120 battements par minute

Donc, j'ai vu le film de Robin Campillo, « 120 battements par minute », qui raconte de l'intérieur l'histoire d'Act Up à Paris, au début des années 1990.

A la RTBF, Huges Dayez en a fait une critique qui a secoué les réseaux sociaux : après avoir dit tout le bien qu'il pensait de la justesse de ton, du casting et des qualités narratives du film, il conclut par cette phrase qui a fait polémique : « Les spectateurs homosexuels qui ont vécu douloureusement cette période de rejet dans la société seront sans doute en complète empathie avec les protagonistes du film. (...) Mais le public hétérosexuel, face à cette oeuvre très "communautaire", peut avoir parfois l’impression désagréable d’assister à une grande réunion de famille dont il ne fait pas partie et à laquelle il n’a, en réalité, pas été invité ».

Eh bien, après avoir vu le film, je dois dire que je suis en entier accord avec cette critique, et j'élargirais même son propos.

Le public non militant, qui n'a jamais participé à des luttes collectives, restera de marbre devant les débats passionnés sur le sens et l'efficacité d'actions violentes et/ou festives, ou encore sur la pertinence ou non d'exiger la prison pour des (ir)responsables politiques quand, par ailleurs, on milite contre les prisons. Il ne s'intéressera pas non plus à la façon, très finement décrite ici, dont les affections et les inimitiés personnelles s'imbriquent dans les engagements communs.

De même, le public qui n'a jamais été confronté à la souffrance et la mort d'un/e proche restera complètement indifférent à la longue scène autour de la mort de l'un des protagonistes, des réactions de sa mère, son amant et ses camarades de combat. J'en connais que ça fera pleurer, mais j'en vois qui bâillent au fond de la salle.

Enfin, le public qui n'a jamais connu un amour total avec la conscience de sa précarité, jamais caressé un corps malade, s'ennuiera ferme, à moins d'être choqué, par des scènes aussi crues que belles entre Nathan et Sean, tout en reconnaissant, comme H.D., que c'est quand mâme vachement bien interprété.

Bref, si vous faites partie de ces publics-là, épargnez-vous cette « réunion de famille » où l'on parle de choses aussi ennuyeuses que l'abandon des plus fragiles et le cynisme des logiques de marché, de lutte et d'amour, de vie et la mort.

J'ajoute, si ce n'est pas assez clair, qu'en ce qui me concerne, malgré mes réticences quant aux modes d'action d'Act Up, ce film m'a autant émue que passionnée.

 

PS : Et pour ce qui concerne le critique H.D., on pourrait proposer, sur le modèle du « test de Bechdel » (l’œuvre a deux femmes identifiables par leur nom, elles parlent ensemble, elles parlent d'autre chose que d'un personnage masculin) , le « test de Dayez » : l'oeuvre a deux hommes hétérosexuels identifiables par leur nom, ils ne se touchent qu'en se donant des tapes dans le dos ou en se foutant sur la gueule, et quand une femme les emmerde, ils hurlent : « A poil ! »


PS 2 : Dans 28', l'excellente émission d'Arte, Didier Lestrade, l'un des fondateurs d'Act Up, fait le parallèle entre l'indifférence de l'époque pour les premières victimes du sida - homos, toxicos, prostitué/e/s, détenu/e/s - et celle qui entoure aujourd'hui la mort de milliers de migrants. C'est dire si le propos du film est "universel", y compris au sens le plus littéral du terme

Mis à jour (Samedi, 02 Septembre 2017 15:12)