Jour de grève

Les médias nous l'annonçaient : la majorité des Belges étaient opposés à la grève de ce lundi 30 janvier dont, par ailleurs, les éditorialistes ne cessaient de nous expliquer l' « absurdité ». Que des économistes aussi sérieux que  le prix Nobel Joseph Stiglitz (1) répètent que non seulement les politiques d'austérité ne sont pas les « seules possibles », mais pas des plus appropriées ou même carrément nuisibles, ne semble guère troubler ces porteurs de l'unique vérité.

Déjà fin 2011, la presse belge avait réagi avec hostilité à la grève du 22 décembre, comme l'analysait l'excellent site Acrimed (2) : « Grève en Belgique : haro sur les grévistes et les syndicats ». Cela ne vaut guère mieux en ce qui concerne le mouvement de ce 30 janvier.

Depuis des jours, en effet, on nous annonce que cette grève n'a aucun sens, que les Belges la rejettent massivement, que tout cela ne servira à rien, avec un coût exorbitant pour notre économie. On était presque étonnée que dans le Soir, un article du vendredi 27/1, intitulé « Que faire pendant la grève ? », suggère, parmi bien d'autres possibilités, celle... d'y participer. Il est vrai que l'audace est signée d'un stagiaire et bien encadrée de leçons de morale sous la plume de journalistes autrement « sérieux ».

Côté flamand, l'offensive était encore plus radicale, avec la bénédiction du SP.a sont le président, Bruno Tobback, dénonçait l'utilisation de la « bombe atomique de la grève générale » contre des mesures « inévitables ». Le syndicat ABVV (FGTB) avait eu l'idée de lancer sur Twitter le fil « #30J, je fais la grève » ; il a été rapidement submergé de messages hostiles qui ont permis aux médias flamands, VRT en tête, de conclure que les Flamands, et notamment les jeunes, étaient farouchement opposés à ces actions.

Pourtant, ce matin du 30 janvier, la Libre Belgique est bien obligée de titrer : « La Belgique à l'arrêt ». « La Belgique bloquée par la grève générale », confirme le Soir.

Ces Belges majoritairement anti-grève seraient-ils alors tous flamands ? Ce même jour, le quotidien De Standaard titre sur l'arrêt de la production dans de nombreuses entreprises anversoises (le fief de Bart De Wever!) et gantoises. Il s'agit surtout de grandes entreprises : rien d'étonnant, dans les petites, où la forcé syndicale est modeste, voire inexistante, les travailleur/se/s n'ont guère le choix... pas plus que tous ces contrats précaires sans protection contre l'abitraire de l'employeur. De son côté, De Morgen constate « la vie publique est déréglée » et fait mine de s'étonner, avec d'autres organes de presse, de la rareté des embouteillages : dix fois moins de files qu'un lundi normal ! Il faut croire que peu de travailleurs « empêchés » de se précipiter au boulot en transports en commun ont pris leur voiture pour tenter, contre vents et marées, neige et barrages, de rejoindre le lieu de leur épanouissement ! (ou de leur "dignité", comme dirait Monica De Concinck...)

Mais alors, où est passée cette « majorité » opposée à la grève ?

Le site DeWereldMorgen (3) a eu la curiosité de chercher qui sont ces Twitteurs qui ont submergé le fil de l'ABVV. Sur un échantillon d'une heure, il a relevé : 80% de messages contre la grève, dont notamment 30% de cadres supérieurs et 10% de personnes travaillant dans les médias... et le président des jeunes N-VA Pas un/e seul/e travailleur/se du métal, du commerce, employé/e de banque, infirmière...

Conclusion : « Si la Flandre est majoritairement peuplée de managers, de personnes travaillant dans le secteur des nouvelles technologies, d'entrepreneurs et des faiseurs d'opinion, alors oui, les Twitteurs de #30J forment un échantillon représentatif de la population... »

Alors certes, il ne faut sans doute pas mettre tou/te/s les journalistes dans le même sac (à jeter), mais quelquefois, c'est vraiment dur de garder le sens des nuances. Tous pourris ? Non : tous, ou la grande majorité, imbibés jusqu'à la moëlle d'une idéologie libérale inébranlable, selon laquelle il n'y a qu'un seul monde, une seule vérité, un seul chemin possible. Pour aller où ? Telle est la question.

Ce même jour, les Chefs d'Etat européens s'apprêtent à participer à un sommet sous forte escorte militaire, dans un pays bloqué en réaction à leur politique. Symbole aussi fort qu'inquiétant...

 

(1)http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/0201846370526-stiglitz-exhorte-les-europeens-a-repenser-leur-gestion-de-la-crise-276137.php

(2) http://www.acrimed.org/article3741.html

(3) http://www.dewereldmorgen.be/artikels/2012/01/27/wie-zijn-de-30j-twitteraars

Mis à jour (Mardi, 06 Mars 2012 23:47)