La colibri et les vautours

Plus de 70 000 personnes, à la grosse louche, à manifester « pour le climat » lors de deux grands rassemblements à Bruxelles, en décembre puis en janvier.

3000, puis 12 000, puis 35 000 jeunes dans les rues, brossant les cours sur le thème « à quoi bon aller à l'école si on n'a pas d'avenir ? »

Bref, alors qu'on croyait que les migrants et surtout la meilleure (c-à-d la pire) manière de les arrêter aux frontières de la forteresse Europe seraient au centre des prochaines élections, il se pourrait bien que ce soit plutôt le sort de la planète – et c'est tant mieux.

Laissons ricaner les moqueurs, les Siegfried Bracke accordant du haut de Sa Condescence le droit aux jeunes de « dire des bêtises », les De Wever (Bart) vs De Wever (Anuna), les Godefridi et autres GLB, et penchons-nous sur celles et ceux qui nous veulent du bien, à nous et à notre progéniture (qui est aussi la leur). Et ce sont les réactions qui sont peut-être les plus préoccupantes.

 

Version n°1 : « On fait déjà plein de choses mais on ne l'explique pas assez ». Charles Michel, Marie-Christine Marghem, et plus généralement les politiques actuellement aux affaires nous rétorquent que certes, nous respirons de l'air pollué et mangeons des saloperies, mais qu'en pourcentage rapporté au carré de l'hypoténuse, ça va quand même mieux depuis leur arrivée au pouvoir, et que ça ira encore mieux si on les y maintient. Et prêt.es à nous envoyer des "coaches" pour nous aider sinon à respirer, du moins à calculer à leur manière.

 

Version n° 2 : « On n'en fait pas assez, les politiques doivent se mobiliser davantage », ça c'est quand on est dans l'opposition, on en oublierait presque qu'eux aussi ont été au pouvoir et que cette fameuse « mobilisation », on ne l'a pas vraiment vue passer (on peut faire une exception pour les écologistes qui s'égosillent depuis longtemps dans le désert et sous les quolibets, qui vont de la « rage taxatoire » au « avec eux on va devoir  s'éclairer à la bougie ».

 

Reste la version n° 3, valable pour tou.tes : le coup du colibri.

Ah le colibri, je n'en peux plus du colibri, vous savez, ce tout petit oiseau qui, quand la forête brûle, n'éteindra pas l'incendie mais aura fait sa part en jetant sur le feu des goutelettes à la proportion de sa taille... Quel succès ! Un bel exemple avec cette Carte Blanche de Claire Vandevivere, Echevine de l’environnement à Jette, intitulée « Prêt à boire dans une gourde et à résister au dernier Smartphone? »

A qui on a aussitôt envie de répondre : « Prête à renoncer à toute publicité pour l'eau en bouteille ou pour le nouveau smartphone dernier cri » ?

Une belle campagne d'activistes pour le climat rappelle que l'éclairage d'un panneau publicitaire égale à la consommation en électricité de trois ménages. Alors, prêt.es à interdire l'éclairage ds panneaux publicitaires ? Prêt.es à limiter, sinon supprimer la publicité dans l'espace public ? Cette publicité qui nous encourage à consommer plus, à céder à toute pulsion d'achat, à « se faire plaisir » comme iols disent (et à faire plaisir aux actionnaires, comme ils ne disent pas) ? Prêt.es aussi à mieux partager les richesses, pour que « moins de consommation » des un.es ne signifie pas « moins d'emplois », ou emplois de moins bonne qualité, pour tant d'autres ?

Et nos médias, sont-ils prêts à faire un effort de cohérence, en s'abstenant de présenter, « sans transition », avant ou après un sujet sur le climat, un reportage enthousiaste sur les canons à neige dans les Ardennes, le doublement du nombre de passagers à l'aéroport de Charleroi, ou encore la construction d'un super-méga-bateau de croisière aux chantiers navals de Saint-Nazaire ? Ces exemples sont tirés de JT récents de la Une et de France 2.

Alors, le colibri peut faire de son mieux, et on peut l'applaudir et l'encourager. Mais ne pas oublier que pendant ce temps, les vautours tournoient dans le ciel en ricanant, n'hésitant pas à jeter du kérosène (non taxé) sur le feu.

Ah oui, et au fait : ne pas oublier aussi que, si « chacun fait sa part », il faut que cette part soit plus équitablement partagée. Parce que fabriquer ses propres produits d'entretien, amener l'enfant à la crèche en vélo plutôt qu'en voiture, faire ses courses dans plusieurs petits magasins plutôt qu'au supermarché, ... c'est encore et toujours le colibri femelle qui va devoir s'y coller.

Mis à jour (Jeudi, 31 Janvier 2019 10:16)