergès. Marie Donzel lui fait quelques suggestions délicieuses ("Vous avez tort de vous détendre dans le studio. J'ai l'air cool comme ça, mais j'ai un sécateur planqué dans mon sac à main et dès la fin de l'émission, gare à tout ce qui dépasse. S'il y a des chatons dans le studio, je les castre gratis au passage").

 Mais au fait, pourquoi ce titre : « Au macho-journalisme, le féminisme reconnaissant » ? Parce que « reconnaissant » vient de « reconnaître » et que reconnaître ses ennemi/e/s est le début sinon de la sagesse, du moins de la riposte. Grâce à Clara Dupont-Monod, l'interview a beaucoup circulé sur le net et pourrait servir de base à une formation sur le féminisme dans les écoles de journalisme. On peut rêver...

 

(1) Le lendemain, Clara Dupont-Monod recevait le représentant d'une association de bénéficiaires du RSA (revenu de solidarité active) et lui posait questions « normales », pas dans le genre "ah bon, les chômeurs cherchent du travail, il faudrait envoyer une dépêche à l'AFP..". Il ne s'agit donc pas d'un « style » mais d'un antiféminisme primaire.

Mis à jour (Mercredi, 28 Août 2013 09:08)